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Lutgen, le président dos au mur

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

La « magic touch » du patron du CDH tarde à faire effet. Nouveau coup de semonce décoché en interne. Président malgré lui, Benoît Lutgen saura-t-il forcer sa nature pour éviter l’enfer à son parti ?

L’info est d’une affreuse banalité tant elle fait sens. Balancée haut et fort par une mandataire en vue d’un parti, elle passe fatalement pour un défi à l’autorité du  » chef  » et à la ligne présidentielle. Or, donc, Catherine Fonck, cheffe de groupe CDH à la Chambre, jouerait à la frondeuse en s’épanchant sur les déboires de ses couleurs au détour d’une interview de rentrée politique.  » On doit se remettre en question, se poser les bonnes questions en termes de stratégie et de positionnement. Le CDH peut et doit faire mieux « , confie- t-elle à La Libre.

Le ressenti tombe à pic, au lendemain d’un énième sondage électoral particulièrement assassin pour les humanistes. Le dernier baromètre politique La Libre/RTBF plonge un peu plus le CDH en enfer en le créditant de 10,5 % des intentions de vote en Wallonie, et de 6,5 % en Région bruxelloise. Quatrième parti au sud du pays, sixième à Bruxelles : à chaque prise de pouls de l’opinion, on pense que le parti touche le fond et c’est pour découvrir qu’il peut encore tomber plus bas.

Quoi de neuf au CDH ? Rien ou pas grand-chose et c’est bien là tout le drame. La crise existentielle se prolonge, la mauvaise passe s’éternise. Qu’il ait été PSC, qu’il soit devenu CDH, le parti a beau retourner dans tous les sens les problèmes qui l’assaillent, c’est l’impasse pour seul horizon.

Alors, n’écoutant que son devoir, Catherine Fonck sonne le tocsin. Exhorte au débat et à la réflexion internes, appelle à donner la parole aux sympathisants du parti, à la mise à plat de la stratégie et à mieux faire passer la bonne parole centriste-humaniste. Bref, dépose une vraie feuille de route présidentielle.

 » Benoît Lutgen est toujours l’homme de la situation  »

Allô, Benoît Lutgen ? Le vice-président du parti et député bruxellois Hamza Fassi-Fihri décroche.  » Un mauvais sondage ne fait jamais plaisir, Catherine n’a fait que le commenter dans le cadre d’une interview programmée sur les priorités du parti au niveau fédéral.  » Inutile d’y chercher trace d’un désaveu de la ligne présidentielle, ni même d’y trouver matière à désamorcer une bombe. Tout au plus une piqûre de rappel à laquelle tout président digne de ce nom ne peut rester insensible.  » Catherine le dit : Benoît Lutgen est toujours l’homme de la situation. Elle redit sa confiance en sa capacité à diriger le parti.  » Et à le mener vers des lendemains qui déchantent.

u0022Pas évident pour un parti centriste d’évoluer dans un paysage politiquement fragmentéu0022

Il convient de recadrer la gravité de la menace : un sondage n’est jamais qu’un match pour rire, il n’a jamais tué un parti pourtant si souvent donné pour mort. Hamza Fassi-Fihri rafraîchit les mémoires :  » Trois mois avant les élections de 2014, on pointait le CDH à 9,4 % en Wallonie, il a obtenu 15,17 % au scrutin. Prenez le foot : les Diables Rouges ont été hués pour leur prestation catastrophique à Bruxelles en match amical face à l’Espagne. Cinq jours plus tard, pour la vraie compétition, quand il y avait un vrai enjeu, ils ont fait le job et joliment gagné.  »

Brin de panique tout de même au village centriste. La bouteille à la mer lancée par Catherine Fonck y suscite des sentiments mélangés. Il y a ceux et celles qui s’abstiennent de tirer sur l’ambulance, jugent  » inutile d’en rajouter une couche « . Ceux et celles qui réservent leur façon de penser pour une discussion franche et constructive en interne. Ceux et celles qui, sur le mode  » tout cela reste entre nous « , comprennent et saluent  » le coup de gueule « .  » Que la cheffe de groupe d’un parlement s’exprime de la sorte, c’est bien et c’est sain « , commente un mandataire du parti. Que Catherine Fonck se soit dévouée ne surprend pas grand monde.  » On connaît son tempérament, la manière assez libre qu’elle a d’exprimer ses opinions, ses ambitions politiques dans le sens positif du terme. Et sa volonté de se positionner dans un débat interne qui, et c’est regrettable, n’a pas lieu à ce jour « , complète cet élu bruxellois. Eternelle ministrable maintenue à l’écart des castings du CDH aux gouvernements wallon, bruxellois et de la Communauté française, Catherine Fonck trouve à s’épanouir dans un rôle de poil à gratter.  » Elle est médecin, elle a un métier hors de la politique, elle n’est donc pas pieds et poings liés au parti. Elle est en quelque sorte le sommet de l’iceberg, de cette majorité silencieuse qui se tait par crainte de perdre son job en même temps que l’exercice du pouvoir.  »

Le docteur Fonck sait y faire pour mettre le doigt là où ça fait mal : vu la santé chancelante du parti, vu que son président peine à inverser la vapeur, il ne serait pas idiot de faire davantage appel à l’équipe pour chercher à quitter les urgences.  » La voix du président est une chose mais il ne doit pas être le seul à parler,  » décode-t-on en interne,  » Les ministres CDH font correctement leur boulot mais ils communiquent seulement sur leurs compétences. Cela manque d’échanges de vues.  » De souffle, d’audace. De flamboyance.

L’humanisme radical : kéksèksa ?

On ne se refait pas. Benoît Lutgen n’aura pas pris les siens en traître. Il cachait plutôt sa joie en succédant à la fonction suprême à l’hyperprésidente Joëlle Milquet en septembre 2011. Pour sûr, il ne serait pas l’homme de l’électrochoc mais le président d’une refondation patiente et responsable. Il ne se présentait pas les mains vides : c’est un CDH radicalement au centre qu’il promet d’offrir en partage aux mandataires, militants et électeurs. Une voie royale vers un humanisme radical à ce jour parfaitement illisible pour l’homme de la rue.

C’est dire si le CDH sous l’ère Lutgen ne craint pas la difficulté, alors que le sens de la nuance n’est plus trop de ce monde.  » Le contexte est au populisme, au repli sur soi, aux discours simplistes. Pas évident pour un parti centriste d’évoluer dans un paysage politiquement fragmenté « , commente George Dallemagne, député fédéral.

En être toujours à se chercher politiquement devient préoccupant. Régis Dandoy, politologue à l’ULB et à l’UCL, observe :  » On s’attendait à une phase de transformation du CDH confronté à un déclin sociologique et à un électorat mourant puisque majoritairement âgé et conservateur. Or, cette phase s’opère dans un cadre conservateur. Sans changement de la ligne idéologique du parti, avec un recentrage classique sur la famille, l’enseignement, les classes moyennes, bref sur les recettes traditionnelles.  » Une participation aux gouvernements régionaux et communautaire couplée à une cure d’opposition au niveau fédéral achève d’épaissir le brouillard. Le CDH a capitalisé sur l’une comme sur l’autre.

 » Son appétence pour la présidence pose question  »

S’ajoute au casse-tête le fait que le CDH des campagnes n’est pas le CDH des villes et qu’entre les deux, le président affiche son penchant.  » Benoît Lutgen a pris l’option du monde rural, ce qui manquait sans doute au parti. Mais les problèmes actuels se trouvent surtout dans les villes, il faut davantage intégrer le phénomène urbain qu’il ne l’est aujourd’hui « , relève un baron du parti. Il serait temps que le curseur présidentiel se déplace vers Liège et plus encore vers Bruxelles, où les humanistes tanguent : ils sont en proie à l’héritage controversé de Joëlle Milquet et de sa stratégie outrancière d’ouverture et de ratissage de l’électorat, et en quête d’un leadership depuis le retrait forcé de l’omniprésente ex-ministre fragilisée par quelques ennuis judiciaires.

Un coup à gauche, un coup à droite, un pied dedans, un pied dehors

Un coup à gauche, un coup à droite, un pied dedans, un pied dehors : le CDH se disperse, patauge.  » La dynamique Lutgen s’est essoufflée et se résume à tenter de capitaliser sur les acquis de l’ère Milquet « , prolonge Régis Dandoy. Trop peu, trop mou pour inverser nettement la vapeur et la spirale négative.  » Un travail de reconquête plus agressif s’impose, notamment pour regagner le coeur des jeunes. Mais pour cela, il faudrait cesser de s’éterniser sur les questions de valeurs.  » Et pour Benoît Lutgen, se faire un peu violence.

 » Je dois me secouer le cocotier, c’est clair « , admettait en début d’année dans les colonnes du Vif/L’Express un président  » old school « , avare d’effets de manche et de sorties médiatiques à l’emporte-pièce, allergique aux gesticulations sur les réseaux sociaux, et dont la cote de popularité est peu brillante dans le dernier sondage (18e classé).

Le sommet du parti n’est ni sourd ni aveugle aux cris de détresse :  » Il faut que le parti soit plus audible, plus « péchu » dans l’expression de ses convictions « , convient Hamza Fassi-Fihri. Sans aller jusqu’à perdre son âme. Ni pousser son président prématurément vers la porte de sortie. Aucun indice de bronca, encore moins de révolution de palais qui, même opérée dans les formes, serait du plus fâcheux effet.

 » Je n’entends personne dire au sein du parti : « Le président a fait son temps. » On laisse à Benoît le bénéfice de la jeunesse dans la fonction. Même si se pose la question de son appétence pour la présidence et du temps qu’il consacre à la tâche « , confie ce parlementaire. Il serait bon que se dissipent le malaise et le flottement perceptibles dans les rangs.

Le CDH ne sent pas encore le sapin. Mais des plans B trottent dans certaines têtes, en guise de planches de salut.  » Le paysage politique sera différent dans dix ans, un parti centriste y aura encore sa place. Mais ne devra-t-il pas nouer des liens avec d’autres pour atteindre une taille plus réaliste ? « , s’interroge cet élu bruxellois, en louchant sur un voisin.  » Le CDH et DéFI ont des problèmes existentiels comparables : passage de génération, défi de l’ancrage bruxellois.  »  » Il n’y aurait rien de honteux à cela. Un parti centriste tel que le CDH aujourd’hui n’a de toute façon plus de sens « , appuie Régis Dandoy. De là à le rendre soluble dans un grand mouvement centriste : pour le MR nommé Louis Michel, c’est quand on veut…

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