Les " trois Guy " (Mathot, Spitaels, Coeme), Claude Despiegeleer, Stéphane Moreau, Pascale Peraita : le PS est davantage dans le viseur. © Lebrun/PHOTO NEWS - D. Gys/Reporters - B. FAHY/belgaimage - W. Van Vooren/ID photo agency

Les socialistes sont-ils plus pourris que les autres ?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Inusop, Agusta, la Carolorégienne, Publifin, Samusocial. La litanie de scandales impliquant des mandataires PS pose, une fois de plus, une question bien plus éternelle qu’on ne le croit : les socialistes sont-ils plus pourris que les autres ?

C’est le parti des petites gens. Pourtant, tout commence avec un patron. Ce Patron, Emile Vandervelde, est un bourgeois plutôt austère, rejeton d’un avocat et d’une directrice d’usine. Il dirigera le Parti ouvrier belge, aïeul de l’actuel PS, pendant un demi-siècle. Autant de temps pendant lequel le grand Ixellois obligera aux siens une ligne politique, la conquête de droits sociaux par la voie démocratique, mais aussi une éthique. Le Patron donnait à son ascendant intellectuel et politique une dimension morale, religieuse même.

 » On a dit, justement, que le socialisme n’est pas seulement un parti ou une doctrine, mais une religion. Cette religion nouvelle doit imposer à ses adhérents une discipline morale « , écrit-il d’ailleurs, en 1897, dans une brochure contre l’alcoolisme. Pourtant déjà le jeune POB, fondé en 1885, comme le comportement de certains de ses dirigeants, suscitent les railleries des méchantes gazettes de la droite au pouvoir.

Vandervelde lui-même ne s’est-il pas appuyé sur l’immunité parlementaire, suprême privilège du pouvoir bourgeois, pour éviter un fâcheux procès après avoir blessé, en un duel tout ce qu’il y a de plus illégal, un importun ? Sa première épouse, l’inconstante Lala, ne se compromettra-t-elle pas dans quelque affaire dont la sortira la notoriété maritale ? Et cette protectrice bienveillance ne fera-t-elle pas de sa seconde femme, Jeanne, une des premières sénatrices du royaume ? Déjà, la religion nouvelle portait en elle ses indulgences et fomentait ses hérésies puritaines.

Et déjà l’argent, cet argent qui corrompt tout, perturbait les esprits et les campagnes. Les communistes, sortis d’un POB qu’ils pensaient embourgeoisé, donc corrompu, ne s’y trompèrent pas : dans l’entre-deux-guerres, ils opposaient déjà leur ascétisme révolutionnaire à l’empâtement des administrateurs de coopératives. A Charleroi, la réplique du Bauletois Arthur Gailly à un militant remonté relève de la légende.  » C’est pour arriver plus vite à Bruxelles défendre les mandailles comme toi ! « , aurait répondu ce cumulard patenté, patron du syndicat métallurgiste puis de la FGTB locale, député pendant trente ans et qui circulait dans une berline que conduisait un chauffeur à l’insolent qui le lui reprochait. On n’est pas loin de l’Yvan Mayeur d’aujourd’hui, qui justifie l’importance de ses revenus et de ceux de Pascale Peraita par leur excellence dans le domaine ingrat de l’aide sociale. Aujourd’hui comme depuis toujours, partout ou presque où il domine, à Liège, à Charleroi, à Mons, à Bruxelles, le Parti socialiste – écrivez P$ quand vous voulez vraiment vous donner l’air de savoir – traîne avec lui des affaires, des scandales et des polémiques qui font plein de boucan.

Ce boucan n’est pas nécessairement calibré selon les montants impliqués : avec les honoraires perçus de Patokh Chodiev, Armand De Decker, toujours au MR et toujours bourgmestre d’Uccle, aurait pu se payer trois ans d’un comité de secteur du désormais ancien PS et du bientôt ancien bourgmestre d’Ans, Stéphane Moreau. C’est que s’il est discutable que la corruption soit consubstantielle au socialisme, il est certain que l’indignation face à la corruption socialiste est infiniment plus élevée. Pour une raison simple : le socialisme se pose en parti, en doctrine et en religion des pauvres. Ça oblige.  » Le PS doit être plus exemplaire parce qu’il défend les petites gens « , répète d’ailleurs Paul Magnette à longueur d’interview.

Le parti, ascenseur pour ambitieux

Son président de parti, Elio Di Rupo, en fait un rebut statistique, une petite crotte sèche et puante coincée dans la marge d’erreur :  » Le PS, c’est un groupement de près de 90 000 personnes formidables et qui assument chaque jour leurs responsabilités. Il y a des accidents et il faut trouver des solutions mais on ne peut pas être derrière tout le monde « , disait-il après la démission d’Yvan Mayeur. Il a tort. Comme s’il ne s’agissait que d’un de ces problèmes de proportions d’examen cantonal :  » Sachant qu’un parti wallon compte 90 000 militants et qu’on y trouve des corrompus dans les quatre plus grandes villes qu’il gouverne, combien de grandes villes devra diriger un parti de 40 000 militants pour rassembler autant de corrompus ? Répondez lisiblement.  »

Le problème du problème, c’est que le calcul présidentiel est biaisé par une règle de trois. Parce que ce n’est pas parce que son parti est le plus grand que les affaires qui l’impliquent sont plus nombreuses, plus graves ou qu’elles font plus de bruit. Enfin, pas seulement.

S’il se trompe dans son calcul, le président, c’est, et d’une, son ministre-président l’a dit, parce qu’un apôtre du socialisme ne doit pas s’asseoir à la table des marchands du Temple.

C’est aussi, et de deux, parce que son parti est au pouvoir là où ça se voit le plus, et qu’il y est depuis longtemps. A Mons, à Charleroi, à Liège, à Bruxelles, dans les gouvernements, aussi, son pouvoir se met en scène, et se confronte souvent à des opposants organisés, et parfois à des journalistes intransigeants. La qualité et l’opiniâtreté des uns et des autres, au hasard à Mouscron, Malmedy, Dinant, Namur, Uccle ou la province du Brabant wallon, sur des scènes beaucoup moins courues, suscite moins d’attention. Et puis, sans doute est-ce l’effet d’une communication trop centralisée conjuguée à l’habitude du pouvoir, mais un socialiste ne parvient jamais à composer un récit médiatique sur les turpitudes d’un adversaire. Le scandale Publifin a éclaté par la grâce d’un échevin CDH, en cheville avec Le Vif/L’Express, celui du Samusocial à l’initiative d’un député écologiste bruxellois, relayé cahin-caha par la RTBF, et le ratagate de l’ISPPC met son président réformateur en manchette de La Nouvelle Gazette. A chaque fois contre le PS avant tout. Où un seul conseiller communal a voulu dénoncer un scandale national. C’est Jean-François Mitsch, avec l’électragate. Le parti lui a tapé sur les doigts (Le Vif/L’Express du 9 juin).

Et c’est enfin, et de trois, parce que son parti n’est pas qu’une doctrine, mais qu’il est aussi une religion, et qu’entrer dans son clergé, pour certains ambitieux d’extraction modeste est parfois le meilleur moyen de s’élever socialement. Ceux-ci s’engagent moins par idéal que par opportunisme.  » Le mécanisme du parti socialiste offre aux ouvriers, grâce aux nombreux postes rétribués et honorifiques dont il dispose, une possibilité de faire carrière, ce qui exerce sur eux une force d’attraction considérable « , écrivait déjà en 1914 le sociologue Roberto Michels dans son Essai sur les tendances oligarchiques des démocraties.

A l’époque, le curé Vandervelde disait déjà en avoir marre des parvenus.

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