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« Liège a besoin d’une révolution culturelle plus que d’un exploit architectural »

François Brabant
François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Hugues de Jouvenel est directeur de l’institut indépendant Futuribles. En 2004, il avait participé à la confection d’un rapport sur l’avenir de la métropole liégeoise

Le VifL’Express : Dix ans plus tard, avec le recul, que retenez-vous de votre rapport ?

> Hugues de Jouvenel : Ce qui m’avait frappé à l’époque, c’était combien les acteurs se paralysaient mutuellement et stérilisaient tout. J’avais découvert à Liège un potentiel non négligeable, mais des barons plus préoccupés d’ériger des forteresses sur leur petit territoire, plutôt que d’entrer dans des jeux coopératifs.

Liège souffre d’une situation difficile, notamment avec le déclin de l’industrie lourde. Cette responsabilité-là, on ne peut tout de même pas l’imputer aux gestionnaires politiques actuels ?

> Confrontés à un même contexte, des territoires se développent, et d’autres déclinent au contraire. Souvent, ceux qui déclinent cherchent un bouc émissaire extérieur et s’en prennent à l’Etat, à l’Europe… Ils attendent que la solution leur tombe du ciel, alors que leur avenir dépend largement de leur capacité à allier leurs talents, leur intelligence autour d’un projet commun.

Avez-vous le sentiment que Liège, ces dix dernières années, a progressé ?

> Je n’ai plus beaucoup remis les pieds à Liège. Vu de loin, toutefois, je n’ai pas le sentiment que Liège a émergé comme une métropole moteur en Wallonie. Je me trompe peut-être… J’observe beaucoup ce qui se passe dans toute l’Europe, les villes qui décollent, celles qui deviennent moteur. Je n’ai pas le sentiment que Liège soit très moteur, que ce soit au niveau de la transition écologique ou du développement économique. Pourtant, il y avait des choses à faire… Si Liège n’a pas émergé, cela veut dire que tout ce travail mené en 2003 et 2004 n’a servi à rien. On avait ébauché quatre scénarios pour l’avenir de Liège, dont deux assez noirs : « les chiens de faïence » et « les loups se mangent entre eux ». Mais de tels exercices de prospective sont parfois mal compris. Le but des scénarios-catastrophe, ce n’est pas qu’ils se réalisent. Le but, c’est qu’ils déverrouillent le jeu, qu’ils suscitent un sentiment d’urgence. Je ne suis pas convaincu que ça a été le cas.

Votre analyse ne surestime-t-elle pas l’impact que peuvent avoir les décideurs politiques sur le développement économique de leur ville ?

> Le sort d’une ville ne dépend pas uniquement de ses élus, je suis 100 % d’accord là-dessus. Elle dépend aussi de ses chefs d’entreprise, de ses universitaires, de ses acteurs associatifs… A l’époque, Liège comptait des entrepreneurs plutôt dynamiques, mais il n’y avait pas de maillage, pas de réseau. Or ce qui fait la vitalité d’une ville, c’est la capacité des acteurs économiques et sociaux à s’allier autour d’un projet commun. Liège dispose de certains atouts. Cependant, le capital naturel me paraissait très peu valorisé, tout comme le patrimoine culturel. On me disait : c’est la ville de Simenon ! Je veux bien, mais ça ne suffit pas. A l’époque, j’avais aussi participé à des discussions très vives au sujet de la nouvelle gare conçue par Calatrava. Des décideurs liégeois me regardaient avec un certain étonnement quand je leur demandais : c’est très bien d’avoir une gare TGV, mais êtes-vous sûrs que vous aurez des trains ?

Justement, que pensez-vous de ce symbole qu’a constitué pour Liège la nouvelle gare des Guillemins ? Cela peut-il servir de déclic, pour booster le renouveau de la ville ?

> Non. C’est une arme à double tranchant. Mon expérience, c’est que si le territoire est attractif, une gare TGV peut vous amener des gens. Si on a le sentiment que Liège devient incontournable, en raison de sa beauté, de son excellence économique ou culturelle, le TGV va vous amener des gens et les gens seront ravis de trouver une belle gare. Mais une gare TGV, aussi belle soit-elle, ne suffit pas à rendre un territoire attractif. Au contraire, si le territoire continue de stagner, voire de décliner, le TGV peut favoriser l’exode des cerveaux. En France, notamment, des territoires se sont imaginés qu’en plantant une gare-cathédrale dans un champ de betteraves, ils allaient automatiquement créer un pôle de compétitivité. Cela ne se passe pas comme ça ! Les variables molles, comme on les appelle, sont souvent plus déterminantes dans une société que les variables dures. Couler du béton, ça, tout le monde peut le faire. Par contre, donner la pêche, instaurer des liens de confiance, créer l’envie d’entreprendre, ce n’est pas une loi qui peut le faire. C’est quelque chose de beaucoup plus subtil. Rennes, par exemple, a été une ville pêchue. Il y a eu un élan. Aujourd’hui, Rennes s’essouffle. Est-ce que les notables à se retrousser les manches, à changer leurs idées préconçues, et aussi à renoncer à certains privilèges ? Ce dont des villes comme Rennes ou Liège ont besoin, c’est bien plus une révolution culturelle qu’un exploit architectural.

Liège a tout de même des atouts que peu de villes belges ont : un aéroport, un port, un réseau autoroutier, une gare TGV, un centre historique, un opéra, un orchestre philarmonique…

> Avoir le hardware, c’est le plus facile. Ce qui fait la différence entre des villes, c’est la capacité des acteurs à mettre leurs compétences en commun, à mettre de l’énergie dans leurs projets. Or mon impression, à Liège, c’est que dès que quelqu’un avait une idée intéressante, les autres acteurs étaient plus prompts à la critiquer plutôt qu’à essayer de construire à partir de là. C’est un problème de logiciel : une difficulté à s’allier sur des projets d’avenir, plutôt que se crisper sur le passé. Le rapport auquel j’ai participé est sorti au moment où la fermeture des hauts-fourneaux avait été annoncée pour la première fois. Cela aurait pu être une chance. Mais au lieu de servir d’électrochoc, ça n’a fait qu’alimenter les lamentations des uns et des autres. Il n’y a pas eu de sursaut.

Le dossier « Liège, locomotive du redressement économique wallon ? » dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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