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Liège : pourquoi Jean-Pascal Labille jette l’éponge

En bon technocrate, le ministre des Entreprises publiques a construit sa carrière en marge des élections. Mais, à Liège, il trébuche toujours sur la même pierre : la fédération du PS.

Ministre des Entreprises publiques et de la Coopération depuis huit mois, Jean-Pascal Labille, 52 ans, n’est pas sorti tout armé du cerveau d’Elio Di Rupo. Il avait une vie avant, il en aura une après. Avec ou sans ancrage électoral liégeois ? Suspense. Il se tient en réserve de la République, à la disposition de son parti, prêt à soutenir la candidature des autres. Vraiment un bon petit soldat. Sauf que l’homme a les dents très longues et que « rien n’est fait », ont dit d’une seule voix Laurette Onkelinx, ministre de la Santé, et Jean-Claude Marcourt, ministre wallon de l’Economie, réagissant à la big news d’il y a dix jours : Jean-Pascal Labille a décidé de ne pas être candidat à Liège, le 25 mai prochain.

Jusqu’à présent, il a fait partie de ces apparatchiks socialistes qui ont construit leur influence et, peut-être, leur fortune, en investissant les lieux de pouvoir, sans chercher à se présenter devant les électeurs. Le PS du boulevard de l’Empereur peut encore l’imposer dans la compétition européenne. A condition que l’intéressé le souhaite, lui qui dit se réjouir de son retour à la « vie civile », après les élections de mai 2014.

En tout cas, il est déjà au premier rang, adoubé tant par Elio que par Louis Michel, avec lequel il partage l’amour de l’Afrique et les liens maçonniques. A New York, dans l’enceinte des Nations unies, il était à peine un pas derrière le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders (MR). Sa haute silhouette, crinière poivre et sel, costume rayé, facilitant visiblement le contact avec le président congolais Joseph Kabila. Quand il a été à la Coopération, Olivier Chastel (MR), n’a jamais bénéficié d’une telle reconnaissance. Quant au bourgmestre Willy Demeyer, pourtant président de la fédération du PS de Liège, il a attendu en vain d’être appelé par Di Rupo quand il a fallu remplacer au fédéral Paul Magnette, devenu président du PS. L’intéressé en aurait conçu une grosse déception. Pas question, pour Labille, d’aller au conflit si Willy est de mauvaise humeur. « La plus grande fédération du PS n’avait pas de ministre au niveau fédéral, décode le Pr Michel Hermans (HEC-ULg). Mais elle n’a rien eu à dire dans la désignation de Jean-Pascal Labille et Willy Demeyer souhaitait devenir lui-même ministre. »

Barré à Liège où, devenu ministre, il n’a plus eu rien à dire dans la répartition des mandats dans les intercommunales (domaine où il était tout-puissant), Labille a de quoi se consoler ailleurs. Le concert de louanges de ses pairs devant sa « maîtrise des dossiers », son « aisance » en conseil des ministres – qui valent aussi pour un autre outsider, Koen Geens, ministre des Finances (CD&V), éclos, lui, dans le milieu des avocats d’affaires flamand – ressemble fort à de l’autocongratulation. Les cadors ont reconnu un des leurs. Il faisait déjà partie du CA Belgique.

Mais si Jean-Pascal Labille envahit à ce point l’actualité, c’est à la fédération liégeoise du PS qu’il faut revenir, encore et toujours. C’est de là que tout part. Luxembourgeois d’origine, (Muno), ancien élève des Frères maristes d’Arlon (pour la touche catholique, comme François Mitterrand), il est devenu un vrai citoyen de la Cité Ardente en étudiant à HEC (Hautes études commerciales), où il a également enseigné en horaires décalés. Feu Michel Daerden (PS) y donnait cours. Il remarque ce grand gars sûr de lui, intelligent et gros bosseur et l’embauche dans son cabinet de réviseur pour en faire son bras droit (1990-2001). Le Gaumais découvre ainsi l’arrière-cuisine des institutions publiques dont il intégrera, par la suite, et à la pelle, les conseils d’administration. « Je l’ai connu très tôt comme réviseur, à la Smap [NDLR : devenue Ethias], quand j’en étais le secrétaire général, se souvient le député wallon Marc Bolland, bourgmestre de Blegny, un proche de Labille, membre du clan Daerden. C’était quelqu’un de très précis, de très professionnel, s’exprimant de façon directe, ce qui ne lui faisait pas que des amis. Je l’ai toujours ressenti comme capable de prendre du recul et d’avoir une vision, ce qui est le propre des gens intelligents. »

Avec un mentor tel que Michel Daerden, Jean-Pascal Labille touche à l’essentiel des affaires liégeoises. Parallèlement, il goûte à tous les plaisirs de la vie. Mais c’est avec Guy Mathot qu’il fait vraiment de la politique. Après une carrière ministérielle et judiciaire mouvementée, ce dernier s’est replié sur ses terres de Seraing et, en 2003, il devient le patron de la fédération. Pour le PS liégeois, c’est une période d’apaisement. « Guy Mathot savait jouer de son charme mais il y avait une vraie affinité intellectuelle entre eux, se remémore Marc Bolland. Guy Mathot comptait sur Jean-Pascal et sur Jean-Claude Marcourt pour mener à bien la rénovation de la fédération. Malheureusement, lorsque Guy Mathot est décédé, le projet a été mis dans un tiroir. Il comprenait des choses assez simples et basiques, à savoir que le PS est un parti de masse lié aux mouvements syndicaliste et mutuelliste. Il ne fallait pas perdre cet atout, non pas pour manipuler les foules mais pour s’appuyer sur la force et l’énergie des militants. » D’après Marc Bolland, il exerce un vrai magnétisme sur les militants des Unions socialistes communales (USC) qu’il a entrepris de visiter une à une. Si ce n’est pas une montée en puissance !

« Jean-Pascal se serait bien vu comme patron de la fédération, pour continuer le travail de Guy Mathot, poursuit Bolland. Les gens s’étaient rendu compte de sa force de travail, de la clarté de ses idées et de ses capacités d’orateur. Mais Michel Daerden ne voyait pas cela d’un bon oeil… » Premier échec. Jean-Pascal Labille, et surtout Elio Di Rupo, va employer autrement ses talents. En 2009, arrêt sur image : il est devenu l’homme aux 58 mandats, dont 14 rémunérés (56 en 2012, dont 14 rémunérés). Un record belge. Apprécié du boulevard de l’Empereur comme des mieux syndicaux (c’est un ami personnel de Thierry Bodson, de la FGTB wallonne) et patronaux (il s’entend très bien avec Eric Domb, de Pairi Daiza, qu’il fréquente au conseil d’administration de la Société wallonne d’investissement de Wallonie (SRIW). Etendant son réseau jusqu’à l’international – cette Afrique qu’il aime tant (il a épousé la fille d’un ministre congolais, dont il a eu trois filles). «  »C’est un des hommes-clés de la Belgique de demain », glisse, sibyllin, Marc Bolland. Avec Jean-Claude Marcourt et Philippe Bodson, Jean-Pascal Labille anime, en effet, le discret « groupe W » (comme Wallonie). A tort ou à raison, ils sont tenus pour les vrais interlocuteurs de Bart De Wever. « Il faut un projet fort pour la Wallonie à l’intérieur de la Maison Belgique », déclarait Jean-Pascal Labille au Vif/L’Express, à peine nommé ministre fédéral.

Mais ce n’est pas son genre de se laisser coincer dans un seul scénario. A Liège, il a bien connu François Pirot, l’ancien trésorier du PS, qui connaissait tous les grands et petits secrets du Parti mais fut lâché par Guy Spitaels, président du PS, au moment des affaires Agusta-Dassault. Feu Guy Spitaels a voulu s’en expliquer avec Labille et ce qui devait arriver arrivant, les deux hommes sont tombés sous le charme l’un de l’autre, après les explications « viriles » dont Jean-Pascal Labille semble avoir fait sa carte de visite. Didier Bellens (Belgacom) en a essuyé quelques-unes (il en est sorti indemne). A partir de là, Spitaels s’est répandu en compliments sur son nouveau poulain et l’a introduit dans les milieux de la capitale qui font et défont les réputations. Jean-Pascal façonne doucement son image d’homme indispensable. Pas encore sympathique mais suscitant une curiosité teintée de respect.

Côté professionnel, il a opté pour la filière mutuelliste, même si, en 2008, il se serait bien vu à la tête d’Ethias. C’est Bernard Thiry qui a tiré le gros lot. En 2001, il a pris les commandes de la Mutualité socialiste de Liège qu’il a fusionné avec celle de Verviers, ce qui donnera lieu à la création de la marque Solidaris (en même temps que Stéphane Moreau unifiait le câble wallon sous la marque Voo, curieux parallèle). En la quittant, en 2009, il laisse une ardoise de 475 434 euros (résultats « assurance obligatoire »). La barre a été redressée par son successeur. Devenu le grand patron de l’Union nationale des mutualités socialistes (UNMS), le 1er janvier 2010, Labille poursuit son ambition d’unifier le réseau des mutualités socialistes sous le label Solidaris, dont certaines, comme celle du Brabant (19 communes bruxelloises) ou la luxembourgeoise, sont très jalouses de leur autonomie, garantie statutairement.

A Liège, il n’a pas dit son dernier mot. Son prudent retrait de la course électorale – sauf si on le supplie de se mettre sur les listes pour pousser ses camarades – n’annonce pas la fin de sa carrière. Avec Jean-Claude Marcourt et Stéphane Moreau, patron de Tecteo, il forme incontestablement le trio le plus brillant de sa génération. Elio Di Rupo l’a poussé à intervenir, en interne, quand Stéphane Moreau a été saisi de la folie des grandeurs, suscitant autour de Liège le même parfum de scandale qui a tant nui à Charleroi – et à l’image du PS. En bon soldat, Jean-Pascal Labille a tenté d’organiser une fronde contre le présumé « club des cinq » : Willy Demeyer, Stéphane Moreau, Alain Mathot (député-bourgmestre de Seraing), André Denis (Province), Jean-Claude Marcourt. Mais cette union sacrée a plus de chance de se désagréger si Jean-Pascal Labille revient à sa manière ancienne d’homme de l’ombre, renforçant le clan adverse (Frédéric Daerden, Marc Bolland et les autres daerdenistes) et ménageant Willy Demeyer et Jean-Claude Marcourt. Toute une stratégie !

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