Liège sous pavillon russe

Ce 21 juin, Liège et Spa célèbrent en grande pompe et en présence de hauts dignitaires russes le tricentenaire de la venue du tsar Pierre le Grand. Derrière ces festivités : une petite asbl belge financée par les géants russes Gazprom et Lukoil.

Après les ors de Versailles, les fastes de Liège et de Spa. Le 29 mai dernier, Emmanuel Macron recevait Vladimir Poutine sous les marbres roses du Grand Trianon : le président  » jupitérien  » et son homologue russe ont inauguré une exposition consacrée à la visite, trois siècles plus tôt, du tsar Pierre le Grand au jeune roi Louis XV. Ce 21 juin, la Cité ardente et la ville d’eau ardennaise célèbrent en grande pompe le tricentenaire de la venue du fondateur de Saint-Pétersbourg en principauté. Cette fois, le président russe ne fera pas le déplacement, une présence pourtant espérée un moment par certains élus liégeois et spadois.

Les deux villes wallonnes ont néanmoins mis les petits plats dans les grands pour fêter dignement l’anniversaire : inauguration en fanfare d’une statue du tsar à Liège, réception officielle au palais des princes-évêques, repas protocolaire organisé par le gouverneur MR de la province Hervé Jamar, concert, vernissage d’une exposition de peintres et sculpteurs russes modernes à Spa, apéritif dans le Pouhon Pierre le Grand (l’édifice construit en 1880 pour abriter la source gazeuse la plus abondante), dîner de gala dans la salon bleu du casino de Spa…

Huiles russes et liégeoises

Toutes les huiles du monde politico- économique liégeois seront de la partie, mais aussi, nous dit-on de bonne source, de nombreux dignitaires russes, dont des ministres et le gouverneur de Saint-Pétersbourg, la ville natale de Poutine. Pierre le Grand n’a-t-il pas été accueilli à Liège  » avec éclat et magnificence  » en juin 1717 ? Puis, il est resté aux thermes de Spa du 28 juin au 25 juillet pour y soigner des troubles intestinaux, avant de poursuivre sa route vers Saint-Pétersbourg. Séjour qui a fait du tsar réformateur le grand promoteur du thermalisme spadois.

Deux associations privées liégeoises organisent les festivités du 21 juin : l’asbl Le Grand Liège et la fondation Pierre le Grand, créée en juillet dernier. L’ex- gouverneur MR Michel Foret, président du Grand Liège, sera le chef d’orchestre de la journée, qui commence par un accueil au Bocholtz, l’hôtel particulier du xvie siècle racheté en 2013 par François Fornieri. Le patron du fleuron pharmaceutique liégeois Mithra soutient l’asbl Le Grand Liège, qui a son siège au Bocholtz et y organise des conférences et autres manifestations. Par ailleurs, Mithra a des liens avec la Russie, où la firme a recruté des patientes pour des essais cliniques.

Une statue à 80 000 euros

La statue en bronze de Pierre le Grand sera inaugurée place Saint-Pierre, juste au-dessus la place Saint-Lambert. Coût du monument : 50 000 euros, nous précise la fondation Pierre le Grand, montant auquel il faut ajouter quelque 30 000 euros pour la mise en place. Les relations tendues entre l’Europe et la Russie de Poutine n’ayant pas facilité l’accès au sponsoring, l’asbl espérait, via le crowdfunding, récolter 5 000 euros pour boucler le budget.  » Mais l’appel aux dons n’a pas donné le résultat escompté, reconnaît l’association. L’opération a donc été entièrement prise en charge par nos partenaires privés russes et belges.  »

Les festivités du 21 juin ne sont que le prélude d’une longue série de manifestations russo-belges prévues au cours des prochains mois. Ainsi, Liège accueillera, en octobre, le 1er Festival du film russe et, en décembre, un concert de Noël donné par une formation classique russe. Ces événements se tiendront, eux aussi, au Bocholtz de Fornieri. Ils sont organisés par la fondation Pierre le Grand, qui projette déjà d’autres initiatives culturelles russes en Belgique. L’asbl prépare ainsi une collaboration entre l’Opéra royal de Wallonie et la compagnie d’opéra de Saint-Pétersbourg en vue de monter, à l’horizon 2019, le Pierre le Grand du compositeur liégeois Grétry, opéra-comique créé à Paris en 1790 et rarement rejoué depuis.

La fondation Pierre le Grand

Mise en place il y a moins d’un an, la fondation Pierre le Grand est une petite asbl dont le siège est à Waremme. Son président-fondateur, Valéry Dvoinikov, est attaché de cabinet à la Ville de Liège, au sein de l’échevinat de la santé et de la jeunesse. Ses parents et lui sont arrivés en Belgique en 1991. Il est le fils d’un célèbre judoka soviétique homonyme, qui fut champion d’URSS et d’Europe, vice-champion olympique et du monde, et entraîneur de judo en Ukraine, Algérie, Portugal, Belgique… L’autre fondateur est le producteur belge Pascal Noël.

L’asbl a parmi ses membres d’honneur le grand-duc George Mikhaïlovitch de Russie, Hervé Jamar, Michel Foret, Arkady Arianoff, directeur de la Chambre de commerce belgo-luxembourgeoise pour la Fédération de Russie, Valéry Dvoinikov père, le pope Guy Fontaine, recteur de la paroisse Saint-Alexandre-Nevsky de Liège, l’auteur de best-sellers Vladimir Fedorovski…

Donateurs russes

D’où vient l’argent qui permet de financer tous les projets ? Le site Internet de l’asbl ne le précise pas. Pascal Noël, l’un des deux fondateurs, reconnaît être en contact avec plusieurs partenaires russes :  » Nos principaux donateurs sont les groupes énergétiques russes Gazprom et Lukoil (NDLR : le géant Gazprom est détenu par l’Etat, tandis que Lukoil est une compagnie privée).  » Nous avons aussi le soutien du réseau international Slavonic Europe (NDLR : association qui promeut la coopération culturelle slave), actif dans les 13 pays slaves.  »

Si les festivités prévues à Liège et Spa n’ont pas fait grand bruit en Belgique, il n’en va pas de même en Russie.  » C’est la folie là-bas, s’exclame Pascal Noël : plus de 300 articles sont parus dans la presse russe sur les célébrations et la chaîne de télévision nationale nous a consacré une séquence.  » On sait que le régime de Poutine, embarrassé par les sanctions économiques sévères imposées par l’Union européenne à l’encontre de Moscou après l’annexion par la Russie de la péninsule ukrainienne de Crimée en 2014, développe une diplomatie culturelle très active pour conserver une influence en Europe.