Nicolas De Decker

Liège, une certaine idée de la gauche

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Jusque-là, les célébrations du 200e anniversaire de la naissance de Karl Marx décevaient. Mais, comme en 1917, un espoir des peuples se leva à l’Est, c’est de la métropole de l’orient wallon que rugirent, pour une gauche en désarroi, les flammes de l’espérance.

Jean-Claude Marcourt et Willy Demeyer, en effet, mirent à profit les dix premiers jours de mai pour donner au capitalisme mondialisé un coup de grâce. Enfin, deux voix sonores osèrent se dresser contre l’ordre libéral mondial, et elles avaient l’accent liégeois.

Comme des barbes rageuses de Marx et Engels surgirent des mots qui firent vaciller le monde bourgeois, les mentons glabres des deux nouveaux prophètes de justice vinrent annoncer le prochain avènement du royaume des justes. Et comme la loi de la diète rhénane sur le vol de bois éveilla le jeune génie de Trèves, le décret de Jean-Luc Crucke sur les gestionnaires de réseau de distribution d’énergie rappela à la vie les deux placides gestionnaires de Liège. Ce texte scélérat obligeait à scinder les activités de Resa et de Nethys, et à plafonner les rémunérations de leurs dirigeants.  » Un projet libéral, de droite !  » dit Willy Demeyer.  » Une volonté idéologique de tuer l’initiative industrielle publique « , lança Jean-Claude Marcourt, pour qui l’idéologie semblait donc tout à coup être une tare, surtout lorsque ce n’est pas de la sienne qu’il parlait, mais qu’importe : les deux Liégeois prenaient la direction du monde anticapitaliste.

S’opposer au décret Crucke, c’est donc être de gauche, et la seule raison de s’opposer à ce décret était qu’on était de gauche

S’opposer au décret Crucke, c’est donc être de gauche, et la seule raison de s’opposer à ce décret était qu’on était de gauche.

Car c’est vrai que, sur les questions économiques, ce qui distingue la gauche et la droite est le rapport à la propriété, privée ou collective, des moyens de production.

Et c’est vrai aussi que la séparation stricte des activités de production, quelles qu’elles soient (de gaz, d’électricité, d’eau, de télécommunication ou de voyage) de leurs infrastructures de transport (les conduites, les tuyaux, les câbles, les rails ou les routes), imposée par l’Europe, baigne dans le plus classique libéralisme.

Alors, ça ne peut qu’être vrai que c’est une intangible rigueur doctrinale qui pousse Jean-Claude Marcourt et Willy Demeyer à, enfin, se dresser sur leurs barricades.

Tant pis si la compagne de Willy Demeyer prospère dans le milieu liégeois des affaires, de l’immobilier aux médias. Le brave Marx lui-même ne brûla-t-il pas d’un amour éternel pour l’héritière de la plus noble famille de Trèves ?

Tant pis si Jean-Claude Marcourt passa une vie à rendre la Wallonie business friendly, et s’il paya, avec des millions wallons, des permis de polluer à un sidérurgiste indien. Le vieil Engels lui-même n’était-il pas propriétaire des plus inhumaines fabriques de textile mancuniennes ?

Et tant pis si lorsque sur d’autres sujets infiniment moins liégeois, d’autres partis, ou même des camarades de leur parti, demandent d’entrer en résistance contre l’Europe libérale, les deux hurlent à la démagogie et à l’irresponsabilité.  » Révolutionnaire et marxiste en paroles, renégat en fait « , ne disait pas Lénine lui-même d’Emile Vandervelde lui-même ? Les deux ne furent pas de mauvais marxistes. Mais, renégats ou pas, ils n’étaient pas assez liégeois pour être crédibles.

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