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Les shopping centers, la nouvelle destination de rêve ?

Philippe Berkenbaum
Philippe Berkenbaum Journaliste

Maasmechelen Village, Ardennes Outlet Center à Verviers, McArthurGlen Luxembourg à Messancy… Ces shopping centers à ciel ouvert veulent devenir des destinations à part entière. Leur but : attirer la clientèle étrangère qui ne connaît pas la crise et peut dépenser jusqu’à 1500 euros par jour dans une boutique.

Evgueni, le mari, porte un sac dans chaque main et sa jeune femme Veronika un troisième, l’autre main serrant fermement celle du petit Youri, 8 ans derrière ses Ray Ban. Ils sont griffés Calvin Klein, Diesel et Mer du Nord. Le trio sort de la boutique Devernois où madame vient d’essayer une robe de la collection été 2012 annoncée à moitié prix. Voici trois heures qu’ils arpentent les rues piétonnes de Maasmechelen Village alignant une centaine de boutiques haut de gamme entre Hasselt et Maastricht. Un dimanche à la… Campine, des étiquettes plein les yeux. Des Russes au coeur du Limbourg ? « On rentre demain à Moscou, précise l’homme dans un anglais sommaire. Nous avons passé une semaine en Europe et on termine par le shopping. » Cinq jours à Paris dont un à Eurodisney, deux jours en Belgique, partagés entre Bruges et Anvers (« pour les diamants… ») d’abord, Maasmechelen ensuite. « Nous logeons à Bruxelles et nous avons pris un bus à 10 heures pour venir ici, il nous ramène en fin d’après-midi. C’est très bien organisé. » Comment ont-ils eu cette idée ? « C’est notre agence de voyage qui nous a conseillé cette formule. Ils nous ont dit que nous trouverions dans cet outlet beaucoup de grandes marques moins chères qu’à Paris. Ils avaient raison. »

Villages de marques

Outlet : le mot est lâché. Importé des Etats-Unis voici une bonne vingtaine d’années, on le traduisait à l’origine par « magasin d’usine », mais on parle désormais de « village de marques ». Le principe n’a pas changé, le décor bien. Le niveau aussi. Les plus grandes enseignes de prêt-à-porter y écoulent toute l’année leurs surplus à peine démodés de la saison précédente à prix cassés – moins 30 à 70 % selon les griffes et les périodes -, mais dans de véritables boutiques dédiées et « un cadre architectural néo-villageois volontiers inspiré de la Main Street des parcs d’attractions », souligne Caroline Lamy, chercheuse à l’Observatoire européen des centres de marques et magasins d’usine et auteure d’une étude sur le sujet .

« Ambiance, décor, gastronomie, luxe, animations… Tout est fait pour que les visiteurs passent un agréable moment sur nos sites. Un moment de détente. Ils doivent se sentir chez nous comme en vacances », résume David Winkels, directeur chez Value Retail Europe, l’un des principaux acteurs du secteur qui exploite neuf « Chic Outlet Shopping » en Europe – dont celui de Maasmechelen. « La volonté des promoteurs consiste à créer une ambiance propice à la flânerie et à l’acte d’achat, dans un environnement sécurisé », poursuit Caroline Lamy.

Même le luxe est présent

On compte près de 200 villages de marques en Europe, dont trois en Belgique (Maasmechelen Village, l’Ardennes Outlet Center à Verviers et McArthurGlen Luxembourg à Messancy), un quatrième en projet et plusieurs à nos portes (Roermond aux Pays-Bas, Roubaix en France…). Ils sont ouverts 7 jours sur 7 et quasi 365 jours par an et alignent les plus grands noms de la mode mais aussi, dans une moindre mesure, de la déco et des articles pour la maison, de la bijouterie et de diverses spécialités locales, comme les chocolats.

Même le luxe s’y démarque sans états d’âme : de Dior à Vuitton, en passant par Versace, Armani ou Ferragamo, les présences exclusives se négocient à prix d’or entre McArthurGlen, Realm, Neinver, Marques Avenue ou Value Retail, les géants de ce secteur en pleine croissance.

S’ils se trouvent en dehors des grandes villes, le plus souvent dans un rayon de moins d’une heure de voiture, c’est avant tout pour éviter aux marques de se concurrencer elles-mêmes, explique David Winkels. Ils choisissent bien sûr des zones densément peuplées et comptent avant tout sur une clientèle régionale en quête de bonnes affaires. « Plus de 18 millions de personnes vivent à moins de 90 minutes de Maasmechelen Village », poursuit notre interlocuteur, dont l’outlet belge se targue d’attirer 2,5 millions de visiteurs par an avec sa centaine de boutiques monomarques.

Mais leur ambition est ailleurs. Ce qu’ils visent, à l’heure où les clients européens saturent, c’est de devenir des destinations touristiques à part entière. Ou du moins, des motifs de courts séjours pour touristes étrangers. Ceux qui disposent de moyens autrement plus importants que les Européens en crise…

1 500 euros par jour dans une boutique

Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), les achats du tourisme international se sont élevés à 919 milliards de dollars en 2010, dont la moitié en Europe. Au top 3 des nationalités les plus dépensières, selon le spécialiste de la détaxe Global Blue, on trouvait, en 2011, les Chinois, les Russes et les touristes « autres Asiatiques » ; suivaient les Japonais et les Américains pour compléter le top 5. Le touriste hongkongais moyen dépense 1 500 euros en une seule journée en France dans la même boutique, le Chinois 1 470 euros, le Russe 1 000, l’Indien 765 et le Brésilien 680. En cinq ans, les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) sont passés de 20 à plus de 40 % du chiffre d’affaires des achats hors taxe en France, avec un panier moyen qui a augmenté de 50 % à 1 200 euros.

« Les clients de ces pays constituent le principal moteur du shopping international », explique Arjen Kruger, directeur marketing de Global Blue. Reste à savoir comment les attirer quand on se situe en dehors des villes ou des circuits touristiques classiques. C’est le challenge que s’emploie à relever la nouvelle génération des villages de marque.

Funshopping

Comment ? En misant sur le « funshopping », explique Caroline Lamy, un néologisme qui désigne le fait de « convertir l’espace marchand en centre de loisirs susceptible d’attirer et de fidéliser la clientèle, d’augmenter le temps de visite et donc le panier d’achats moyen ». A l’instar du centre Freeport de Lisbonne qui, outre ses 200 boutiques, aligne un cinéma multiplexe, une discothèque, un espace d’exposition, 18 restaurants et cafés… L’autre piste consiste à détourner à leur profit, pendant quelques heures, les flux de voyageurs attirés par d’autres destinations touristiques locales.
« Nous travaillons avec les tour- opérateurs, les compagnies aériennes et les hôtels pour proposer des « packages touristiques » combinant une journée à Maasmechelen Village et une excursion dans la région, confirme David Winkels. Nous sommes aux portes du Parc national de Haute Campine (le seul de Flandre), des anciennes mines du Limbourg, nous proposons des visites de domaines viticoles ou des expositions dans la région : musée de la mode à Hasselt (avec l’expo Axelle Red), musée gallo-romain de Tongres, armée de terra cota à Maaseik… »

Le Chic Outlet de Marne-la-Vallée propose la Champagne, celui de Bicester (Londres) suggère Oxford ou Stratford-upon-Avon, celui de Fidenza (Milan) invite à découvrir le Parmigiano, etc. Chaque village dispose de son « tourism manager » et son site Web indique tout ce qui peut être visité alentour. Certains finissent par avoir une force d’attraction suffisamment grande pour devenir des destinations à part entière.

Un signe qui ne trompe pas : seul représentant du commerce de détail dans ce cas à ce jour, Value Retail a récemment fait son entrée à l’OMT. Comme un vrai acteur du tourisme.

Par Philippe Berkenbaum

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