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Les trois problèmes de Bart De Wever

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le parti de Bart De Wever n’est pas à l’extrême droite. Il ressemble plutôt aux Républicains français ou aux Tories britanniques, soutient le politologue Jérôme Jamin. Mais il devra se réinventer à court terme car il est confronté à trois problèmes de taille.

Jérôme Jamin, professeur de sciences politiques à l’université de Liège et spécialiste des mouvements populistes, décrypte la stratégie actuelle du parti nationaliste flamand.

La N-VA multiplie les provocations. Son discours est-il à la lisière de l’extrême droite ?

Elle a réussi à rassembler le mouvement nationaliste flamand autour d’un discours en rupture avec l’extrême droite historique, héritière des années 1930. Ça ne veut pas dire qu’elle n’a pas un discours musclé sur l’immigration et que certains membres et ministres n’ont pas eu, ou n’auront pas, des propos xénophobes ou islamophobes. Mais si on juge un parti par son action sur une dizaine d’années, la N-VA apparaît avant tout comme un parti de droite conservatrice, à l’image des Tories britanniques ou des Républicains français, deux partis qui sont d’ailleurs, de façon cyclique, concernés par l’un ou l’autre propos raciste.

Mais cette situation évolue. Notamment parce que le Vlaams Belang a su s’inspirer d’une partie de ses homologues au sein du groupe Europe des nations et des libertés du Parlement européen, notamment le Front national français et le Parti pour la liberté de Geert Wilders aux Pays-Bas. Tous ces partis ont profondément changé leur discours sur l’immigration, l’identité, la nation et les frontières en les intégrant dans un cadre général qui s’oppose, d’une part, à l’Union européenne « mondialiste », d’autre part, à « l’islamisation » de l’Europe géographique. La première est perçue comme responsable de la crise des réfugiés et de la perte d’une certaine indépendance économique et monétaire, la seconde – la prétendue islamisation – se substitue aux vieux discours racistes sur « l’immigré voleur » ou « l’étranger qui prend le travail des Belges ». La N-VA devra trouver sa place entre ce Vlaams Belang nouvelle mouture et les autres. En tant que parti de gouvernement, l’enjeu est de taille pour les prochaines élections.

La N-VA ne cesse de rejeter la faute sur le passé, la gestion du PS, le « laxisme » à Molenbeek, l’échec de l’intégration… Trop facile ?

Elle a construit son offre politique, ces dix dernières années, contre « l’Etat-PS », dans une perspective proche de ce que l’on appelle le producerism aux Etats-Unis, du mot producer (celui qui produit quelque chose). C’est une forme particulière de populisme de droite qui se représente le peuple comme foncièrement travailleur, et pris en étau par des profiteurs paresseux. L’idée majeure du producerism, que l’on retrouve par exemple au Tea Party, c’est qu’il existe une solidarité, ou au moins une connivence entre les profiteurs situés en haut et en bas de l’ordre social. Lorsque le PS était au pouvoir au niveau fédéral, la N-VA évoquait un peuple flamand courageux écrasé par l’Etat-PS, aux commandes du fédéral, et les profiteurs du sud, les Wallons, en bas de l’échelle sociale. Cette rhétorique, extrêmement efficace avant l’arrivée du gouvernement Michel, ne tient plus du tout. A la décharge de la N-VA, il n’est pas évident de se réinventer en si peu de temps. Reste donc la solution dite du « droit d’inventaire » : le droit de prétendre que les problèmes auxquels sont confrontés les ministres N-VA sont une conséquence du passé. Le droit d’inventaire avait été jadis invoqué en France par Lionel Jospin (PS), ce n’est donc pas une marque spécifique de la droite nationaliste.

Le président de la N-VA ne substitue-t-il pas sans cesse la légitimité nationaliste de la Flandre à celle, compliquée, d’une Belgique fédérale critiquée?

Bart De Wever est confronté à trois problèmes majeurs, qui expliquent beaucoup de choses.

Un : un peu comme Berlusconi entre 2001 et 2011, il doit donner l’impression d’être à la fois dans le système et contre le système. Il doit faire coexister un discours contre la Belgique fédérale et contre les partis traditionnels, avec celui de président d’un parti de gouvernement fédéral dont plusieurs personnalités dirigent des ministères très importants. Tous les partis d’opposition qui se veulent alternatifs et se retrouvent un jour au pouvoir sont confrontés au même problème. Je pense à Ecolo qui, de façon cyclique, doit jongler avec ça : parti différent, parti de gouvernement ! A la N-VA, la tâche est plus difficile : son programme repose sur le démantèlement de structures qu’elle est désormais chargée de gérer.

Deux : le nationalisme implique un retour de l’autorité. Dans le cas belge : soit au niveau fédéral, ce qui est complètement contraire au programme de la N-VA, soit au seul niveau flamand. Ce qui ne réglera absolument rien au terrorisme, sauf à créer une administration douanière, des tribunaux, une police et des services secrets flamands, et établir une frontière entre la Flandre et la Wallonie, idée absurde que personne n’évoque, sauf à très long terme !

Trois : comment dès lors continuer à défendre le niveau régional comme niveau idéal du développement de la Flandre ? Les flux de migrants et l’accueil qu’il faut organiser, les conflits au Moyen-Orient, le contrôle des frontières ou la menace terroriste apparaissent comme des enjeux qui peuvent en partie être réglés au niveau national, mais surtout, et parfois exclusivement, au niveau de la coopération entre Etats, voire de l’Union européenne.

Une Europe en crise…

S’il y a bien un problème qui concerne toute la classe politique, c’est son incapacité à reconnaître sereinement les limites de son contrôle sur notre destin. Tout le discours sur « l’analyse de la menace » témoigne de cette incapacité. Au lieu de reconnaître une certaine impuissance face au risque, on fait croire qu’on maîtrise son importance ou son imminence : risque élevé, risque faible, etc. C’est un procédé rhétorique grossier pour éviter de reconnaître qu’on ne contrôle pas totalement la situation. Ce jeu, qui consiste à entretenir l’illusion de la maîtrise, est très dangereux parce que, pour les terroristes, une seule victoire, même petite, jette le discrédit sur l’ensemble de l’Etat pour plusieurs années. ˜

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