Luc Delfosse

Luc Delfosse : « Comment j’ai fait la sieste à Ventejouis »

Luc Delfosse Auteur, journaliste

Ni Hulot, ni Noé, ni Ulysse mais pardon : de sacrées vacances quand même ! Soudain, juillet était là, tout droit sorti de la cuisse d’un interminable novembre. Marc Wilmots n’était déjà plus qu’un souvenir gêné. Un gros chèque avait, comme de coutume, aidé à masquer le goût de rance que secrète l’ingratitude humaine. Bref, on pouvait partir sans tambour ni trompette. Une fois la frontière passée, on se laisserait dégringoler au pif.

Ah, passer ! C’était sans compter l’état désormais chronique d’urgence. La ligne de démarcation n’était que plots de béton, gyrophares, chiens et regards torves triant le suspect crépu et le moustachu bulgare. Cette nasse futile me faisait penser à ces retours de chais quand bon-papa, nerveux comme un cycliste appelé au contrôle d’urine après la Marie-Blanque et l’Aubisque, déclarait d’une voix bien trop forte au douanier qu’il n’avait précisément rien à déclarer. Mais c’était l’autre millénaire : l’Union n’était pas encore née ni forcément entrée en agonie avec pour seuls médecins des Robocops, des pilotes de bombardier, des technocrates figés, des sécessionnistes et des apprentis autocrates.

Et j’eus l’immédiate conviction que cette gazelle venait à tout le moins d’écraser de son talent le cent mètres haine

On poireauta ainsi allah – oh pardon ! – à la queue leu leu pendant une heure. Ensuite, malgré un ultime scintillement de mitraillettes au péage de Saint-Arnoult, ce fut proprement idyllique. Six cents bornes plus bas, on crapahuta à Pierre-Levée, on se raconta de très vieilles histoires à Le Barde, on psalmodia des orémus oubliés à La Capelle. A Glandon, on pouffa avec des blagues idiotes sur Albert II et quelques rois aux peignoirs fainéants. Il y eut aussi des Lacombe, des Lagarrigue mais aussi – ventre saint gris ! – un Vertu. A Bessédé, Pérec surgit des mémoires :  » Il était tueur de mots : il travaillait à la mise à jour des dictionnaires Larousse…  » On pique-niqua à la Baffrerie (juste au mitan de Litre et du Goulot) avant une sieste mémorable à Ventejouis.

Là, divine surprise, un signal wifi musardait. Je lus qu’à Anvers, Bart Martel avait laissé passer deux termes absolument inusités :  » Acte patriote  » et  » Etat de droit « . Encore pour fustiger le Sarrazin, ce damné de nos guerres. Mais j’ai souri en repensant à ce qu’écrivait l’immense René Char :  » Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux.  » Tout espoir n’était peut-être pas perdu. Du coup, on poussa jusqu’à Curemonte où j’appris que, depuis la saignée de Saint-Etienne-du-Rouvray,  » les musulmans modérés  » (lisez  » normaux) n’avaient de cesse de consoler leurs  » frères  » cathos et que si ça ne tenait qu’à eux, ils forceraient les imams sanglants à lancer des Bulles d’amour plutôt que des fatwas de chacal. M’est hélas d’avis que ce n’est pas demain que l’on ira guincher au bal mosquée.

A Cabre perdu, à la terrasse de  » La Génisse qui tousse « , j’achevai, sens en feu, L’amie prodigieuse d’Elena Ferrante, entrée illico dans mon panthéon aux côtés de Harrison, Auster, Dard, Flaubert, Fante et quelques autres sertisseurs de mots. Possédé, j’allai buter sur le comptoir et tombai nez à nez avec une télé muette. J’y vis l’image d’une jeune reine de Saba. Elle courait dans un stade, un drapeau belge en cape. Le bandeau rouge qui défilait m’apprit qu’elle venait de remporter l’heptathlon de Rio. Et j’eus l’immédiate conviction que cette gazelle venait à tout le moins d’écraser de son talent le cent mètres haine. Rentrer serait un tout petit peu moins pénible.

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