Christine Laurent

Loopings et sauts périlleux

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

C’EST UNE QUESTION D’ÉQUILIBRE. AU MILLIGRAMME PRÈS. Au point que si une poussière, malencontreusement, venait à s’y déposer, elle ferait s’écrouler tout l’ensemble.

Même s’ils affichent un moral au beau fixe, les négociateurs n’en mènent pas large ces jours-ci. Discrétion, gants de velours, silence, il s’agit de transcender les divergences, de calibrer les interventions pour éviter les erreurs funestes. Les compromis à dégager sont d’une rare complexité et tous jouent gros dans cette affaire. A commencer par le CD&V. En se libérant de la tutelle de la N-VA, il a pris des risques énormes. Certes, en signant l’accord du 22 juillet, en endossant à nouveau un rôle de parti responsable et de véritable soutien de l’Etat, il a redoré son blason, sérieusement écaillé depuis les dernières élections. Mais il ne peut se permettre le moindre dérapage, la N-VA n’en ferait, alors, qu’une bouchée. Et puis on connaît les électeurs, tous des ingrats ! Pas sûr que la posture paie encore face aux rodomontades d’un Bart De Wever.

Avant de se mettre à table, Wouter Beke a donc posé ses exigences. Tous les sujets sensibles, ceux qui fâchent ont été encommissionnés. Ainsi les compensations avancées par les francophones pour la scission de BHV. Pareil pour la loi de financement, le transfert de compétences, etc. ? Un jeu de godille à l’aveugle particulièrement périlleux. D’autant plus que, derrière l’institutionnel, se profile le socio-économique. Là aussi, le président du CD&V doit se couvrir par rapport à la N-VA qui flirte avec la droite radicale. Certes, sur ce flanc-là, il peut bénéficier de l’appui de l’Open VLD et du MR. Mais nul doute que le SP.A et Groen ! naviguent à gauche. Tout comme le PS et les Ecolos… Et le CDH ? « Joëlle Milquet est fondamentalement antilibérale. Rien que le mot « libéralisme », ça l’indispose. Les coalitions formées depuis 2004 montrent de sa part un choix préférentiel pour le PS. Moi je pense que ceux qui roulent pour le PS finissent toujours par être roulés par le PS », analyse dans Le Vif de cette semaine le sénateur MR, ex-président du PSC, Gérard Deprez. Faux, prétend la présidente du parti humaniste qui revendique un ancrage centriste : ni de gauche, ni de droite ! « A mon avis, l’échec de Joëlle Milquet, c’est que son parti du centre est devenu un parti de centre gauche », insiste Gérard Deprez. De fait, la proximité et la complicité à peine voilées de la présidente avec Elio Di Rupo ont largement contribué à brouiller l’image. « Le CDH scotché au PS », une étiquette que devra tenter de décoller son successeur, Benoît Lutgen, s’il veut recentrer le parti, ainsi que le démontre notre enquête.

Pas simple, le centre. Un ventre mou, comme le prétendent certains ? On s’y bouscule pourtant. Ainsi Olivier Maingain qui se dit « réformateur social » (lire page 42). Ou le MR et les Ecolos, qui espèrent bien séduire les déçus du CDH. Il paraît que c’est pareil au Nord. Karel De Gucht n’affirmait-il pas au Vif le 10 décembre dernier, qu’ « une majorité de Flamands, tout comme les Wallons, sont partisans d’un Etat providence et d’une protection sociale élargie » ? D’où la course effrénée des partis pour séduire la classe moyenne. « La société flamande est beaucoup moins polarisée qu’il y a vingt ans. […] Il est hautement improbable qu’il y ait beaucoup de place à prendre loin du centre pour le CD&V, l’Open VLD et même le SP.A », expliquait récemment, dans De Morgen, le chroniqueur Walter Pauli.

Trouver les sacro-saints compromis tant attendus sans la N-VA exige certes de la virtuosité. Mais en ramenant la balle au centre, et pour autant que le centre droit y trouve son compte, les négociateurs peuvent lâcher grands écarts, sauts périlleux et loopings. Enfin, du moins pour le moment.

CHRISTINE LAURENT

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire