Carte blanche

Lettre ouverte d’un membre de la police scientifique après les attentats

22 mars 2017, étrange date que je ne puis qualifier d’anniversaire, car ce terme ne devrait être que joie.

Alors pour ce billet, j’ai longtemps cogité et hésité à l’écrire, encore plus à le rendre public… mais pour reprendre une citation entendue récemment « accepter c’est subir, agir c’est s’unir » et avant toute chose, je préfère être acteur et j’assume pleinement mes propos.

Ce texte, je ne puis que lui donner comme titre « entre réalisme et conflits intérieurs ». Titre probablement ambigu pour beaucoup, probablement trop généraliste pour qui ne veut que le lire, sans chercher entre les lignes, faire preuve d’une critique plus profonde, fondamentale même.

Cette journée du 22 mars 2016, un an après, je peux encore la décrire heure par heure, minute par minute, tant elle m’a influencé… cet événement m’a littéralement giflé, non pas le jour même, mais bien après, car il a agi comme un déclic, le réveil d’une somnolence profonde, une prise de conscience bien nécessaire, un outil de réflexion qui ne nourrit pas la haine.

Ce 22 mars, en tant que membre de la police scientifique, je pense avoir tenté de travailler comme sur chaque descente, avec sérieux et détachement, tel « un robot du constat ». Chercher le moindre indice matériel, organique ou inorganique. Ce travail, nous l’avons fait en équipe non seulement pour confondre les auteurs des faits mais aussi et surtout permettre l’identification des victimes dans des conditions extrêmement dures pour lesquelles nous n’étions que peu préparés. Toutefois, avant le départ, j’ai rapidement posé ce constat: il faudra faire une corde solide avec des bouts de ficelles. Triste état des lieux de départ, qui m’a taraudé du début à la fin, mais on y est arrivé, cette fois-ci.

Cette journée du 22 mars 2016, un an après, je peux encore la décrire heure par heure, minute par minute, tant elle m’a influencé

Il y a 10ans, je m’y suis engagé dans cette police scientifique, avec un idéal bien ancré, avec cette notion de service public comme moteur, comme guide. En connaissance de cause, je m’étais préparé à pouvoir vivre cette activité professionnelle dans cet autre univers, ce monde du pire, de l’inimaginable, de la réalité crue, celle où l’homo sapiens excelle dans l’indescriptible. Sur cette décennie, mes collègues et moi-même avons été « servis », c’est notre quotidien. La réalité du vécu est bien plus dure que ce que l’on imagine et vous déstabilisemalgré tout. Car même si l’on se prépare psychologiquement, que l’on tente de cloisonner sa vie privée et de la vivre, l’engagement premier prend vite le dessus : assurer sa mission, coûte que coûte, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et surtout sans rien attendre en retour, sans moyens. Sombre tableau.

Durant ces 10 ans, j’ai été heureux de pouvoir apporter ma petite pierre à l’édifice. Par édifice, je n’entends pas l’institution « Police », mais le Citoyen, le Quidam, car avant tout, j’oeuvre dans un service public, non rentable, qui coûte, mais qui est hélas bien loin de celui que le citoyen mérite. Je ne m’y retrouve plus, malaise profond.

Et lorsque j’entends, que je constate, au fil des ans, qu’il faut toujours faire plus avec moins, que les pions que nous sommes se voient imposer cette politique que l’on nomme « efficience », théorie dépassée de l’élastique tendu qui maintenant va se rompre, la conséquence sera simple: le citoyen sera encore plus victime!

Lettre ouverte d’un membre de la Police Technique et Scientifique

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