Méfiant avec lui-même : après les vacances, il va falloir rouvrir la glacière. © FRED DEBROCK/ID PHOTO AGENCY

Les vacances de monsieur Frigo

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Sa position, seul contre trois partis flamands, interdit souvent au Premier ministre réformateur de trancher. Mais sa maîtrise de l’agenda lui permet de reporter les dossiers les plus brûlants. Jusqu’à les oublier. Voilà pourquoi Charles Michel part en vacances avec une glacière bien pleine.

Le communautaire ? Gelé depuis octobre 2014. Le pacte énergétique ? Dans un bassin de refroidissement depuis longtemps. La pension à points ? Au congélateur depuis la fin du printemps. Le remplacement des F-16 ? Mis à tiédir au moins jusqu’à octobre. Les visites domiciliaires ? En chambre froide depuis l’hiver. Et si Michel le flambeur, en fait, c’était Charles le surgélateur ? L’ardeur réformatrice de Charles Michel est incontestable au fourneau socio-économique dès lors que les quatre convives MR, Open VLD, CD&V et N-VA tous assis sur le côté droit de la table, se délectent des mêmes recettes. Mais dès que la température monte, que les esprits s’enflamment et que les intérêts divergent, le Premier ministre sait comment se débarrasser d’une patate chaude qu’il ne peut trancher : en la jetant au frigo, loin de ses mains calleuses et du regard des autres. La plus récente séquence politique fédérale, marquée par la conclusion d’un  » jobs deal  » qui satisfait les revendications patronales et par le report du choix du fabricant des futurs avions de chasse belges, en est une nouvelle illustration. A la rentrée, après les dernières vacances de sa coalition avant les élections législatives, qu’il décide de décider ou qu’il décide encore de ne pas décider, Charles Michel va devoir rouvrir son frigo. Voici ce qu’il y retrouvera.

Et si Charles le flambeur était en fait Michel le surgélateur ?

Dans la porte du frigo, le communautaire.

Date de mise au frigo : 9 octobre 2014. Date de sortie : chaque semaine.

Condition d’existence de cette inédite association entre les droites belges, le refroidissement des ardeurs communautaires de la N-VA est proclamée dès la première ligne de l’accord de gouvernement du 9 octobre 2014 :  » Les partenaires de la majorité gouvernementale fédérale estiment que la stabilité institutionnelle et le sens des responsabilités doivent animer les différents niveaux de pouvoir chargés de faire entrer en vigueur la 6e réforme de l’Etat « , écrivent alors les quatre partis signataires. Rien n’était censé briser la chaîne du froid enserrant cette recette neuve, focalisée sur le volet économique de l’action publique. Charles Michel lui-même ne cesse de s’en prévaloir, contre les accusations d’une autorité molle, voire défaillante, face à une N-VA présentée comme dominante :  » La N-VA est le parti qui a renoncé aux plus importants éléments de son programme « , répète-t-il partout. Mais s’ils ont renoncé à réclamer une réforme de l’Etat, les nationalistes flamands veillent à ne pas battre froid une base historique échauffée par la défection du chef de groupe à la Chambre, le constitutionnaliste Hendrik Vuye, qui accuse la N-VA d’avoir troqué son indépendantisme contre quelques strapontins ministériels : Liesbeth Homans espère la fin de la Belgique en 2025, et Jan Jambon jure que son parti tentera de négocier le passage au confédéralisme dès les élections de 2019,  » surtout si la Belgique francophone penche encore plus à gauche « , comme le précise Bart De Wever avec un systématisme confinant à l’obsession. Il y a fort à parier qu’il n’en parlera pas spontanément, sauf si on le lui demande. La N-VA aurait trop à perdre à se faire triplement harceler, par les extrémistes flamands, par la droite non nationaliste et par l’opposition francophone. Mais justement, et c’est ce qui rend les querelles Nord-Sud presque quotidiennes. Face à un gouvernement dominé par des Flamands eux-mêmes dominés par les nationalistes, il est assez facile, pour les francophones, de se déclarer gravement dominés : l’UCM a dénoncé une réforme de l’impôt des sociétés pensée pour les entreprises flamandes, la politique de Maggie De Block est contestée par le secteur de la santé francophone, et des procédures en conflits d’intérêts ont été lancées par les assemblées francophones contre les réformes portées par le gouvernement fédéral concernant la protection civile et les pensions des enseignants. Et puis, au creux de ce chaud été, ce sont même les partis non nationalistes de la coalition de Charles Michel qui remettent les questions institutionnelles au menu : Alexander De Croo (Open VLD) prône la  » refédéralisation  » (défédéralisation ou recentralisation seraient plus correctes, dès lors que l’Etat central en sortirait renforcé aux dépens des entités fédérées) de certaines compétences. Avec d’autres réformateurs, les ministres Sophie Wilmès et François Bellot embraient. Et Maxime Prévot (CDH) aussi, sans que les francophones ne soient demandeurs d’une réforme de l’Etat, mais de façon à avoir quelque chose à répondre aux éventuelles aspirations confédéralistes de la N-VA, une fois à la table de négociations postélectorales. Pas bête. Maxime Prévot, contrairement à Benoît Lutgen, dont il est le successeur pressenti, est réputé partisan d’une association avec les nationalistes flamands dans un prochain gouvernement fédéral. Bref, le communautaire, sous Charles Michel, est comme une vieille sauce dans la porte de son frigo : impossible de l’ouvrir sans tomber dessus, elle n’est jamais vraiment froide, et porte plein de sales croûtes autour de son couvercle.

Rieur derrière Elio Di Rupo : après la 6e réforme de l'Etat, on n'allait plus parler de communautaire.
Rieur derrière Elio Di Rupo : après la 6e réforme de l’Etat, on n’allait plus parler de communautaire.© DIDIER LEBRUN/PHOTO NEWS

Dans le bac à légumes du frigo, le remplacement des F-16

Date de mise au frigo : 15 juin 2018. Date de sortie : 14 octobre 2018.

Plusieurs fois annoncé, plusieurs fois décrit comme couru d’avance, plusieurs fois querellé dans et hors du gouvernement et de l’armée, et donc plusieurs fois reporté par le Premier ministre, le choix du successeur des F-16 de la Défense belge, et du contrat du siècle (près de vingt milliards d’euros pour quarante années de vol) qui en découlera, connaît des implications géopolitiques qui dépassent largement l’appel d’offres lancé en mars 2017 par le ministre N-VA de la Défense Steven Vandeput. La France, en dehors de la procédure officielle, promeut un partenariat industriel pour ses Rafales, auquel le MR n’est pas insensible. Mais le haut commandement et les partis flamands, eux, inclinent vers l’américain Lockheed Martin et son F-15, dont l’offre échoit le 14 octobre prochain, tandis que Donald Trump attise les tensions entre partenaires de l’Otan. Le Premier ministre devra satisfaire les puissants alliés dont il dépend, américains et flamands, sans trop humilier les moins puissants amis qu’il aime, français et réformateurs. On prête à Charles Michel l’intention pas bête d’encore trouver un moyen de ne pas décider à l’automne, quitte à laisser son successeur, fût-il Michel, Charles, enfin ne décevoir personne. Bref, le remplacement des F-16, sous Charles Michel, est comme un chou-fleur dans le bac à légumes. A la température la moins froide, c’est le machin qui pourrit sans qu’on y pense, et puis qu’il faut mettre à la poubelle en se pinçant le nez.

Sous le congélateur du frigo, les visites domiciliaires

Date de mise au frigo : 30 janvier 2018. Date de sortie : à la fin de la législature.

Il l’avait annoncé depuis la Russie, où il était en visite, alors que se déchaînait la polémique sur les missions d’identifications de migrants par une délégation soudanaise – dont on ne sait si la collaboration est terminée parce qu’elle était temporaire ou parce que Charles Michel l’a exigé – et que Theo Francken portait un projet de loi autorisant les incursions policières là où habitent les étrangers ayant reçu un ordre de quitter le territoire. Le Premier ministre reprenait le dossier, critiqué de toutes parts y compris dans son parti, et allait entamer des  » consultations secrètes  » pour  » lever les malentendus  » qui l’entouraient.  » Le processus est toujours en cours. Ce dossier n’est pas à l’ordre du jour « , répondait-il, ce 27 juillet, à nos confrères du Soir, qui le sentaient sur la défensive. Ces consultations resteront secrètes longtemps. Jusqu’au moment où Theo Francken et la N-VA, si soucieux de se distinguer sur ces thématiques, voudront en faire un argument de campagne contre  » les bobos bien-pensants de la gauche subsidiée « . Et où Charles Michel, qui lui-même défend le projet, sera bien content de l’offrir à l’éventuel partenaire d’un gouvernement Michel II plus dur sur les questions migratoires. Bref, les visites domiciliaires, sous Charles Michel, sont comme un hareng saur oublié sur le plateau le plus haut de son poussif frigo. Ça sent fort, on ne sait plus d’où vient la mauvaise odeur, ça fait fuir les gastronomes quand on le sort, mais il faut quand même bien finir par l’avaler.

Poseur devant Theo Francken : avec les
Poseur devant Theo Francken : avec les  » consultations secrètes « , on n’allait plus parler de visites domiciliaires.© VIRGINIE LEFOUR/BELGAIMAGE

Dans le congélateur au-dessus du frigo, la pension à points

Date de mise au frigo : 27 avril 2018. Date de sortie : pendant la prochaine législature, et encore.

 » Il ne faut absolument pas voter la pension à points avant la fin de la législature « , lançait le ministre MR des Pensions Daniel Bacquelaine à La Libre, le 27 avril, masquant son échec par la vaporeuse formulation de l’accord de gouvernement, qui disait que  » durant cette législature, le gouvernement fédéral mettra en oeuvre la transition vers un système à points pour le calcul des pensions « . En fait, le passage à 67 ans de l’âge légal en tout début de mandat, suivi par les cafouillages autour de la définition de la pénibilité, trop lâche pour les patrons et pour la N-VA, trop raide pour le monde du travail, ont cramé Daniel Bacquelaine. Mais le tout donne au Premier ministre à la fois un bilan pour son gouvernement, un objectif pour son prochain terme, et un vieil épouvantail à syndicalistes pour sa campagne. Bref, la pension à points, sous Charles Michel, c’est comme une viande enfouie dans le congélateur givré de son frigo. On la ressort quand on a des invités pas prévus pour le barbecue, et qu’on n’a pas le budget pour en acheter de la fraîche.

Dans le congélateur de la cave : la sortie du nucléaire et l’énergie

Date de mise au frigo : 30 mars 2018. Date de sortie : jamais. La Belgique n’est pas prête.

La N-VA n’en veut pas, le patronat encore moins. L’accord de gouvernement promettait l’adoption rapide d’un pacte énergétique interfédéral qui encadrerait, notamment, un abandon de l’énergie nucléaire décidé depuis 2003 mais toujours pas mis en oeuvre.  » Ce pacte donnera une exécution concrète à la vision énergétique à partir de la fin 2015 « , déclarait-il. Le 30 mars dernier, deux ans et demi après l’échéance du délai, Charles Michel annonçait la constitution d’un comité de monitoring chargé d’accompagner sa conclusion, à une date non précisée, autant dire à jamais. Bref, la sortie du nucléaire, sous Charles Michel, c’est comme une lasagne de boeuf pleine de morceaux de cheval dans le congélateur de sa cave. On la découvre quand on vide une maison dont l’occupant est mort, puis on la jette. Personne ne la mangera jamais. Et elle s’est transformée en déchet toxique.

Distant avec Marie-Christine Marghem : avec le
Distant avec Marie-Christine Marghem : avec le  » comité de monitoring « , on n’allait plus parler de sortie du nucléaire.© ERIC LALMAND/BELGAIMAGE

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