© Raffaello Sanzio

Love coaching café

Des anonymes qui dévoilent, en public, leurs déceptions sentimentales. Une conseillère qui les mène vers des lendemains plus roses. Le « love coaching café » débarque en Belgique. Percutant.

Sont-ils tous désespérément seuls ? Ou juste mal casés ? Difficile à dire, au juger. Un peu fébriles, plus hilares que naturels, une centaine d’hommes et de femmes (le féminin l’emporte, et de loin !) remplissent de leur brouhaha tout en cliquetis de cuillères et en slurps de bières la grande salle du Bazaar, une taverne du bas de la ville.

C’est la première fois qu’un « café-diagnostic amoureux » est organisé en Belgique, et l’on se presse au portillon – d’autant que la participation est gratuite, hormis les consommations. Partout ailleurs dans la francophonie, jusqu’en Suisse et au Québec, et surtout en France, où le concept a vu le jour voici un an, les soirées font salle comble. Des célibataires, des couples, des jeunes, des vieux, des riches, des pauvres forment l’assemblée des spectateurs-témoins-intervenants, tout un bataillon de blessé(e)s des sentiments, qui viennent tenter de saisir, autour d’un verre, pourquoi, malgré leurs efforts permanents, « l’affaire », chez eux, n’est jamais dans la poche. Pour l’heure, les retardataires se ruent sur les dernières chaises libres. « Ça marche du feu de Dieu », évalue Bénédicte Ann, d’un rapide coup d’oeil sur la misère affective (« toujours la même, à Montréal, Genève ou Bordeaux ») de ce public bruxellois qu’elle entend vite réchauffer de ses propos pertinents…

Drôle de petite personne, en vérité. Française, psychologue de formation, âgée d’une quarantaine d’années – elle refuse de préciser -, auteure de plusieurs guides pratiques pour trouver (et garder) l’âme soeur, la créatrice et animatrice des « love coaching cafés » percole une énergie rare, directe et délicieuse, au moral de ses interlocuteurs, dès qu’elle s’empare du micro. Pour mieux capter ses confidents d’un soir, elle a fait augmenter l’éclairage, qu’elle promet de tamiser plus tard, durant les « moments d’échange ». Haut perchée sur son tabouret, joviale dans son habituel blouson de cuir, elle fixe les consignes : quand elle abordera les « analyses de cas » avec des volontaires, elle attend de la salle qu’elle se montre « empathique, généreuse, respectueuse ». « On ne glousse pas, on ne se moque pas. Et que tout ça reste entre nous, dans la mesure du possible. » Parce qu’en dépit de la cohue cette rencontre d’individus, qui livreront beaucoup d’eux-mêmes, est terriblement intime et émouvante. « Tout à fait non conventionnelle », avait précisé Bénédicte Ann d’entrée de jeu, en décrivant sa méthode originale : par un feu de questions ciblées, aller chercher chez l’un, puis chez l’autre, le fameux blocage existentiel, l’identifier, et le « pulvériser ». Une sorte d’interrogatoire rapide mais bienveillant, qui laissera la personne, et même souvent toute l’assemblée, KO assis, tant l’analyse paraît lumineuse. « Je veux bien transmettre des généralités sur l’amour, explique- t-elle. Mais ça ne vous aidera pas à y voir clair. C’est mieux d’aller plus loin. Naturellement, ça m’oblige à creuser dans vos histoires personnelles. Parce que vous êtes tous là, n’est-ce pas, pour comprendre pourquoi, quand vous secouez le prunier, rien ne tombe. » Et c’est parti. Pour deux heures d’improvisation totale, devant cet auditoire pendu à ses lèvres, qui ne sait plus (depuis combien de temps ? Des années, parfois !) comment avancer en amour, malgré son incommensurable besoin de tendresse, et tout à la fois motivé et empêtré dans d’infinies maladresses.

« Piqûre de rappel »
Il y a là, côte à côte, une jolie Marocaine qui confesse son problème sans fausse pudeur – elle « couche trop vite » -, une mamie en tricot qui, malgré ses vieux os, voudrait encore bien « conclure », et un jeune homme de 32 ans « quasi puceau ». Il y a aussi Pascaline, qui vient de Tirlemont pour recevoir ici « sa piqûre de rappel », elle qui chérit l’oratrice, pour avoir dévoré tous ses livres, avant de la rencontrer en privé – Bénédicte Ann donne des consultations individuelles (60 euros l’heure), entre deux conférences, presque à la sauvette, autour d’un café dans une gare. Retiennent aussi leurs souffles : une foule d’anonymes attentifs, qui partagent en secret des souffrances qu’on devine similaires. Soudain, les questions fusent, venant des moins timoré(e)s : « Où sont les hommes prêts à m’aimer ? », « Quand quelqu’un m’attirera-t-il vraiment ? », « Comment éviter que ça foire systématiquement après trois mois ? », « Pourquoi mes copines téléphonent-elles encore à leurs ex ? », « Si je fais tout bien, est-ce qu’il va enfin se décider ? »… Comme pour un échauffement, qui sert autant à mettre en confiance qu’à faire prendre conscience qu’on progresse ensemble en terrain connu, Bénédicte Ann reformule adroitement les interrogations, en un tutoiement qui ne choque personne : « Tu te demandes pourquoi les hommes te quittent, lance-t-elle à une dame en chignon. La vraie question est : pourquoi inconsciemment cherches-tu toujours des hommes qui finissent par te quitter ? » Là. Voilà le cheval de bataille de la coach : faire ressortir, par une extraordinaire maïeutique, ces vilaines choses issues de l’enfance qui, si l’on n’y prend garde, risquent fort d’empoisonner ad vitam nos scénarios amoureux. Les éloignements, les absences, les divorces, les favoritismes, les jalousies, les prises de pouvoir perverses d’un père, d’une mère, d’un frère toxiques, tous ces drames familiaux marquent en effet au fer rouge nos parcours affectifs. « Chacun se construit ensuite par identification ou opposition. D’espoir en rejet, de passion dévorante en fiasco retentissant, de longue phase de célibat en monotonie conjugale, de thérapie décevante en refus de prendre sa part de responsabilité, les uns refusent d’avancer, les autres s’arc-boutent sur leurs appréhensions », constate Bénédicte Ann. Et voilà pourquoi on recommence, en pestant, les mêmes gaffes d’amour.

Maniant l’humour, ménageant des pauses où chacun médite, quelques instants, sur divers thèmes (le syndrome du bon copain, les bad boys et les Cruella…), l’animatrice passe de table en table, avant d’aborder la pièce de résistance, l’analyse publique de quelques cas, choisis au hasard parmi les doigts qui se lèvent dans l’assemblée. Va pour Sonia, belle femme dans la quarantaine. Son histoire ressemble à beaucoup d’autres : des hommes adorés l’ont chaque fois trahie. Elle voudrait découvrir pourquoi ce schéma s’est souvent reproduit dans sa vie. « On va essayer de comprendre ça », promet Bénédicte Ann. Et hop, direction la boîte aux souvenirs. Questions et réponses se croisent, du tac au tac. La coach se concentre, fore en profondeur. Dresse un portrait de la fratrie. Teste des hypothèses, les yeux fermés, pour mieux s’y retrouver. S’excuse de s’égarer parfois. Vérifie si ses interprétations tiennent la route (« Tu me dis si je me trompe »). Cette « absurde loyauté », ce « manque de respect pour soi-même » sont-ils « plausibles, parlants » ? Oui, ça parle. Ça hurle, même ! Et ça glace l’auditoire, en un sens, tant ces n£uds mis au jour se révèlent tout à coup évidents. La relation à trois « mari-épouse-maîtresse », où se trouve perpétuellement engluée « la » témoin, renvoie à une désagréable situation d’enfance. Mais une porte s’est ouverte, où l’espoir d’un remue-ménage luit, même s’il devra lui en coûter – « en ténacité, pour quitter le confort de la répétition du même »…

Il arrive que certains volontaires ne jouent pas le jeu, renâclent, mentent, tournent autour du pot, taisent des infos essentielles au dénouement de leur pelote privée. Bénédicte le sent – et la salle également : elle prend alors congé, gentiment, de ceux qui résistent au changement. Il arrive aussi que des larmes coulent, à force de brasser tant de colères ou de chagrins enfouis si loin. « Je sais alors que je suis dans le bon », confie Bénédicte Ann. A tous, elle propose des solutions, des plus basiques aux plus complexes – libre à chacun de suivre ses conseils sensés, pour retrouver autonomie et self-estime. Mais elle n’est pas seule à convaincre. Quand tout un groupe acquiesce à ses diagnostics judicieux, quand 50 ou 100 personnes, dans votre dos, vous manifestent qu’en amour vous vous êtes fourvoyé depuis l’adolescence, comment encore en douter ? Et comment ne pas savourer, enfin, cette insoupçonnable nouvelle liberté ?

VALÉRIE COLIN

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