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Les syndicats n’ont pas d’autres choix que la grève

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Pour se faire entendre, les syndicats n’ont guère le choix : à part la grève, reconnue comme un droit, ils n’ont pas d’autres moyens pour porter leurs revendications. Sauf à tomber dans l’illégalité.

Pendant plusieurs semaines, les lundis de grève se sont succédé, paralysant l’activité économique et la circulation sur certains grands axes routiers ou ferroviaires. Jusqu’au mouvement national d’aujourd’hui. De plus en plus, on entend des voix s’élever contre ce recours aux arrêts de travail, non seulement dans les rangs des employeurs mais aussi dans ceux des non-grévistes. Dans un contexte de grèves dites « politiques », les organisations syndicales ne croulent pourtant pas sous les possibilités d’actions : pour faire entendre leur voix, la grève est la voie juridique la plus sûre comme nous l’explique Jacques Clesse, avocat et professeur en droit du travail à l’ULg.

Le Vif/L’Express : Pourquoi parle-t-on dans le cas présent de « grèves politiques ». Ne le sont-elles pas toutes ?

Jacques Clesse : J’entends par grève politique un mouvement qui est directement dirigé contre le gouvernement fédéral (ou régional) et contre les mesures qu’il annonce. Selon cette définition, une grève organisée en entreprise, par exemple lorsqu’un licenciement collectif est annoncé par la direction, n’est pas politique.

De quels moyens de pression disposent les organisations syndicales dans les entreprises ?

Là où il existe une représentation syndicale, c’est-à-dire en dehors de la plupart des PME, le concours des syndicats est nécessaire, entre autres pour conclure une convention collective de travail. Dès lors, les syndicats peuvent monnayer leur signature en échange de ce qu’ils souhaitent obtenir.

Nous ne sommes clairement pas dans un tel contexte avec le plan d’action mis en place par le front commun syndical depuis quelques semaines. A part lors de manifestations et lors d’éventuelles rencontres avec les responsables politiques, plus ou moins secrètes, où les syndicats peuvent-ils faire part de leur mécontentement ?

Ils peuvent toujours s’exprimer dans certaines institutions où ils sont représentés. Au Conseil national du travail, par exemple, un organe paritaire consulté par le gouvernement sur les matières sociales. Mais ils ne peuvent y remettre qu’un avis, éventuellement négatif, et ne sont pas en mesure de bloquer une décision gouvernementale.

Revenons à la grève dite politique. Quelles sont ses limites sur le plan légal ?

Certains de mes collègues juristes affirment que toute grève politique est interdite. Je ne suis pas de cet avis. Je ne vois pas d’arguments juridiques pour affirmer cela. J’observe que ceux qui invoquent le caractère politique d’un mouvement le font souvent pour soutenir ensuite qu’il est illicite. Or un arrêt de travail ne pose pas de problème de légalité.

Le droit de grève est-il un droit absolu ?

Non. C’est un droit reconnu. En faire un droit absolu reviendrait à dire que c’est un droit illimité, ce qui n’est pas le cas. Tous les juristes sont d’accord sur ce point.

La question des piquets de grève, en revanche, semble plus sensible…

Oui. Depuis quelques années, la question de leur légalité est posée. Certains employeurs tentent d’obtenir de la justice qu’elle les interdise pour permettre à ceux qui le souhaitent d’aller travailler. Il est clair que, d’un point de vue de stratégie syndicale, le piquet est un instrument précieux pour amplifier le mouvement de grève. Dans le monde de la justice, la tendance dominante, mais pas unanime, consiste à considérer que le piquet, s’il est pacifique, fait partie du droit de grève. Mais ce disant, on ne fait que déplacer la question. Car qu’est-ce qu’un piquet pacifique ? Sur ce point, il n’y a pas encore de réponse juridique claire. On peut toutefois déjà considérer que si l’on crée un obstacle pour empêcher d’entrer dans une entreprise, on n’est plus dans une démarche pacifique. Idem en cas de coups ou de menaces verbales. Par contre, si des délégués syndicaux tentent de convaincre des travailleurs de ne pas aller travailler à l’entrée d’une société, ce n’est pas un problème.

Dans quel espace un piquet peut-il légalement agir ? Autrement dit, jusqu’où les organisations peuvent-elles aller dans le blocage de certains accès ?

On ne pourra jamais reprocher à un syndicat de faire grève. C’est une de leurs armes et c’est leur droit. Ce qui peut en revanche poser problème, ce sont certains dérapages. Bloquer un carrefour, par exemple, constitue une infraction pénale. Un piquet est traditionnellement prévu pour bloquer l’accès à une entreprise ou, éventuellement, à un zoning. Rien de plus.

Ce type d’infraction est-il poursuivi en Belgique ?

Non. On observe une impunité de fait qui peut en indigner certains. Jamais on ne voit la police dégager le carrefour Léonard, à l’entrée de Bruxelles, avec des autopompes. Mais à certains égards, on peut comprendre qu’il soit raisonnable de ne pas déclencher une répression qui serait lourde et mal perçue. Réprimer pour réprimer multiplierait la violence.

La grève du zèle est-elle un autre levier que les syndicats pourraient actionner ?

La grève du zèle est surtout le fait des services publics. Elle est moins facile à mettre en place dans le secteur privé. Pour moi, ce type d’action ne correspond pas à la définition de la grève. Car faire la grève du zèle consiste à mal faire son travail, ou à le faire à ce point lentement que cela devient nuisible. La grève classique, elle, consiste à ne pas travailler du tout.

La grève du zèle n’est pas légale ?

En suivant mon raisonnement, la grève du zèle pourrait ne pas être légalement autorisée. Mais cette matière est juridiquement très mal balisée. On se trouve dans un champ quasi vierge.

Avez-vous connaissance de dossiers dans lesquels des travailleurs adeptes de la grève du zèle auraient été poursuivis ?

Non, pas en Belgique. Mais en France, des salariés se sont vu reprocher d’avoir commis une faute professionnelle du fait de leur participation à une grève du zèle. D’un point de vue juridique, en Belgique, on voit très peu d’affaires liées aux grèves aboutir devant les tribunaux.

Les syndicats pourraient-ils par exemple laisser des passagers voyager sans payer dans un train ou dans un bus ?

Non. Il est illégal de laisser des gens voyager sans ticket. Et, pour un contrôleur précisément chargé de vérifier si les billets des voyageurs sont en ordre, il s’agirait d’une faute professionnelle.

L’absence de personnalité juridique pour les syndicats est régulièrement montrée du doigt par le banc patronal…

C’est un très vieux débat. Comme les syndicats ne disposent pas de la personnalité juridique, il est difficile de s’en prendre à eux pour les rendre responsables, par exemple, d’un dérapage lors d’une manifestation. Je remarque que ceux qui veulent leur octroyer cette personnalité juridique ont souvent une idée derrière la tête : casser les reins aux syndicats. En les rendant responsables, notamment sur le plan financier, certains voudraient limiter leur rayon d’action. Connaître le contenu de leur caisse de grève permettrait aussi à leurs adversaires de savoir quelle est leur capacité de résistance.

S’ils n’obtiennent pas d’avancées significatives, les syndicats ont promis de poursuivre leurs actions en janvier 2015. Ils pourraient, disent-ils, envisager des actions plus « créatives ». Quelles possibilités d’actions voyez-vous sous cette étiquette ?

Je ne vois pas ce qu’ils peuvent imaginer. La palette d’outils dont ils disposent pour manifester leur opposition aux mesures du gouvernement fédéral est assez limitée.

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