Carte blanche

Liège ou l’inversion des valeurs : la peur gagne contre la beauté

On connait la dévastation des forêts amazoniennes et leur terrible impact sur l’atmosphère mondiale, encouragée par le nouveau président brésilien de sinistre réputation. On sait les bienfaits des arbres, devenus si rares en ville. On apprécie les verdures de cités civilisées comme Londres ou Paris. On ressent profondément la force dégagée par les arbres à leur moindre contact en forêt. Ce dégagement d’air pur est recherché partout, sauf à la Ville de Liège depuis peu.

Tous les arbres du quai Marcellis qui bordaient la Meuse ont été rasés cet été, offrant à la vue des touristes en bateaux et des habitants, l’enfilement incohérent des façades nues, irrégulières des immeubles sans harmonie des années septante.

Cette déforestation urbaine s’attaque aujourd’hui au plus beau parc de Liège : celui de la Boverie, seul vestige végétal de la prestigieuse exposition de 1905 qui créa le quartier des Vennes et le pont de Fragnée. Toutes ces sources de vie, de perpétuité et d’élégance viennent d’être éliminées, une fois encore, au centre de la Cité de Liège, dans un de ses remarquables sites classés ! Que cherche-t-on à Liège ? Un modèle de déforestation systématique ? On évoque les risques de chutes des branches, mais ces arbres sont là, intacts, depuis plus d’un siècle ! Et la hantise sécuritaire, aux sources de toute action réactionnaire, a laissé place à cette obsession de dégrader l’art de vivre, entre les deux rivières, près du Musée restauré. De ces peupliers typiques des rivages mosans depuis toujours, il ne reste rien ! Les passants liégeois, incrédules, ont vu s’effondrer ces majestueux arbres centenaires et ont pu voir aussitôt pulvériser leurs frondaisons dans de machines gloutonnes, amenées à grand frais dans l’anonymat le plus absolu.

Une fois encore, le fait accompli l’a emporté : pas d’avis aux citoyens, pas d’enquête publique, travaux à vitesse élevée, efficaces, privés, organisés. Il ne fallait pas faire de vagues. La Commission Royale des Monuments et de Sites avait pourtant exprimé un avis négatif, ignoré bien entendu, une fois encore : quel est le rôle de cette digne Institution en définitive ? Quel est le but réellement poursuivi dans ce carnage ? Á qui profitent de telles dégradations ? Seule, l’entreprise dont les engins belliqueux s’étalent le long de la Dérivation semble y trouver son compte.

Mais ce sont encore les citoyens liégeois qui paient la destruction de l’une des plus belles perspectives de la Ville. Là où s’harmonisaient l’eau, la culture et la végétation. Bien sûr, on nous servira les pâles prétextes coutumiers débités selon le mode terroriste : castors, maladie, dangers. Tous concepts outrancièrement vagues, destinés à effrayer le citoyen et l’électeur abusés afin d’imposer n’importe quelle décision. Cependant, chaque inconvénient aurait dû être rencontré particulièrement, en donnant la priorité absolue aux vraies valeurs : la beauté collective, la santé et la mémoire. Les arbustes qu’on nous propose de replanter-là seront aussi majestueux que nos sapins d’appartement à Noël. Leurs essences n’ont rien à voir avec les paysages mosans. Et dans cent ans, enfin, ils décoreront ces rives, mais seulement si les futurs castors les laissent vivre… Aucune valeur ne peut arrêter l’obsession de démolir à Liège. Nous le savons depuis 1789, mais nous ne comprenons toujours pas pourquoi !

Marcel Otte, liégeois

Réaction de la Cellule Stratégie et Développement de la Ville de Liège à la carte blanche sur l’abattage des peupliers du parc de la Boverie.

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