Bruxelles © iStockphoto

Les pistes pour rendre Bruxelles à nouveau désirable

Le Vif

Déficit de visions et d’ambitions. Gouvernance inefficace. Enseignement en rade. Bruxelles est à la traîne. Philippe Van Parijs et Thierry Willemarck pointent des pistes de solutions pour que la capitale retrouve son éclat.

Propos recueillis par XAVIER ATTOUT

L’un arrive à vélo. L’autre a déjà replié le sien dans son bureau de la rue de la Loi, siège de Touring. Philippe Van Parijs, philosophe et économiste bruxellois, et Thierry Willemarck, CEO de Touring et président de Beci, la Chambre de commerce et union des entreprises de Bruxelles, ne partagent pas toujours les mêmes points de vue. Mais ils s’accordent au moins sur la manière de se déplacer à Bruxelles. Le Vif/ L’Express les a réuni pour évoquer leur vision de la capitale et ses grands enjeux.

Les défis semblent nombreux à Bruxelles. Que ce soit en termes de mobilité, d’enseignement ou de logement. N’ y a-t-il pas eu à un moment un déficit de vision et d’ambition pour la capitale ?

Thierry Willemarck : Il y a clairement un manque de vision et d’ambition. Les politiques s’inscrivent trop souvent dans un modèle de gestion en bon père de famille. Ils agissent uniquement en fonction des moyens disponibles. Si vous accumulez du retard dans certains domaines, comme les tunnels par exemple, il faut, à un moment donné, trouver d’autres sources de financement. Seulement voilà, les partenariats public/privé sont des tabous pour certains partis politiques. L’avenir de Bruxelles passe pourtant par l’appel à des fonds privés qui doivent être rémunérés d’une façon ou d’une autre.

Philippe Van Parijs : Pour améliorer sa gouvernance, Bruxelles devrait fonctionner comme un district et non avec dix-neuf communes. Il faudrait aller plus loin que fusionner les zones de police. Il n’y a aucune raison de ne pas faire comme à Berlin, Paris ou Vienne. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas décentraliser certains services. Nous devons aller vers un fédéralisme simplifié, c’est-à-dire un fédéralisme à quatre régions. Sans la Communauté française. Bruxelles serait alors responsable de son enseignement, avec des réseaux qui seraient transrégionaux. Car Bruxelles ne pourra jamais fournir suffisamment de professeurs à ses écoles.

T.W. : Sans cette simplification, c’est un haro sur l’investissement. Bruxelles possède une densité de population suffisante pour avoir une centralisation des décisions.

Quels sont les risques pour la capitale de ne pas s’inscrire dans cette évolution ?

T.W. : Enormes. Bruxelles doit prendre conscience du contexte de concurrence internationale qui est en train de prévaloir. Les villes deviendront de plus en plus attractives. Avec des centres de pensée et de recherche qui exigent des qualifications de plus en plus poussées. Et dans ce contexte, où est le plan de vision pour devenir la smart city du futur à Bruxelles ? C’est-à-dire une ville qui possèdera des infrastructures technologiques avancées qui feront que les sociétés aimeront rester ici. Où sont les investissements en termes universitaires de créer un pôle intellectuel qui rayonne, de manière à attirer les jeunes penseurs ? Je ne lis rien là-dessus. Je ne vois rien. A Vienne, c’est pourtant en milliard d’euros que l’on investit sur les cinq prochaines années. Demain, les talents européens auront le loisir de choisir entre plusieurs villes. Et Bruxelles sera à la traine si on ne fait rien.

Comment améliorer cette situation alors ?

P. VP. : Je crois de mon côté beaucoup au « bottom up » (ndlr : tirer vers le haut). Les pouvoirs publics doivent pouvoir assurer les conditions d’attractivité de la ville pour le type d’emploi et d’employés qui sont essentiels au dynamisme de la ville. Et pour résoudre les problèmes de mobilité d’une ville au XXIe siècle, il faut avant tout réduire le nombre de voitures par habitant. Mais il ne faut pas faire non plus primer la mobilité durable sur l’immobilité agréable. C’est-à-dire des espaces publics.

Les problèmes de mobilité semblent pourtant inextricables…

T. W. : La particularité de Bruxelles, c’est que 50 % des gens qui y travaillent viennent de l’extérieur. Mais seuls 14 % s’y rendent en transports en commun. Cela amène son lot de questions. Pourquoi est-ce aussi lent à Bruxelles de mettre en place les conditions pour promouvoir la voiture partagée ? Uber a démontré que quand on démocratise le prix du transport avec chauffeur, les gens sont prêts à abandonner leur voiture. C’est une belle preuve que les coûts actuels des taxis sont trop élevés et que si une alternative existe, les gens la prendront. Il ne faut pas avoir peur non plus de demander une juste contribution en matière de transports en commun pour améliorer leur qualité. Ils ne sont pas fait que pour les chômeurs !

Comment relancer l’enseignement, un élément clé du développement bruxellois ?

P. VP. : Il est temps de prendre conscience de l’importance de la dimension linguistique. Bruxelles ne s’en sortira que par les langues. Il est capital aujourd’hui de fonctionner dans un environnement multilingue. Le pourcentage de Bruxellois capables de parler le français, le néerlandais et l’anglais est en diminution. Résultat : les jeunes du Brabant flamand qui sont trilingues obtiennent tous les jobs intéressants.

T. W. : Demain il faudra un diplôme et la connaissance des langues sera un must absolu.

P. VP. : Il faut mieux organiser l’enseignement, en commençant notamment le néerlandais beaucoup plus tôt. Il est nécessaire de mieux exploiter ce prodigieux trésor des compétences.

T. W. : Un autre problème, c’est que les Belges d’origine étrangère ont un encadrement familial insuffisant lors du décrochage scolaire. Nous avons là un scandaleux galvaudage des capacités intellectuelles. Outre les langues, il y a un effort d’accompagnement à faire pour qu’ils puissent réussir. Sinon, le ballon du chômage va augmenter et sera impayable.

P. VP. : Mais n’ethnicisons pas ce débat. Le manque de motivation vient du manque de perspectives d’emploi. Il importe d’aller aux causes de cela. Qui ne sont pas liées qu’à l’immigration. Les problèmes d’enseignement sont très différents à Bruxelles et en Wallonie. Gérer les problèmes de la même manière à Durbuy ou à Bruxelles est absurde.

Sur quoi Bruxelles doit-elle axer son développement ?

T. W. : Démographiquement, la Région bruxelloise doit investir dans la qualité de vie. La ville n’est pas encore suffisamment attractive pour séduire et retenir les habitants. Sans cela, vous n’aurez pas une assiette fiscale suffisante pour la développer. La réforme fiscale présentée en octobre dernier est intéressante. Il faut juste retravailler le volet immobilier.

P. VP.: Il y a un déficit migratoire à Bruxelles qu’il faut endiguer. Des jeunes habitent à Bruxelles entre 18 et 34 ans, pendant la période pauvre de leur existence. Une fois qu’ils gagnent davantage leur vie, ils quittent la capitale. Il faut aussi résoudre le problème des Européens et des diplomates qui ne participent pas à l’Impôt sur les personnes physiques. C’est un problème car ils utilisent les services bruxellois sans y contribuer. Tout cela contribue à l’appauvrissement de Bruxelles. Je reste toutefois optimiste sur l’avenir, si toutes les forces vives se retroussent les manches.

T. W. : Bruxelles possède d’indéniables atouts mais je suis plus pessimiste par rapport à la capacité décisionnelle. Ce qui nous fera peut-être rater le bon train, vu les grands changements qui s’annoncent.

Le dossier de 16 pages « Les nouveaux conquérants de Bruxelles », dans Le Vif/L’Express en vente actuellement.

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