Laurence Van Ruymbeke

Lippens inculpé : la justice fait son travail

Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

C’est un signal. Et, dans le brouillard blanc de ce début d’hiver, presqu’une petite lumière : en Belgique, la justice fait son travail. Sans opérer de distinction entre les citoyens, dès lors que quelque chose leur est éventuellement reproché. L’annonce de l’inculpation de Maurice Lippens dans le cadre du dossier de la débâcle de Fortis, après quatre ans d’enquête, c’est d’abord cette réaffirmation-là. Et son délicat tintinnabule fait du bien, au milieu de l’assourdissante antienne selon laquelle les puissants, ici, ne risquent rien.

Inculpé, Maurice Lippens, ancien président de Fortis désormais dans la même situation judiciaire que Jean-Paul Votron, ex-administrateur-délégué, Gérard Mittler, ancien directeur financier, Herman Verwilst, ancien directeur général, et Filip Dierckx, ex-président de Fortis Banque, n’est pas condamné. La justice doit à présent poursuivre son oeuvre, et, peut-être celle-ci débouchera-t-elle sur un procès devant le tribunal correctionnel. En attendant, les cinq inculpés ont désormais accès au dossier qui les concerne, ce qui leur offre – et là encore, c’est justice -, la possibilité de se défendre au mieux.

Ce qui est en jeu, derrière ces inculpations, ce n’est pas la recherche de boucs émissaires. Ce n’est ni plus ni moins que la recherche d’une vérité à laquelle les actionnaires trahis, les épargnants, et les Belges dans leur ensemble ont droit. Quelqu’un, ou quelques-uns chez Fortis, ont-ils menti en 2007 et 2008, afin de ne pas compromettre l’augmentation de capital nécessaire au rachat d’ABN Amro ? Ce géant néerlandais, co-acquis avec Santander et Royal Bank of Scotland, devait coûter quelque 24 milliards d’euros à Fortis, contrainte, du coup, à procéder à une augmentation de capital de 13,2 milliards d’euros. Quelqu’un, ou quelques-uns, chez Fortis, ont-ils délibérément choisi de minimiser le risque lié à la crise des subprimes pour ne pas faire fuir les actionnaires ? En septembre 2007, la direction affirme que le groupe ne subira l’impact de cette crise qu’à hauteur de 20 millions d’euros. Quelques mois plus tard, elle fixera la provision pour ce même risque à 4 milliards d’euros. On se souviendra aussi de la promesse d’un dividende à distribuer aux actionnaires, au début de 2008. En juin, la promesse sera pulvérisée par la réalité. La justice dira si les actionnaires ont été intentionnellement mal informés pour les inciter à collaborer à l’augmentation de capital ou pour soutenir le cours de l’action.
En septembre 2008, l’aventure s’était soldée par le sauvetage du groupe par l’Etat, en toute urgence, à coups de milliards d’euros. Avec l’impact que l’on sait sur l’augmentation de la dette publique. Jean-Paul Votron et Gilbert Mittler ont déjà été condamnés, en février dernier, par le tribunal d’Utrecht, pour information trompeuse. Et la commission des sanctions de la FSMA, régulateur des marchés bancaires et financiers, n’a pas encore terminé son travail d’enquête à l’égard de Jean-Paul Votron, Gilbert Mittler et Herman Verwilst. Tous risquent de lourdes amendes. Maurice Lippens, lui, a été blanchi dans cette procédure.

Que Maurice Lippens ait occupé, à l’époque des faits, une fonction non exécutive, comme l’avait souligné le tribunal néerlandais qui l’avait lavé de tout soupçon, n’importe guère, en réalité. Qu’il dispose ou non, comme il l’avoue humblement aujourd’hui pour se dédouaner, de solides compétences en matière financière ne pèse pas. La population attend simplement de cet homme, inculpé pour manipulation de cours, faux en écriture et escroquerie, qu’il assume désormais jusqu’au bout, voire jusqu’au pire, ses responsabilités. Quelles qu’elles soient.

Tout n’est pas permis, même dans les hautes sphères financières. Et on ne se moque pas impunément des gens, des actionnaires, des petits clients. Ni de l’Etat. A l’heure où tout vacille, c’est important à rappeler. Il se peut qu’à l’issue de cette longue procédure judiciaire, des personnes morales, dont Ageas, successeur du groupe Fortis, soient également condamnées. En attendant, le public se focalise sur des humains, connus, médiatisés, et peu suspects de connaître de rudes fins de mois : ils sont plus faciles à cerner. En bout de course, il serait idéal que les uns et les autres, désormais délivrés de tout secret, puissent se regarder en face. Et sans rougir.

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