Thierry Fiorilli

Lunes de fiel

Thierry Fiorilli Journaliste

La férocité, c’est comme la liberté : plus on vieillit, plus on en jouit. La preuve par Luc Delfosse. Dont les nouvelles font gicler fiel et jubilation en un même geyser. Et ça fait du bien. Du moins, si on se considère être à l’abri de l’éruption.

Ça commence fort, avec la citation, en page 4 : « Vieilles gredines, forbans cacochymes ! Sachez qu’il n’est jamais trop tard pour vivre, pour aimer, pour pleurer et pour moucher les imbéciles qui vous ont tordu l’existence. (graffiti signé « L., 98 berges aux cerises » sur le mur des toilettes (Femmes) de l’Hospice de A.) »

Et ça continue, au fil des sept nouvelles qui fusent comme missiles sur leurs proies. Ce recueil, c’est un bouquet de nerfs. L’auteur, Luc Delfosse, un type avec des mains larges comme les pales d’une moissonneuse-batteuse, mille vies en bandoulière, le c£ur comme les résilles des danseuses de saloon et l’obstination rageuse d’en découdre avec tous les médiocres du monde, possède cette extraordinaire faculté, à la plume comme à la ville, de passer avec la même virtuosité, dans une même phrase, de l’auge aux cochons au lit à baldaquins, avec crochet par la cantine des hussards.

Ceux qui le lisaient dans Le Soir savent que, quand Delfosse fâché, Delfosse sulfater. Tarif identique pour tout le monde, puissants et badauds, de quelque bord que ce soit. Et ce n’est pas parce que l’ex-rédacteur en chef de Béatrice Delvaux aurait un peu blanchi sous le harnais qu’il s’est ramolli. Son Et ta mère ! annonce ainsi que, « si Jeanne Calment avait pu lire cette compilation ravigotante, cet hymne à la décrépitude dans la joie, la bile et l’allégresse, aucun doute qu’elle serait toujours parmi nous ! » On confirme. Chacun de ses personnages est plus proche du ponant de sa vie que du levant mais Henriette Vanoverbeke, née Laverge, Lili et Hippolyte (« cousins à la deuxième boutonnière et par consistance de chêne »), Albert II, la femme (partie) de Jean-Jules, l’écrivain Joseph-Henri et « je » illustrent, chacun leur mode, que la vieillesse ne s’apparente pas forcément à un naufrage. Ni à une reddition.

Luc Delfosse raconte des histoires qui sentent le foin, le cheval de trait, l’arsenic et le chocolat chaud, largement inspirées de ses innombrables quotidiens, sans les affubler de morales mais impitoyables pour les mesquins (certains, dont « le Premier ministre le plus tarte de toute l’histoire du royaume, pourtant si riche en demi-sel, quart de portion, tiers tricheurs, poly-andouilles multirécidivistes », s’y reconnaîtront). Il y rappelle aussi, souvent truculent, parfois dévasté, qu’entre l’amour et la haine, le vaudeville et la tragédie, le beau et le laid, le pur et le vil, la tranchée est dérisoire. D’autant qu’elle se fait volontiers ponton. A tout âge.

THIERRY FIORILLI

« Et ta mère ! » Luc Delfosse, Onlit Books, 92 pages, uniquement téléchargeable (2,99 euros) sur http://onlite.net

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