Olivier Mouton

Les transferts Nord-Sud, vache à lait de la N-VA

Olivier Mouton Journaliste

Les transferts Nord-Sud, c’est l’argument électoral choc de la N-VA. Huit milliards d’euros passeraient chaque année de la Flandre à Bruxelles et à la Wallonie, dénoncent les nationalistes. Qui réclament la transparence. Bingo en terme d’image au Nord du pays. Mais la réflexion est biaisée et sert son agenda confédéraliste.

Qui ne se souvient pas de la scène? Le 6 janvier 2005, Bart De Wever, président de la N-VA, pose un geste symboliquement fort. Avec une douzaine de camionnettes, il s’en va déverser au pied de l’ascenseur de Strépy-Thieux l’équivalent de l’argent transféré annuellement de Flandre en Wallonie. La cargaison est composée de billets – faux, évidemment!- de 50 euros. Une montagne, faut-il le dire. C’est une provocation, dont le leader nationaliste reconnaîtra plus tard qu’elle n’était « pas très fine ». Mais l’impact en terme de notoriété, colossal, marque le début du chemin de la gloire pour le jeune parti nationaliste.

Huit ans et demi plus tard, le 20 juin 2013, la N-VA remet le couvert. Plus de camionnette, cette fois, mais des graphiques. Jan Jambon, chef de groupe du parti à la Chambre, souligne qu’en 2010, les transferts de la Flandre vers Bruxelles et la Wallonie s’élevaient à huit milliards d’euros, respectivement 1,2 et 6,7 milliards pour les deux entités. Les deux tiers de cette somme proviennent de la sécurité sociale (chômage, soins de santé et pensions, essentiellement). La N-VA comptabilise également dans ce « paquet » les transferts liés à la loi spéciale de financement et au « fonctionnement de l’autorité fédérale ». « Un transfert de 3.000 euros par travailleur flamand vers Bruxelles et la Wallonie, cela va trop loin », clame Jan Jambon. Un plaidoyer rapidement soutenu par le Vlaams Belang.

Le moment de cette sortie médiatique n’est pas innocent. Les huit partis qui travaillent à la réforme de l’Etat mettent précisément la main finale à la réforme de la loi spéciale de financement, qui régira les flux financiers entre Régions et Communautés du pays pour les dix années à venir. Celle-ci maintient des mécanismes de solidarité tout en veillant à une plus grande responsabilisation des entités fédérées. La sécurité sociale, elle, reste fédérale même si certaines compétences sont transférées. La concrétisation de la sixième réforme de l’Etat est l’un des arguments forts que les partis de la majorité veulent utiliser pour freiner la progression nationaliste.

La N-VA entend démolir l’édifice et afficher sa volonté de rupture. Elle veut aller plus vite, plus loin, dès 2014. Le confédéralisme financier qu’elle appelle de ses voeux aurait le mérité, dit-elle, de la clarté. Concrètement? Les comptes des trois Régions du pays seraient complètement séparés. Ce qui n’empêcheraient pas, précise le parti nationaliste, des mécanismes de solidarité totalement transparents. Simple comme bonjour! Si ce n’est qu’il s’agit là d’une indépendance qui ne dit pas son nom. D’un égoïsme institutionnalisé. Et surtout, d’une vision biaisée de la solidarité à des seules fins nationalistes.

Biaisée? Elio Di Rupo, alors président du PS, rappelait en décembre 2010 devant le Cercle de Wallonie que le les transferts devaient surtout être évalués en termes relatifs. Et là, le rapport Nord-Sud entre Flandre et Wallonie prend une autre dimension à l’échelle européenne. Ces transferts sont en effet nettement moins importants que ceux existant entre la Lombardie et la Sicile, l’île de France et l’Auvergne ou davantage encore entre la Communidad de madrid et les Asturies.

André Decoster, professeur d’économie à la KUL et grand spécialiste de la loi de financement, souligne pour sa part que l’angle d’approche de la N-VA est fondamentalement pervers. Nationaliste, en somme. Car les transferts entre la Flandre occidentale et le Limbourg, par exemple, sont plus importants que ceux vers la Wallonie tandis que le Brabant wallon contribue pour une bonne part au bien-être national. Selon lui, il faudrait même considérer les transferts sous l’angle strictement individuels: des travailleurs vers les chômeurs, les pensionnés, les personnes malades… N’est-ce pas là la raison d’être de la solidarité?

Guy Vanhengel, ministre bruxellois de l’Economie (Open VLD), a lui aussi rugi en réaction à la N-VA. Car, dit-il, un transfert important n’est pas pris en compte par le parti nationaliste: celui des impôts payés en Flandre et en Wallonie par les 350.000 navetteurs qui viennent travailler chaque jour à Bruxelles. Montant: quelque trois milliards par an.

Et que dire encore du passé: de 1830 à 1967, les transferts ont été de la Wallonie vers la Flandre. Ou du futur: les perspectives en matière de démographie et de charges des pensions sont nettement moins favorables à la Flandre qu’à la Wallonie.

C’est évidemment plus facile de dire que « chaque travailleurs flamand donne 3.000 euros par an aux Wallons et aux Bruxellois », sans apporter aucune nuance. On appelle cela du populisme.

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