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Luke Michel et Dark De Wever, la guerre des étoiles 2015

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Star Wars domine les écrans en cette fin d’une année marquée par la montée en force de la Suédoise en Belgique. Eminemment politique, la saga de Lucas est une métaphore de notre monde politique. Tentative de transposition. Pas si ludique que cela…

En cette fin 2015, voici le « Réveil de la Force ». Impossible de passer à côté du retour de Star Wars sur les grands écrans, tant il est accompagné d’un marketing surpuissant généré par la Walt Disney Company, nouvelle propriétaire de la saga. De l’entertainment puissance dix ! S’il est dans l’air du temps des blockbusters hollywoodiens, ce nouvel épisode diffusé en plein choc post-traumatique des attentats de Paris rappelle aussi combien Star Wars est une saga éminemment politique. Son univers, constamment tiraillé entre les côtés lumineux et obscur de la Force, évoque la lutte du Bien contre le Mal au niveau géopolitique. Mais il n’est pas non plus sans rappeler le jeu de rôles constant entre le Premier ministre, Charles Michel, et le président de la N-VA, Bart De Wever, au sein de la Suédoise.

« Comme bien des expressions de la culture populaire, Star Wars peut aussi être lu de façon très politique, acquiesce Björn-Olav Dozo, professeur à l’université de Liège, spécialisé dans les différentes facettes de ces expressions culturelles et récent auteur d’une conférence sur le personnage de Dark Vador. Dans la première trilogie, l’Axe du Mal, c’était l’Empire soviétique. Au fil du temps, la menace a évolué vers quelque chose qui se rapproche du terrorisme. L’épisode de 2005 reproduisait un imaginaire post-11 Septembre. Le Réveil de la Force sera immanquablement marqué par le contexte de sa période de production. » Une époque au cours de laquelle l’Etat islamique a accompli ses horreurs et trusté tous les écrans télévisés du monde, obligeant les démocraties occidentales à adapter leurs législations pour se protéger.

« La saga de Star Wars raconte la naissance d’une dictature élue démocratiquement, résume Nicolas Buytaers, animateur de l’émission politico-humoristique « Un Samedi d’enfer » sur la RTBF, après avoir été le Monsieur Cinéma de RTL-TVI. Dans le premier épisode de la trilogie initiale, il y a des troubles, des tensions avec le monde bancaire et commerçant. Dans le deuxième épisode, le Sénat galactique, une forme d’ONU, décide de créer une armée de clones pour tenter de régler les problèmes. L’épisode trois, c’est la guerre. Palpatine devient un dictateur élu démocratiquement. On append en outre que c’est lui qui a fomenté les troubles. Aujourd’hui, dans la réalité, nous n’en sommes qu’au premier épisode : il y a des troubles, à savoir des attentats, des tensions, et l’on tente de réagir démocratiquement. Dans la réalité, il ne s’agirait pas de basculer vers les épisodes deux et trois. »

Sans verser dans la théorie du complot, fort présente dans la saga, certains partis ultra-conservateurs n’hésitent pas, dans un monde réel bousculé par les attentats et la crise des migrants, à profiter des circonstances pour pousser leur agenda et mener des politiques plus dures, inimaginables il y a quelques années. « Ce qui s’est passé en France avec la vague bleue marine, stoppée par un sursaut républicain (Ndlr – plus justement analysé comme un « sursis républicain » en une du Monde), c’est précisément ce que dénonce Star Wars », estime Buytaers.

En Belgique, l’année 2015 a été outrageusement dominée par la Suédoise au gouvernement fédéral. Charles Michel s’est définitivement imposé comme Premier ministre à la tête d’une coalition qui avait anticipé une réponse à la menace terroriste dans son accord de gouvernement. Le pire a été évité à Verviers et à Bruxelles, tandis que la majorité de centre-droit déployait l’armée dans les rues et multipliait les plans serrant la vis sécuritaire. Resté président de la N-VA et bourgmestre d’Anvers, Bart De Wever a quant à lui frisé en permanence avec le « côté obscur de la Force » en proposant de revoir la Convention de Genève, qui définit le statut de réfugiés, ou en appelant à un Patriot Act pour protéger les Belges.

Luke Michel et Dark De Wever, la guerre des étoiles 2015
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Grand connaisseur de Star Wars, Nicolas Buytaers a accepté de se jouer au jeu de la comparaison – avec toutes les limites propres à l’exercice – entre les personnages de la série et ces membres de la Suédoise déchiré entre la Lumière et l’Ombre. « Luke Skywalker, ce ne peut être que Charles Michel », sourit-il. Né d’une lignée royale dont il se départira, le héros de la série est naïf (faussement), jeune, fougueux et prêt à chercher en lui les ressources pour s’affranchir de ses mentors et vaincre les méchants. Jusqu’à se battre contre Dark Vador, dans un combat final qui s’apparente à cette « décision la plus difficile de ma vie d’homme » prise par Charles Michel lorsque Bruxelles est passée sous la menace de niveau 4, en fin d’année. « Bart De Wever, lui, ne peut être que Dark Vador, poursuit Nicolas Buytaers. Mais pas celui de l’entièreté de la saga, plus précisément celui de l’épisode 4, quand il est l’incarnation parfaite du côté obscur de la Force. »

Luke Michel et Dark De Wever tirent les ficelles de la coalition, le premier en dirigeant son ‘kern’ avec fermeté et diplomatie, tandis que le second rappelle régulièrement sa majorité à l’ordre en lançant des brûlots, des débats d’idées, parfois à la lisière de l’antidémocratique. « Comme dans Star Wars, il y a toujours une forme d’attraction de ce côté obscur, analyse Nicolas Buytaers. On a toujours l’impression que Charles Michel défend Bart De Wever sans le mentionner. C’est la preuve que la N-VA domine ce gouvernement. Dans L’Empire contre-attaque, Luke Skywalker est attiré, puis il se rend compte de son erreur. C’est le « Je me suis trompé » de Charles Michel… » Une interaction ambiguë qui s’explique, aussi : le MR est parfois tout heureux de voir la N-VA s’emparer de thèmes qui séduisent son électorat plus conservateur.

« Charles Michel en Luke Skywalker et Bart De Wever en Dark Vador ? Je vous laisse la liberté de la comparaison », s’amuse le professeur Björn-Olav Dozo. Son analyse du personnage d’Anakin Skywalker alias Dark Vador est toutefois de nature à confirmer la comparaison avec le président de la N-VA . « C’est sans doute le personnage le plus politique de la saga et son véritable héros, dit-il. C’est un personnage torturé, dont toute la psychologique est marquée par cette attraction du côté obscur de la Force. » Un personnage complexe, qui fait de la défense de la République sa priorité, mais qui n’est pas à l’abris de bêtises voulues ou de provocations… De Wever, vous dit-on…

Jar Jar Binks
Jar Jar Binks© DR

Les autres personnalités clés de la Suédoise pourraient également trouver leur transposition dans l’univers galactique. « Jacqueline Galant, c’est évidemment Jar Jar Binks, poursuit Nicolas Buytaers. C’est le héros le plus détesté par les fans de la saga. Maladroit, il commet boulette sur boulette. Mais il tient bon, il est toujours là, comme Jacqueline Galant.

Han Solo
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Chewbacca
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Didier Reynders pourrait être Han Solo. C’est dernières semaines, il s’est démené pour redorer le blason de la Belgique. Mais Han Solo, c’est un anti-héros, un contrebandier qui a toujours un caractère ambigu. Ce n’est pas un méchant, pas un gentil, il est toujours entre les deux. On pourrait imaginer Daniel Bacquelaine en Chewbacca, son fidèle compagnon qui le suit partout. Jan Jambon pourrait être Wilhuff Tarkin, Grand Moff de l’Empire galactique et commandant du projet de l’Etoile Noire, un personnage sec, aux ordres de Vador. C’est quelqu’un qui a des idée bien arrêtées et qui n’hésite pas à mener une politique dure. Theo Francken serait ce personnage un peu obscur qui se trouve dans l’ombre de l’empereur, un membre de la garde impériale tout de rouge vêtu, figé. »

Princesse Leia
Princesse Leia© DR
Yoda
Yoda© DR

Star Wars étant une saga pauvre en personnages féminins, il faut faire preuve d’un peu d’imagination pour transformer la princesse Leia et sa mère Padmé Amidala en Maggie De Block, ministre Open VLD des Affaires sociales, et Gwendolynn Rutten, présidente des libéraux flamands. « Dans Stars Wars, ce sont deux personnages très purs et irréprochables, même si l’une et l’autre tombent amoureuses de voyous », rappelle l’animateur de la RTBF. Ultra-populaire, en tête des baromètres de popularité dans les trois Régions du pays, « Maggie » est précisément l’incarnation aux yeux du public d’une politique « pure », pragmatique, qui apporte des réponses… « Obi-Wan Kenobi, c’est le père de Charles Michel avec qui il partage la barbe, complète encore Nicolas Buytaers. C’est Louis Michel qui a tout appris à son fils. Qui-Gon Jinn serait Jean Gol. Alors qu’il est mort il y a vingt ans, il est encore bien vivant parmi les ténors du MR. Yoda, le plus sage des sages, ne serait autre qu’un Herman de Croo qui a tout vu, tout connu et qui regarde les crises avec philosophie et une pointe d’humour. »

Quinlan Vos
Quinlan Vos© DR

Pour les spécialistes des spécialistes, l’ancien Monsieur Cinéma va même trouver une métaphore du vice-Premier ministre CD&V Kris Peeters dans l’univers étendu de Star Wars – cet ensemble de BD, romans et autres jeux qui composent l’intégralité de la saga. « Ce ne pourrait être qu’un chevalier Jedi à la fois attiré par les côté lumineux et obscur de la Force. Dans les films, cela n’existe pas. Mais dans l’univers étendu, ce serait un Jedi de formation, qui rejoint le côté obscur puis qui revient: Quinlan Vos. » Et nos interlocuteurs de nous mettre en garde contre toute erreur dans la description des noms : aux yeux des nombreux fans de Stars Wars, cela se paye d’un discrédit immédiat. Diantre…

La Suédoise mode Star Wars ? Même l’histoire de cette entreprise cinématographique hors-norme est une métaphore de la génération MR-N-VA-Open VLD- CD&V au pouvoir. « Dans les années 1970, quand le premier Star Wars est sorti, on sortait d’un cinéma de papa lié aux grands studios, conclut Nicolas Buytaers. Une nouvelle génération de cinéastes indépendants – les Spielberg, Lucas, Coppola, Scorsese… – ont pris l’ascendant. C’était une génération générée par la Nouvelle vague française qui avait envie de tout bousculer. Ils tournaient à l’extérieur, racontaient des histoires plus contemporaines… Pour sortir Star Wars, Lucas ne demande pas un salaire très élevé, mais il réclame 100% des droits de marchandising. Ils ont révolutionné l’industrie du cinéma. De même, en politique belge, la nouvelle génération emmenée par Charles Michel veut faire bouger les choses, même si ce sont pour beaucoup des « fils de ». Comme leurs parents, ils font des arrangements entre eux. Mais ils tiennent un discours plus moderne, c’est certains, et ils intègrent les nouveaux codes de la communication. »

En cette fin 2015, la Suédoise rêve elle aussi d’être ultra-populaire grâce à son « Réveil de la Force »…

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