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Les trois raisons qui pourraient faire changer d’avis le CD&V

En rejetant la note Di Rupo, la tête du CD&V a pourtant agi selon une logique parfaitement rationnelle. Car, au fond, pourquoi les chrétiens-démocrates auraient-ils intérêt à rompre soudain l’axe stratégique établi depuis un an avec la N-VA ? Seules trois raisons seraient susceptibles de pousser le CD&V à s’éloigner des nationalistes, voire à monter sans eux au gouvernement. A l’heure où Elio Di Rupo s’apprête à inviter le CD&V autour de la table, examinons-les.

1. La raison d’Etat.

Soucieux de ne pas déstabiliser plus encore le pays, le CD&V plie et accepte un compromis. Un scénario illusoire, n’en déplaise aux dirigeants francophones, qui tablent encore sur le « sens des responsabilités » du vieux parti chrétien. Le CD&V n’est plus le CVP. Il n’a nullement l’intention de se sacrifier pour « sauver la Belgique ». Depuis l’été 2007, il a envoyé au feu une belle brochette de leaders : Jean-Luc Dehaene, Marianne Thyssen, Wilfried Maertens, Herman Van Rompuy, Yves Leterme, Kris Peeters lui-même… Sans succès. Aucun n’a pu concrétiser la grande réforme de l’Etat attendue comme le Graal au nord du pays. Réaction du CD&V : cette fois, débrouillez-vous sans nous. Un choix cohérent par rapport à la « révolution copernicienne » voulue par Kris Peeters. Dans ce schéma, les régions deviennent le centre de gravité du système belge, et le fédéral cesse d’être le cadre de référence. Autrement dit : si une quelconque raison d’Etat doit être invoquée, ce sera d’abord celle de l’Etat… flamand.

2. Un désaccord de fond.

Une opposition sur le terrain idéologique conduit le CD&V et la N-VA à la rupture. Les deux partis ont beau ne pas se quitter d’une semelle, ils poursuivent des objectifs distincts. Le CD&V, contrairement à la N-VA, ne milite pas pour une Flandre indépendante. Depuis le congrès de Courtrai, en 2001, il se déclare pour le confédéralisme. Sa vision, en gros : une Flandre et une Wallonie largement autonomes, reliées l’une à l’autre par un mince fil belge. L’épaisseur de ce fil fait d’ailleurs l’objet de vifs débats au sein du parti. L’aile gauche, incarnée par Inge Vervotte ou Servais Verherstraeten, défend le maintien de la sécurité sociale au niveau fédéral. D’autres, comme le député Hendrik Bogaert, vont beaucoup plus loin et considèrent que tout, ou presque, doit être scindé, sauf peut-être les affaires étrangères et l’armée. Kris Peeters ne s’est jamais trop aventuré sur ce terrain glissant, mais il n’est pas loin de pencher pour la seconde option. Idem pour Wouter Beke, dont les convictions pro-flamandes ne datent pas d’hier : dans les années 1990, il appartenait déjà à Vlaanderen Morgen, un cercle de réflexion fondé par Hugo Schiltz, dans la mouvance nationaliste. En gros, on peut donc dire que 70 ou 80 % des exigences communautaires de la N-VA sont partagées par le CD&V. La note Di Rupo, malgré toutes les concessions douloureuses qu’elle contient, reste très en-deçà de ce que le CD&V considère comme la réforme de l’Etat idéale.

3. Un calcul électoral.

Le CD&V considère que l’imminence des prochains scrutins lui impose de se démarquer de la N-VA. A force de voir leur parti courir derrière la N-VA, les électeurs restés fidèles au CD&V pourraient se lasser. Et s’en détourner, en cas de nouvelles élections. C’est la peste, ça… Mais, en dépit des mauvais sondages, Kris Peeters considère que le choléra – un clash avec Bart De Wever – aurait des conséquences plus désastreuses encore. Il n’a peut-être pas tort. Accepter de négocier sur base de la note Di Rupo, pour le CD&V, c’est s’exposer aux pires turpitudes. On voit déjà le tableau. Un gouvernement réunissant les trois familles politiques traditionnelles (socialiste, libérale et démocrate-chrétienne) verra le jour. Il ne brillera ni par sa cohérence, ni par l’originalité de ses propositions. Il devra en outre ficeler un programme de rigueur budgétaire, avec des hausses d’impôts à la clé. Un orateur né comme Bart De Wever ne devra guère forcer son talent pour démolir cet attelage bancal. Un vrai tir aux pipes en perspective. Des mois durant, le CD&V fera l’objet d’un pilonnage intensif de la part des nationalistes. Kris Peeters et Wouter Beke passeront, tour à tour, pour des traîtres à la cause flamande et pour des suppôts de la vieille gauche socialiste. Le CD&V n’y résisterait pas. Ce n’est plus une défaite qui l’attendrait aux prochaines élections, mais un naufrage intégral.
Pas de déscotchage en vue, donc. Et pourtant, la clé d’une possible « solution » se trouve bel et bien chez les chrétiens-démocrates flamands. Leur stratégie : acculer les francophones à concéder un symbole lourd, annonciateur d’un saut vers le confédéralisme et d’une authentique rupture. Le CD&V pourra alors se targuer d’avoir engrangé une réforme de l’Etat d’une ampleur jamais atteinte. Selon toute vraisemblance, pourtant, l’accord final sera encore jugé trop mou par les « ultras » de la N-VA. Ce qui conduirait les deux partis à se démarquer l’un de l’autre, irrémédiablement.

Tout cela repose sur une inconnue de taille : les francophones, qui ont déjà avalé tant de couleuvres, accepteront-ils de lâcher le méga-symbole qu’attend le CD&V ? Mystère. En attendant, c’est bel et bien la crise de régime.

FRANÇOIS BRABANT

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