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Les sept « MRcenaires » qui font la loi chez les réformateurs

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Ils sont une poignée, à peine, à porter le message du parti dans les médias. Leurs rôles sont bien répartis et sont, fait inédit dans la famille libérale, plutôt respectés. Portraits, style western, des sept réformateurs les plus en vue.

On dit souvent que la politique est un Far West. Mais l’Ouest, aussi sauvage fût-il, n’était pas désorganisé pour autant : il imposait une hiérarchie, entre cow-boys et indiens, entre cow-boys, entre indiens. La politique, elle aussi, suit des lois, et se plie à des codes. Et puis, si les chasseurs de primes maraudent et les chercheurs d’or prospectent en politique également, rares sont ceux qui le font en ne respectant aucune règle, surtout celle que leur impose leur bande. Le Mouvement réformateur en est une, de bande, qui fera sa rentrée ce dimanche 18 septembre à Ottignies, dans un contexte marqué par la fermeture de Caterpillar, les questions sécuritaires et l’annonce de rudes discussions budgétaires. Alors qu’il a vécu une histoire tumultueuse, le parti du Premier ministre va bien : la bande rivale, socialiste, n’est pas au mieux, les sondages sont corrects et la popularité de Charles Michel augmente. Son gouvernement, pourtant, ne vit pas ses heures les plus tranquilles, tant sont intenses les querelles entre CD&V et N-VA.

Mais le Mouvement réformateur, bientôt à mi-législature, présente aujourd’hui une forme – qui l’eût cru ? – d’harmonie. Chacun, qu’il en soit heureux ou pas, sait ce qu’il a à faire. Et, plus surprenant encore, chacun semble s’y tenir. Signe de ce temps harmonieux : les ministres fédéraux ne s’expriment que sur ce qui relève de leurs compétences fonctionnelles (les Classes moyennes pour Willy Borsus, la Mobilité pour François Bellot, les Pensions pour Daniel Bacquelaine, l’Energie pour Marie-Christine Marghem, le Budget pour Sophie Wilmès), tandis que Didier Reynders (Bruxelles et Affaires étrangères) se montre d’une inédite loyauté. Avec le vice-Premier, ils sont sept réformateurs (huit, en fait, tant Jean-Luc Crucke et Pierre-Yves Jeholet sont inséparables), tous blancs, tous mâles, à porter la voix du parti dans les médias. N’en déplaise à Alain Destexhe qui a, lui, vraiment entamé les démarches pour se procurer une arme à feu, les vraies fines gâchettes du MR sont ici.

Charles Michel, le Kid

Les sept
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Il ne devait pas arriver aussi haut, aussi tôt. Mais Charles Michel a l’habitude de la précocité au moins autant que d’encaisser les surprises, divines ou pas. En 2004, jeune ministre à peine sorti de charge, il se voit prendre la tête du Mouvement réformateur, et lui imprimer la marque d’un libéralisme sans complexe. Mais le parti n’est pas encore prêt à se transmettre d’un Michel à l’autre. Dix ans plus tard, enfin président après avoir battu Didier Reynders, il prévoit une tripartite orange-rouge-bleue à tous les étages de la maison Belgique, et espère envoyer Reynders à la Commission européenne. Il se retrouve Premier ministre d’une coalition sans rouges ni oranges francophones et avec Didier Reynders comme vice-Premier. La vie, parfois… Aujourd’hui, Charles Michel s’est installé pour durer. Pour l’opinion francophone, peu au fait des tensions entre partenaires flamands, il incarne presque à lui seul un gouvernement qu’il dirige sans le dominer, et il évite, employant la rhétorique soignée d’un rassembleur, de trop montrer ce qu’il est : le désormais incontestable patron de son parti. Le chef de la horde. Une horde bleue, qui chevauche vers la droite.

Didier Reynders, l’étranger

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Il est depuis 2011 en retrait, mais il ne sera jamais à la retraite. En 2014, Didier Reynders avait rêvé s’effacer, au moins cinq ans, des petites affaires belges, et surtout des grandes querelles réformatrices. Quitte à revenir, après coup, pour reprendre un parti en demande. Il n’en fut rien et on le sait. Depuis lors, il est là sans être vraiment là : il veille, à Bruxelles, à se concilier son homologue socialiste Laurette Onkelinx et méticuleusement écrabouiller Vincent De Wolf, le numéro 2 de la fédération bruxelloise de son parti. Les deux entreprises avancent. Mais pas avec la brutalité des razzias de jadis, lorsqu’avec ses compagnons, il galopait sur le parti ou sur Bruxelles. Il pilote aussi, accessoirement, la politique internationale d’un royaume de onze millions d’habitants. Avant, ça ne l’empêchait pas de donner son avis sur tout. Aujourd’hui, si. Parce qu’il est en retrait. Mais pas à la retraite. Il attend. D’enfin revenir ou d’enfin partir.

Olivier Chastel, le pied-tendre

Si la bande, sa bande, paraît à certains francophones un peu dépenaillée, professant un libéralisme trop sauvage pour être fréquentable, Olivier Chastel est là pour les rassurer : il est le réformateur qui s’abîmera le moins avec la sulfureuse N-VA. Le Carolorégien est un fidèle de la famille Michel. Il s’ennuyait dans ses fonctions ministérielles. Deux raisons de lui céder le bureau présidentiel sans inquiétude. Il tient la boutique libérale en gérant du quotidien, les désignations et les petits arbitrages, pendant que le vrai patron est au 16. Surtout, ce laïque pas virulent, et social pas socialiste, doit se montrer compatible avec ses homologues francophones avec lesquels son parti ne gouverne pas. Pour s’assurer que les contacts, malgré tout, sont encore possibles. Et pour éviter de laisser trop amalgamer sa formation avec une N-VA dont une majorité de francophones, politiques ou pas, ne veulent pas. Il est, de tous ses camarades, le plus gentil avec les adversaires, et le plus méchant avec les partenaires.

Denis Ducarme, le dogue

Les sept
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L’autre héritier de la horde doit montrer les dents. Il n’est pas ministre, bien sûr. Ça lui aurait plu, et ça viendra peut-être. Mais en attendant, il est à la Chambre le contraire de ce qu’Olivier Chastel est ailleurs : ami des partenaires de la majorité, repoussoir des adversaires de l’opposition. Au Parlement fédéral, il surveille, contrôle, balise et canalise. Sa grosse voix en impose, même lorsqu’elle ne porte pas grand-chose. Il n’empêche : elle est toujours d’une utile protection pour les ministres d’une majorité en minorité sur les bancs francophones. Tenace prospecteur politique, il s’est trouvé il y a une décennie déjà le filon qui porte sa carrière : la lutte contre l’islam politique. Moins échevelé qu’Alain Destexhe, il est le pendant à Bart De Wever et à ses petits camarades en ces moments troublés. La loi proscrivant le port de la burqa en public l’aura lancé. Il en est même devenu laïque, mais d’un mode où se reconnaissent peu d’institutionnels de la laïcité belge. Mâle apôtre d’une laïcité à la française, Denis Ducarme ? A la Sarkozy, alors.

Richard Miller, le doc

Surtout connu pour les discours et les programmes que d’autres – presque exclusivement Louis Michel, en fait – ont prononcés et promus, Richard Miller s’offre une fin de carrière de vieux philosophe occupé. Occupé à récrire la charte du parti, occupé au Centre Jean Gol – où, soit dit en passant, son libéralisme n’est pas du tout le même que celui de son directeur scientifique Corentin de Salle – occupé à s’asseoir à la télévision pour parler de tout, absolument tout, occupé à sa petite maison d’édition, lancée avec quelques vieux copains, aussi. Bref, occupé à prendre une place qu’il n’avait, en fait, jamais occupée en quarante ans de vie politique. Comme un vieux sage qui viendrait d’apprendre à faire des grimaces. Et ça l’amuse tellement, nous dit-on, qu’il se montre souvent déçu lorsqu’un autre réformateur que lui est dépêché à la radio ou à la télévision. Heureusement pour le vieux sorcier, c’est encore rare pour le moment. Mais il y a dans la tribu des apprentis qui s’intéressent de plus en plus à cette magie-là.

Jean-Luc Crucke, l’éclaireur

Avant tout le monde, et contre l’avis du grand chef bleu, il avait plaidé à gros signaux de fumée pour une alliance avec la vilaine tribu jaune et noir. Guettant aujourd’hui sur le Grognon, il mise plutôt sur une association avec les peaux-rouges wallons. Mais ni alors ni maintenant son avis n’est décisif. C’est qu’il a, il y a trente ans déjà, scellé un pacte de sang avec les frères bleus liégeois, et qu’ensemble ils honorent leur manitou, Jean Gol. Au service de Didier Reynders, avec Daniel Bacquelaine un peu, mais surtout avec Pierre-Yves Jeholet, ils veulent infléchir vers le régionalisme un message libéral traditionnellement orienté vers la Communauté française. Le contraire des incantations de Jean Gol, qui évoquaient une nation francophone. Mais ils n’ont, de toute façon, pas la main depuis la victoire de la lignée des têtes chauves. N’empêche, Jean-Luc Crucke, désormais vice-président du parti, espère toujours être ministre. Alors, pour patienter, il marche à travers la grande prairie wallonne. Il chante sa beauté. Et il pactise avec l’ennemi du temps. Comme à la fois précédente.

Georges-Louis Bouchez, l’Apache

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Il est né pour flinguer, et tire tellement qu’il semble parfois jouer à la roulette russe avec un barillet plein. Georges-Louis Bouchez aime le goût âcre de la poudre fumante. Il n’aime pas rôder en bande, et la bande, du reste, aime encore moins rôder avec lui. Chassé du saloon namurois par Jacqueline Galant, jeté hors de l’enclos montois par Elio Di Rupo, il a été sauvé par Charles Michel, qui l’a chargé : 1. de préparer les élections communales à Mons, 2. de préparer les élections communales à Mons, 3. de préparer les élections communales à Mons, et 4. de faire ce qu’il veut pour préparer les élections communales à Mons. On le pensait mort, il est plus libre que jamais, il sort une idée qui fait du bruit par semaine, et énerve à chaque fois une moitié de la horde bleue. C’est que quand un flingueur est libre, il flingue. Dans tous les sens. Ça fait du bruit, mais pas encore de victimes. Il y en aura. Peut-être même le flingueur. Une balle perdue. Ou un coup de poignard dans le dos.

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