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Lettres à Elio Di Rupo pour sauver le PS

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

De retour de vacances, Elio Di Rupo entame une séquence décisive pour la fin de sa carrière…et la survie d’un PS en danger de mort. Le Vif/L’Express a fait un tri, parmi les nombreux courriers qu’il a peut-être reçus, et a choisi ceux qui l’aideront à sauver ce qui peut encore l’être.

Rue de la Fusée, Bruxelles, le 16 août

Cher Monsieur Di Rupo,

Vous rentrez de vacances, et ce lundi 21 août se tiendra un bureau politique extraordinaire annoncé, y compris par vos propres services, comme décisif pour l’avenir du Parti socialiste. Ça n’a pas toujours été simple, vous et nous. Tant d’années passées par vous à exercer le pouvoir et tant d’années consacrées par nous à en traquer les failles nous ont éloignés. Nous savons que vous ne nous lisez plus et, au fond, ce n’est pas anormal. Mais nous espérons que vous lisez encore les courriers qui vous parviennent.

Voilà pourquoi vous trouverez ci-joint quatre courriers qui n’existent peut-être pas vraiment, mais que vous devriez quand même lire attentivement, si vous voulez que nous puissions continuer à parler de vous et de votre parti. Il est encore temps, mais déjà presque plus.

Salutations distinguées.

La rédaction du Vif/L’Express.

Bruxelles, le 8 août

Cher confrère,

Conformément à votre prescription du 19 juin dernier, votre patient, M. DI RUPO ELIO, s’est présenté en nos locaux pour un examen complet le 21 juillet. Trouvez ci-dessous les résultats obtenus par l’équipe pluridisciplinaire de médecins stomatologues, urologues, hématologues, oto-rhino-laryngologues, ophtalmologues, cardiologues, podologues, ostéopathes, gastro-entérologues, dermatologues, phrénologues, psychothérapeutes, façadistes, décorateurs d’intérieur, coachs de vie et toutologues de la polyclinique du Coeur qui saigne.

SYMPTÔMES ET DIAGNOSTIC. Le patient, M. DI RUPO ELIO, 66 ans depuis le 18 juillet 2017, se trouve dans un état général correct pour un individu de son âge. Son hygiène de vie est bonne. La pratique régulière du sport, son strict régime sans gluten et la consommation modeste mais résolue de vin rouge sans sulfites l’autorisent à espérer une espérance de vie supérieure à celle de la moyenne des sujets présentant la même étiologie (orphelin de famille pauvre, vivant et travaillant depuis des décennies dans une sous-région multiplement polluée).

Mais certaines dispositions du patient, M. DI RUPO ELIO, ainsi que du parti politique qu’il incarne, le PARTI SOCIALISTE, 132 ans depuis le 5 avril 2017, sont de nature à gravement compromettre le pronostic vital du patient et, surtout, de son parti : troubles de l’audition, en particulier de la voix de la rue ; aveuglement et strabisme ; perte fréquente des anciens équilibres ; incapacité à digérer les coups durs ; grave déperdition de globules rouges atrophiant le coeur et le cerveau ; déficit en vitamines P, O, B ; apathie générale, sentiment d’inutilité, pulsions autolésionnistes, voire suicidaires. Ces symptômes sont ceux de la pasokite, dans sa variante hollandaise de surcroît, celle qui, de Paris à La Haye, a enlevé à la vie les frères et les cousins du patient, M. DI RUPO ELIO et de son parti, le PARTI SOCIALISTE.

TRAITEMENT. En conséquence de quoi l’équipe pluridisciplinaire de la polyclinique du Coeur qui saigne invite le patient, M. DI RUPO ELIO, à sans tarder :

Sérier d’urgence les priorités curatives, pour éviter les pièges d’un traitement uniquement symptomatique, et cesser de cumuler trois fonctions : député fédéral, bourgmestre, et président de parti. Il lui faut, dès la rentrée, de façon à donner à son geste une publicité maximum, se concentrer sur la principale pathologie, à savoir la présidence du PARTI SOCIALISTE, et quitter le mayorat de Mons et son poste de député à la Chambre. Contrairement à ce qu’affirment en effet certains confrères non membres de l’Ordre et à ce titre susceptibles de dénonciation pour pratique illégale de la médecine, se replier sur Mons et céder la présidence du parti à quelqu’un d’autre aggraverait le mal : le patient, M. DI RUPO ELIO, est en effet aujourd’hui le seul à pouvoir assurer l’unité du PARTI SOCIALISTE, et en quitter la tête maintenant salirait à jamais sa très longue carrière tout en assurant l’implosion de sa formation. Il doit mener à son terme le Chantier des idées, et en porter le message jusqu’aux élections communales d’octobre 2018 et de mai 2019. En cédant le mayorat de Mons à Nicolas Martin, ainsi que la tête de liste communale, il mettra un talent de son parti en avant, et s’évitera le harcèlement local dont il est victime depuis seize mois, et qui bénéficie d’une couverture médiatique nationale, de la part de son ancien échevin et conseiller communal d’opposition, Georges-Louis Bouchez. Présent en soutien de la liste socialiste, à la dernière place, le patient, M. DI RUPO ELIO pourra, s’il le désire, en faisant campagne sans donner mine de le faire, tenter d’obtenir davantage de voix que Nicolas Martin, et donc de récupérer son siège de bourgmestre. Abandonner son mandat de député le distinguera par rapport aux autres présidents de parti, tout en lui évitant l’infamie des queues de classement à chaque palmarès parlementaire.

Procéder à de nouvelles désignations, externes et internes. A. Pour l’externe : 1. Laurette Onkelinx ne résistera plus longtemps au mécontentement des députés fédéraux, et devra quitter son poste de cheffe de groupe à la Chambre. La remplacer par Ahmed Laaouej, Bruxellois comme elle, mais bien plus respecté dans le groupe et à l’image bien moins abîmée. 2. Semblable opération, à Namur, devra sacrifier Christophe Collignon au profit de Pierre-Yves Dermagne. B. Pour l’interne : les équipes installées après les élections de 2014 sont contestées et tous les organes du parti gargouillent. Il faudra profiter de l’éviction de centaines de cabinettards du gouvernement wallon pour renforcer ou remplacer certains postes clés, à l’institut Emile Vandervelde, à la communication, aux questions locales, etc.

Reprendre langue avec les formations flamandes dont le patient, M. DI RUPO ELIO, pourra avoir grand besoin, mais qui l’estiment contagieux. Avec le SP.A, dont l’état clinique est similaire mais plus grave, d’abord, mais aussi avec les verts de Groen !, en meilleure santé, et surtout avec le CD&V, pas fringant mais qui, comme d’habitude, devrait décider de qui va au gouvernement fédéral ou pas.

Changer de look pour cesser de donner l’impression obtuse de vouloir arrêter le temps : le politique ne peut pas tout, ça non plus. Le patient, M. DI RUPO ELIO, peut se prévaloir d’une expérience suffisamment vaste pour être un respectable vieux sage de la politique nationale. Qu’il assume de s’en donner l’air, avec des cheveux blancs comme atout.

Sans application draconienne et immédiate de ces prescriptions, aucune rémission ne nous semble possible.

Meilleures salutations.

Docteur André Duchmoll

Directeur de la polyclinique du Coeur qui saigne.

Lettres à Elio Di Rupo pour sauver le PS
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Remarque du secrétariat : Le patient, M. DI RUPO ELIO, n’a pas joint de vignette de mutuelle à son dossier. Nos fichiers recensent pourtant une affiliation très ancienne à SOLIDARIS. S’appuyer plus vigoureusement sur l’Action commune, et en profiter pour élargir l’alliance à des secteurs que la crise du Ceta avait partiellement rapprochés, lui serait pourtant très utile, en plus de lui faire profiter d’un remboursement complet des examens et des soins de notre polyclinique. Parce que, oui, notre excellence a un prix. Ce type se croit dans une maison médicale du PTB ou quoi ?

Café le Cygne, Bruxelles, le 26 juillet

Mon amour,

Je m’étais promis de ne plus t’écrire. Trop de serments oubliés, de promesses non tenues, de trahisons non assumées. J’aurais dû déjà me méfier quand tu avais engagé tes consolidations stratégiques pour lancer la privatisation de certaines entreprises publiques. J’ai pas trop bronché quand tu m’as fait avaler le Pacte des générations avec l’ancien Baby Thatcher. Et puis, tu es parti avec une autre. Tu m’as fait croire que sa vie était en danger et que tu voulais la sauver, alors qu’en fait tu étais obsédé par elle, sa famille royale, ses beaux immeubles au 16, rue de la Loi et au Lambermont, son Atomium et ses Diables Rouges. Tu as laissé les chômeurs en fin de droits à ma charge. Ça n’a pas duré trois ans, l’amour physique ne dure jamais plus longtemps, et après ça tu es revenu avec les larmes aux yeux et un beau bouquet de roses rouges. C’est vrai qu’on a passé de beaux moments ensemble, de beaux voyages à Porto Alegre, de beaux engagements de convergences à gauche, de belles expulsions des néolibéraux ultracapitalistes texans criminels de nos régions prospères. Mais c’était trop tard. Moi, tu comprends, j’avais déjà refait ma vie ailleurs. J’avais croisé une force plus jeune, plus sincère, moins souillée par l’infidélité, avec un drapeau plus rouge et un poing plus serré.

Ca fait trois ans maintenant que tu me cours après, et trois ans que je te repousse sans regret.

Mais là je viens de voir les néolibéraux ultracapitalistes texans et les ultracatholiques obscurantistes prendre le pouvoir chez nous, à Namur, je pleure (ces traces sur cette lettre sont des larmes) et je me pose des questions.

Je me pose des questions parce que je me dis que peut-être, si j’avais été plus compréhensive, nous n’en serions pas là, tous les deux. Et je me pose des questions parce qu’au fond je n’ai jamais vraiment cessé d’éprouver pour toi un sentiment très fort, presque naturel.

Alors je me dis que si tu ne foirais pas ton Chantier des idées… Je sais que c’est mal parti, que tu as pactisé avec ceux qui, chez toi, te promettent les pires horreurs si tu fais de notre vieux parti un  » PTB light « , mais je sais aussi, j’espère, que tu voudras y aller fort, faire d’une plus juste taxation des hauts revenus et des gros patrimoines, et d’une réduction collective du temps de travail, autant de conditions pour entrer dans de futurs gouvernements.

Et puis je me dis que là où tu as encore quelque chose à dire, à la Région Bruxelloise, dans certaines communes et dans toutes les grandes villes, peut-être même à la Fédération Wallonie-Bruxelles, tu pourrais peut-être me montrer que tu sais encore être utile à notre amour. Je ne sais pas moi, pense à des repas gratuits dans les écoles, des garderies accessibles à tous, des impôts locaux plus justes, des logements sociaux par centaines, enfin je ne sais pas moi. Surprends-moi, merde ! Je suis peut-être un peu confuse. C’est parce que je suis bouleversée.

Mais laisse-moi une chance de te donner une chance.

Ton amour déçu qui voudrait encore y croire.

Je t’aime mon Elio.

La gauche.

Lettres à Elio Di Rupo pour sauver le PS
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Bruxelles, le 1er août

Au sieur Elio Di Rupo,

Nous, Gérald Ducoeur, juge statuant en référé vu l’existence d’un préjudice grave difficilement réparable pour les deux parties, à la demande expresse des sieurs Magnette, Paul, domicilié à Charleroi, hôtel de ville, dénommé ci-après le défendeur, et Di Rupo, Elio, domicilié à Mons, hôtel de ville, dénommé ci-après le demandeur,

Attendu que le demandeur aussi bien que le défendeur se prévalent chacun d’un intérêt vital à la bonne santé de la personne morale dénommée Parti socialiste, sise boulevard de l’Empereur, Bruxelles,

Attendu que la responsabilité du demandeur et du défendeur dans les difficultés présentes de ladite personne morale sont graves,

Attendu que le demandeur administre, depuis 1999, ladite personne morale avec des résultats dont, jusqu’à récemment, personne n’osait se plaindre,

Attendu que le défendeur depuis des mois ne fait rien que dire du mal du demandeur, et depuis le 19 juin vers midi précisément, de bouder dans son coin tout en complotant dans le dos du demandeur,

Attendu que le défendeur est la seule personne physique pouvant succéder fructueusement au demandeur à la présidence de ladite personne morale,

Attendu même que l’éventualité que le défendeur ne succède pas au demandeur, ou même que l’éventualité que la succession se produise dans l’hostilité, pourrait mortellement toucher ladite personne morale, déjà vachement mal en point,

Attendu que les chamailleries entre défendeur et demandeur ne reposent, idéologiquement et stratégiquement, que sur des questions au fond très marginales,

Attendu que ces chamailleries enfoncent toujours plus profondément ladite personne morale,

Attendu que le demandeur a stupidement donné raison à ceux qui prônaient le décumul financier, aux dépens du défendeur et de ladite personne morale, dont l’intérêt imposait d’adopter le décumul intégral,

Attendu que ladite personne morale tiendra, à l’initiative du demandeur, un bureau extraordinaire le 21 août, puis un congrès statutaire fin septembre, puis un congrès sur le Chantier des idées en novembre, et que ces moments seront décisifs pour la survie de ladite personne morale,

Attendu que le défendeur, prétextant des vacances pourtant prolongées en last minute, boycottera le bureau extraordinaire du 21 août, ce qui va encore foutre le bordel dans ladite personne morale, parce que le demandeur ne lui a pas donné raison sur le décumul intégral,

Condamnons :

Le sieur Di Rupo à cajoler le défendeur, en prenant, en vue de la conclusion du Chantier des idées, son camp, quel qu’il soit, même sur des questions symboliques, et de toute façon il n’y a que ça puisque demandeur et défendeur sont, idéologiquement et stratégiquement, sur la même ligne.

Le sieur Magnette à arrêter de jouer les mijaurées et à se mettre au travail pour le bien de ladite personne morale,

Demandeur et défendeur à arrêter leurs gamineries.

Ainsi soit-il.

Gérald Ducoeur,

Juge de paix par-delà le Bien et le Mal à Bruxelles.

Lettres à Elio Di Rupo pour sauver le PS
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La Louvière, le 20 juin

Cette fois, ça y est. On t’avait prévenu, ça fait des années. Tu ne nous as pas écouté. Et là tu t’es fait avoir comme un couillon par le faux neuneu de Bastogne. On t’avait bien dit qu’il ne fallait pas faire confiance aux autres, qu’ils n’étaient pas les neuneus que tu pensais, qu’ils avaient trop peur de toi pour oser te faire du mal. Aujourd’hui, toi et ton parti vous passez pour les pires pourris, et eux se font passer pour les meilleurs justiciers. Pourtant, ça fait des années qu’on te propose des dossiers contre eux, et ça fait des années que tu souris avec ton air de sainte-nitouche.

Eh ben voilà, maintenant, tu passes pour un con, et en plus pour un con malhonnête. Au fond, tu l’as bien cherché. Alors maintenant tu vas bien nous écouter. Aujourd’hui, c’est la guerre. Et on ne va pas à la guerre en noeud papillon et en souliers vernis. Alors tu vas faire ce qu’on te dit de faire et te servir des bombes qu’on t’a préparées, parce que la guerre va être sale. Il y en a même dans ton propre parti qui sont prêts à tout faire sauter de l’intérieur. Toi, tu ne dois rien faire. Rien d’autre que continuer avec ton sourire de sainte-nitouche et nous laisser faire. Si tu rentres dans la combine, tu ne le regretteras pas.

Ton parti passera pas pour une équipe de témoins de Jéhovah, laisse tomber cette idée. Mais les autres ne vont plus pouvoir passer pour des agneaux de Dieu non plus.

Lettres à Elio Di Rupo pour sauver le PS
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Y a pas de raison pour que ton parti, le P$ (avec un $ comme dollar, comme on dit sur les réseaux sociaux), soit meilleur que les autres, ça, tout le monde le sait. Mais y a pas de raison non plus qu’il soit pire que les autres. Ma bande et moi, on a des dossiers sur tes adversaires. Mais ça n’est rien comparé à ce que les types de ta bande, qui sont partout depuis trente ans, ont pu accumuler comme saloperies sur les libéraux, les humanistes, et même les écologistes, qu’ils fréquentent depuis des siècles. Ils sont plein à avoir dans le fond de leurs tiroirs toutes sortes de scandales qui emballeront les journalistes et qui indigneront le bon petit peuple tout en faisant oublier les saletés de tes copains au Samusocial ou à Liège. Laisse-nous nous occuper de mettre tout ça en musique, et ils vont démissionner comme une batterie de gilles à la mi-carême : avec plein de boucan et des costumes ridicules.

Laisse-nous aussi nous occuper de pourrir les autres sur les réseaux sociaux. Il y a des types chez toi qui ne demandent que ça, laisse-nous les engager.

Tu vas voir, tu ne le regretteras pas. On va les éparpiller façon puzzle.

On te donnera tout ce qu’il te faut, avec un devis et une souche TVA, en échange d’une valise contenant 33 333 333 euros TVAC. Tu la déposeras le dimanche 20 août à la tombée du jour au deuxième sous-sol du palais des congrès de Mons. On sait que t’as les clés. Nous aussi. Alors n’essaie pas de jouer au malin avec nous.

Je répète : t’as intérêt à faire ce qu’on te dit.

Sinon…

Signé : Un ami qui te veut du bien.

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