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Les silences définitivement suspects de Jacqueline Galant

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

L’un ne sait rien mais est prêt à tout dire. L’autre sait tout mais ne veut presque rien dire. Ainsi peut-on résumer les auditions successives, hier en commission de l’infrastructure de la Chambre, de Laurent Ledoux, président du comité de direction du SPF Mobilité, et de sa ministre de tutelle, Jacqueline Galant.

Leur version des faits, relatifs à la passation d’un marché avec le cabinet d’avocats Clifford-Chance, à l’automne 2014, sont globalement incompatibles.

Avec les éléments d’informations dont ils disposent et plus encore en raison des éléments d’informations dont ils ne disposent pas, les députés n’étaient pas, hier, en mesure d’effectuer correctement leur travail, c’est-à-dire de contrôler celui de l’exécutif et la bonne utilisation des deniers publics: entre 400 000 à 500 000 euros seront consacrés au paiement de ce bureau d’avocats, d’ici à la fin 2015.

Les quelque 6 heures de débat consacrées à cette affaire n’auront donc pas permis d’avancer d’un pouce pour celui qui voulait savoir qui, précisément, de l’administration ou du cabinet Galant, a effectivement choisi et mandaté le bureau Clifford. Chacun a bien sûr sa petite idée sur la question. Mais les versions des deux principaux protagonistes divergent sur ce point.

La séance n’en aura pas moins été intéressante à d’autres égards.

Pour la première fois, les députés flamands de la majorité ont pris la parole dans le dossier. Certes en disant que l’affaire ne les intéressait guère, pas plus qu’elle n’intéresse l’opinion publique flamande. Et en insistant lourdement sur le fait que ce qu’ils appellent de leurs voeux, loin de ce pugilat presque intra-francophone, c’est la loi tant attendue qui fixera une fois pour toutes, ou quasiment, les routes aériennes au-dessus et aux alentours de Bruxelles. Au moins, c’est clair. Cela dit assez l’importance de l’enjeu…

Pour la première fois, on a vu une opposition francophone soudée comme jamais. Jacqueline Galant aura au moins eu ce mérite de rassembler, dans un même élan d’opposition politique et de demande de transparence, le CDH, Ecolo, le PS et le FDF. On aura aussi entendu la grosse voix du chef de groupe libéral Denis Ducarme, contraint d’appeler à la rescousse le plan Wathelet et ses errements pour faire bouclier aux attaques de l’opposition contre « sa » ministre. Ce n’était pas grandiose. Enfin, plus que les réponses de la ministre Galant, on aura entendu ses silences. Une fois de plus, le nombre de questions des députés restées sans réponse malgré trois heures de débat est affligeant.

Puisque la ministre ne dit rien et que l’administration ne dispose pas des informations nécessaires pour répondre, le mystère plane ainsi toujours sur les faits suivants :

  • Que s’est-il passé entre le soir du 3 novembre 2014 et le matin du 4, dans ce dossier ? La veille, il était encore question de mettre trois cabinets d’avocats en concurrence et de rédiger un cahier des charges. Quelques heures plus tard, le cabinet Galant avait décidé d’appeler le seul bureau Clifford et il n’était plus question de cahier des charges. Pourquoi ?
  • Pourquoi, entre février et septembre 2015, le cabinet Galant n’a-t-il donné suite à aucune des demandes d’informations de l’administration qui souhaitait savoir combien la collaboration avec le bureau Clifford coûterait et pour quel travail ?
  • Pourquoi les projections budgétaires du bureau Clifford, expédiées dès mars 2015 au cabinet Galant, n’ont-elles été transmises qu’en septembre au SPF Mobilité ?
  • Pourquoi les factures du cabinet Clifford ont-elles été envoyées avec presqu’un an de retard au cabinet Galant ?
  • Quelles sont les prestations effectivement réalisées à ce jour par le cabinet Clifford ?
  • Comment un marché d’une telle ampleur a-t-il pu se conclure sans le moindre contrat ou la moindre convention-cadre ?
  • Quand la mission du cabinet Clifford, qui ne devait initialement s’occuper que des aides d’Etat consenties aux compagnies aériennes, s’est-elle élargie au point qu’il se trouve désormais chargé de rédiger le projet de loi sur les routes aériennes, en lieu et place de l’administration ? Et qui a décidé de l’élargissement de cette mission ?

A toutes ces interrogations, la ministre Galant n’a pas répondu. Contrairement à Laurent Ledoux, qui avait listé les questions des députés pour y répondre une par une, Jacqueline Galant s’est contentée de lire son texte, faisant fi des demandes précises des députés. Faut-il être naïf pour penser que c’est pourtant à cela que sert un Parlement dans une démocratie digne de ce nom ? La ministre a aussi argué que le secret professionnel des avocats l’empêchait de divulguer certaines informations relatives aux honoraires et prestations du bureau Clifford. Ce qui n’est pas correct, comme le lui a démontré le député et juriste Olivier Maingain (FDF). La Cour des Comptes, saisie entre autres par la parlementaire CDH Vanessa Matz (CDH), aura d’ailleurs tout le loisir de collecter l’ensemble des pièces du dossier, y compris celles que la ministre Galant prétend soustraire au regard des députés. L’argument ne tient donc pas la route.

La prestation offerte hier en commission par la ministre, était, au regard de la transparence et de la bonne gouvernance dont se réclame sans cesse son parti – et avec lui toute la majorité gouvernementale – pitoyable. Personne ne demande à Jacqueline Galant de s’auto-flageller sur la place publique. Juste de répondre. En continuant à se murer dans le silence, elle ne fait qu’entretenir le sentiment qu’il y a des choses qu’il vaut mieux taire. Si tout est transparent dans ce dossier, qu’elle en fasse la preuve. Et que l’on passe enfin à autre chose. Mais la ministre ne dit rien, ou presque rien de ces choses qui permettraient de comprendre comment on en est arrivé là. Quand on est ministre fédérale, ce n’est pas à ce niveau que doit se situer l’orgueil, si c’est d’orgueil qu’il s’agit. Quand on est ministre fédérale, on peut se sortir d’une impasse par le haut en admettant s’être fourvoyé, en s’engageant à ne plus reproduire l’erreur par la suite (ce qu’elle a fait), et en proposant de se remettre au travail sur un vrai projet, réfléchi, réaliste et concerté. De ce projet de mobilité, que tous les Belges attendent, il n’a pas été question une seule minute hier.

Vendredi, le Premier ministre Charles Michel sera une nouvelle fois interpellé à la Chambre sur ce que l’on appelle « l’affaire Galant ». Que dira-t-il, lui qui est supposé se trouver au-dessus de la mêlée ? Osera-t-il évoquer dans le chef de cette ministre dont il est proche autre chose qu’une imprudence ? Ou attendra-t-il patiemment que le boulet passe, en espérant qu’il s’écrase vite mais loin de lui ? En réclamant enfin la seule et toute simple vérité des faits, il aura en tous les cas la possibilité de faire la preuve qu’il est bien le meneur d’équipe qu’il prétend être, cohérent, transparent et juste. Dernière chance vendredi.

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