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Libraire, un métier sous pression

C’est par dizaines que ces commerçants se font attaquer chaque année. Un en est mort récemment. Certains quittent le navire. D’autres voient leur chemin toujours plus semé d’embûches.

« Souvent, les clients discutent avec nous ou bavardent entre eux. Nos magasins ont un rôle social particulier, avance un libraire carolo, mais franchement, ça devient très difficile. » Au premier plan : la violence. Depuis le renforcement de la sécurité dans les grands secteurs commerciaux et financiers, la police fédérale constate un déplacement de la criminalité vers les petits magasins. Avec les pharmaciens et d’autres, les libraires paient un lourd tribut, comme le meurtre de Robert « Bobby » Campion, abattu à l’âge de 63 ans le 20 septembre à Houdeng-Aimeries (La Louvière), vient encore de le montrer.

Les chiffres sont lourds : 123 librairies attaquées en 2010, avec une tendance identique cette année. Certes, la profession a déjà subi des meurtres dans le passé (Ransart, Schaerbeek), mais l’inexpérience des jeunes malfrats augmenterait désormais les risques. Et parfois, après une agression (le record est de 15 pour le même établissement), la détresse est telle que le commerçant plie bagage. « La région de Charleroi est la plus touchée, avec certains quartiers de Bruxelles et de Liège, déclare ce délégué d’un grand groupe de presse. Le sentiment d’insécurité y est vif. Les portes à télécommande se multiplient. »

« Une table ronde : urgent ! »

Walter Agosti dirige Prodipresse, la principale association des libraires : « Nous demandons l’installation générale d’un système de télépolice, une alerte rapide, comme cela existe en province de Liège, clame-t-il. A La Louvière, il avait été refusé. Nous voulons aussi la gratuité des transactions électroniques, pour limiter l’attrait [NDLR : même si les cigarettes et les billets de loterie sont aussi un butin]. Nous appelons enfin les politiques à participer à une table ronde, c’est urgent. »

Las : le métier connaît d’autres aléas. Ainsi, les libraires sont désormais nombreux à se plaindre de l’AMP (une filiale du groupe français Lagardère au chiffre d’affaires de 620 millions d’euros). Traditionnellement respecté, cet unique ombilic entre éditeurs et vendeurs jouit d’un quasi-monopole dans la distribution des journaux. Or, depuis le récent déménagement ou réaménagement de plusieurs de ses sites (Bruxelles, Fleurus, Liège) et la fermeture de celui de Namur, cette agence se montrerait parfois légère. « Avant, les retards étaient occasionnels. Pour moi, ils sont désormais la règle, nous explique un Liégeois. Quand la marchandise arrive le matin vers 8 heures, c’est trop tard, une bonne partie des ventes est ratée. J’ai perdu mon meilleur client. A la mi-septembre, j’ai dû lui refuser ses journaux quatre jours d’affilée. » Pertes collatérales : les livres, les stylos, les billets de lotto, etc.

« Enormément de mécontents »

Légèreté ? L’AMP (qui vient d’annoncer la perte de 60 emplois sur un peu plus de 800) s’en défend : « Oui, nous avons connu des retards aux imprimeries, ces derniers temps, à cause de nombreuses actualités tardives, notamment en politique. Les journaux sont fabriqués plus tard, nous les recevons plus tard et, forcément, nous les distribuons plus tard. J’admets que c’est très frustrant pour eux que certains libraires soient livrés après l’ouverture. Mais ce n’est pas de notre responsabilité », affirme un cadre commercial de la société. « Tout le monde a raison, retient Walter Agosti, car il est vrai que les quotidiens arrivent tard et que les camions les attendent. Mais j’observe que je suis moi-même livré deux heures plus tard qu’il y a vingt ans. Tout cela fait énormément de mécontents. »

Autre ornière, pour les libraires indépendants (1800 en Belgique francophone) : les vérifications que la Loterie nationale exerce afin de faire respecter la loi prohibant l’accès des mineurs aux jeux de hasard. Bonne idée, mauvaise méthode ? Les contrôleurs délèguent des mineurs-hameçons chez les libraires. Et ceux qui leur vendent un billet perdent leur bonus annuel (au troisième test négatif, la Loterie retire même ses produits). Il est calculé sur deux bases : le libraire perçoit 0,25 % du chiffre d’affaires « loterie » annuel [NDLR : 218000 euros en moyenne, pour chacun des 5050 points de vente, dont les concurrents des stations-service et des grandes surfaces] si l’affichage est conforme ; et bien plus si les objectifs de vente sont atteints. « J’aurais dû recevoir 2500 euros au total cette année, 500 pour l’affichage, 2000 pour les ventes, résume un libraire, mais je me suis fait prendre. C’est vrai, j’ai sans doute vendu un billet à un mineur. Mais je ne me vois pas demander sa carte d’identité à un ado dont je ne peux mesurer l’âge exact. Et puis, avec les restrictions sur le tabac et l’alcool, je ne ferais plus que ça. Je fais attention, mais au pifomètre. »

« Tout ça, c’est de l’hypocrisie, enchaîne un autre, puisqu’on vend désormais librement des Pay Safe Card, des cartes prépayées permettant l’achat sur Internet. Or tout le monde sait bien qu’elles servent surtout pour les casinos en ligne ! Et la circulaire que nous avons reçue à ce sujet ne s’intéresse pas aux mineurs, mais aux tentatives de blanchiment d’argent qu’elles pourraient permettre. Il faudrait que je prenne les coordonnées des gros acheteurs. Mais je ne suis pas policier, moi ! » De fait…

Roland Planchar

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