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Louvain-La-Neuve : contre l’alcoolisme, la lutte s’organise

Le Vif

Sur le campus, la boisson coule à flots ? Sans doute. Mais la lutte s’organise contre les abus. L’alcoolisme demeure pourtant un vrai problème. Enquête.

C’était il y a six mois. Les recherches avaient duré cinq jours. Avant que le corps sans vie de Nicolas Robin, 19 ans, soit retrouvé dans le lac de Louvain-la-Neuve. « On ne sait pas exactement ce qui s’est passé, nous dit-on dans les milieux étudiants proches de la victime. Mais toutes les personnes qui l’ont croisé ce soir-là s’en veulent… » Du côté de la police, on est un peu plus explicite. « Il est de notoriété publique qu’il avait bu. Il était saoul et sortait d’une soirée alcools forts. Il s’est mis en danger tout seul. »

Affranchis de l’autorité parentale

« Tous les étudiants ne sont pas saouls 24 heures sur 24 », précise Kévin Pirotte, co-président de l’Association des étudiants de Louvain (AGL). « On n’a pas 25 000 ivrognes sur le campus », confirme Maurice Levêque, commissaire divisionnaire d’Ottignies-LLN. Le premier combat consiste donc à lutter contre les mythes. Et à mettre en perspective la situation de Louvain-la-Neuve. « Je ne pense pas que ce soit un fléau spécifique au campus de l’UCL », insiste Didier Lambert, vice-recteur aux Affaires étudiantes.
Les conséquences de l’alcoolisme sont pourtant nombreuses à LLN et dans ses environs : agressivité, dommages cérébraux, dégâts matériels, nuisance sonore, décrochage scolaire, dépendance… En débarquant sur le site, les jeunes se retrouvent affranchis de l’autorité parentale. Ils découvrent la vie en kot et les cours non obligatoires. Tous les soirs, ils peuvent faire la fête. Partout, la boisson est à leur disposition.

La guerre que se livrent AB InBev et Alken Maes en témoigne. « C’est une grosse rivalité car nos produits sont assez similaires, explique Edouard Grison, représentant commercial pour AB InBev. Il faut qu’on soit présent sur le campus car les jeunes sont les clients de demain. Mais ce n’est pas facile : les étudiants ne sont souvent intéressés que par le prix. Ils veulent boire le plus possible et le moins cher possible. »

Contre l’alcoolisme, la lutte s’organise. Elle ne date pourtant pas d’hier. Dès les années 1990, l’UCL se préoccupe du phénomène. Le contexte est marqué par différentes évolutions : croissance de la ville, sensibilisation accrue à l’impact de l’alcool sur la santé et méthodes de plus en plus agressives des alcooliers. Une mesure-phare est prise : la création de la charte AUNE (Animation universitaire étudiante). Ce contrat, négocié entre l’université et les responsables de l’animation, établit différentes règles qui concernent aussi bien les horaires de soirée que la gestion du bruit ou de la propreté.

Problème : la charte AUNE n’a pas de force juridique. Lorsque la police débarque en fin de soirée pour demander le calme, on lui rit parfois au nez… Il y a trois ans, le commissaire Maurice Levêque débarque dans la commune. L’homme veut serrer la vis. Dans la foulée, un règlement de police vient baliser le cadre de l’animation néolouvaniste. Et faciliter le travail des policiers. « Globalement, les étudiants ont joué le jeu », constate le policier.

Problème réglé ? Non. Malgré les efforts, l’agressivité s’invite encore fréquemment au bar. La faute à qui ? « Les responsables ne sont pas toujours responsables, regrette le commissaire Levêque. Ça m’a parfois révolté de les voir enivrer les gens en prenant leur argent. Ceux-là sont des businessmen ! » Il n’empêche, les progrès sont nets. Impliqués dans les organes de concertation, formés, particulièrement sensibilisés, les responsables des cercles et autres fédés sont généralement de véritables alliés dans la lutte contre les dérives. Ce qui n’est pas toujours le cas du reste de la troupe.

Le problème ? Les before !

En fait, le principal fléau est ailleurs : les pré-soirées. Ces before passées dans un kot anonyme, avec quelques bouteilles de vodka. On y pratique le binge drinking. En clair : on fait la course à l’ivresse… « Il y a quatre ans, les gens arrivaient en soirée vers 21 h, sobres, raconte Elodie Koch, ancienne présidente du cercle de Droit. Aujourd’hui, certains débarquent vers minuit et demi en étant déjà bien éméchés. Les bagarres peuvent alors se déclencher… »
Le problème est complexe. Impossible, en effet, de contrôler la consommation de jeunes à l’intérieur des kots. Et puis, les tentateurs rôdent. Les alcooliers n’hésitent pas à débarquer sur les campus. Des contrats mirobolants ont parfois été conclus avec certains cercles. « Pour des jeunes de 20 ans, il est difficile de résister quand on vous propose 3 000 euros cash et 200 bouteilles gratuites », constate Martin de Duve, directeur de l’asbl Univers Santé.

Discrètement, les alcooliers font du porte-à-porte. Ou plus spectaculairement, ils sponsorisent des soirées. « C’est parfois de la beuverie, souligne Elodie Koch. Ils offrent gratuitement de l’alcool et des filles dénudées. » Le phénomène interpelle la police comme les autorités universitaires. Toutes admettent leur impuissance. « On marque systématiquement notre désapprobation, souligne Didier Lambert. Et les alcooliers rappellent la légalité de leur action. Comment se fait-il que notre législation permet cela ? »

Serrer la vis ?

Dès la rentrée, plusieurs nouveautés verront le jour, comme l’interdiction de vendre des spiritueux dans les lieux d’animation. Autre mesure : la prochaine augmentation du prix de la bière dans les cercles, de 90 cents à 1 euro. D’autres idées circulent. Mais les réticences se manifestent aussitôt. Centraliser les lieux de fête en un endroit unique ? « Ça ferait un peu fosse à bétail ! » Augmenter drastiquement les prix ? « Cela ne ferait que déplacer le problème. » Une autre piste : ne faudrait-il pas prévoir, et appliquer, des sanctions plus sévères ? « Ce serait un cercle vicieux, souligne Maurice Levêque. La répression n’est pas la solution. Cela n’aurait aucun sens de mettre un flic dans chaque quartier de LLN. »
Un mot revient : la sensibilisation. Elle passe par l’éducation. « Nous voulons que leur passage par l’université permette aux jeunes de réfléchir au sens qu’ils veulent donner à leur existence. Un étudiant devrait connaître l’effet d’un binge drinking sur ses capacités d’apprentissage », explique Didier Lambert. Martin de Duve abonde : « Il faut modifier certaines représentations collectives. Aujourd’hui, il est parfois peu admis de boire un soft en soirée. Cela doit changer ! Nous devons travailler sur cette survalorisation de l’ivresse. A long terme, c’est la stratégie la plus efficace. » Vaste projet. Chaque année, de nouvelles générations débarquent sur le site. Le travail est alors à refaire. « L’affaire Nicolas Robin ? Cela pourrait encore arriver dans deux mois », nous dit ce responsable estudiantin.

Vincent Delcorps

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