LES NOUVELLES FRACTURES DU MR

Kazakhgate et sorties de De Decker, économies contreproductives au fédéral, élections internes douloureuses, faiblesse du président Chastel, Fillon et vague populiste : les libéraux francophones terminent l’année dans les cordes.

La droite est à la fête en France, après l’énorme succès de la primaire pour l’élection présidentielle et la vague qui porte l’ancien Premier ministre, François Fillon. Généralement, les euphories de nos voisins sont contagieuses en Belgique francophone. Mais en cette fin d’année, le MR fait la soupe à la grimace.  » Cela fait six mois que nous n’avons pas la moindre bonne nouvelle à annoncer « , peste Georges-Louis Bouchez, délégué général du parti.  » Alors que l’adoption de notre nouveau manifeste doctrinal, en novembre, devait relancer notre dynamique, voilà l’affaire De Decker qui nous poursuit « , regrettent en choeur les députés fédéraux Denis Ducarme et Richard Miller.

L’onde de choc du Kazakhgate mine le seul parti francophone de la majorité fédérale. Et ce n’est pas près d’être fini : la commission d’enquête parlementaire qui se penchera sur cette  » affaire d’Etat « , selon les termes d’Ecolo, durera tout l’hiver. D’autres sujets altèrent la confiance des bleus, des luttes fratricides en gestation à la  » faiblesse  » du président Olivier Chastel, en passant par la vague populiste qui gronde.  » Nous sommes trop attentistes, tant pour nettoyer les écuries en interne que pour répondre aux défis de l’heure « , grince-t-on dans les sections locales. La tension monte.

L’enquête concernant le rôle joué par Armand De Decker dans le Kazakhgate est au centre des états d’âme actuels du MR. Alors qu’il était sénateur, celui-ci serait intervenu à la demande de l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, pour précipiter l’adoption d’une loi instaurant en 2011 la transaction pénale en Belgique. Premier bénéficiaire : un  » trio kazakh  » avec lequel Paris souhaitait commercer. Figure principale ? Le milliardaire Patokh Chodiev, dont l’avocat… Armand De Decker aurait perçu des honoraires pour un montant faramineux : plus de 730 000 euros.

Une sanction  » regrettable  »

Dimanche 20 novembre, le conseil de conciliation et d’arbitrage interne, composé des sages du parti et présidé par l’ancien ministre François-Xavier de Donnea, a décidé qu’Armand De Decker ne pourrait plus exercer de mandat interne, ni s’exprimer au nom du MR. Qu’importe : les jours qui suivent, le principal intéressé s’exprime à l’issue du conseil communal d’Uccle et se défend dans une interview fleuve à L’Echo :  » Je ne suis intervenu en rien pour faire cette loi.  » En critiquant le parti au passage : sa sanction est  » regrettable « . Lundi 28 novembre, le conseil d’arbitrage, ulcéré, parle de  » faute de déontologie  » et  » exige  » qu’Armand De Decker introduise une demande d’avis à la commission fédérale de déontologie, créée en 2014 au Parlement pour évaluer le comportement des mandataires publics. S’il refuse, il pourrait être  » suspendu  » du parti. Des décisions  » fermes  » selon le MR – une source précise que cela l’empêchera de garder le contrôle sur la section uccloise -, mais peu lisibles pour le grand public. L’homme reste député et bourgmestre d’Uccle, tant qu’il n’a pas été inculpé.

 » Le signal est très clair, on qualifie les faits et on lui demande de baisser d’un ton, estime Denis Ducarme, chef de groupe MR à la Chambre. On ne laissera pas M. De Decker salir le MR !  » La mise au point est nécessaire, mais sans doute insuffisante.  » L’avis général qui s’exprime dans les sections locales, c’est que cette affaire est très mauvaise pour nous « , reconnaît Richard Miller. Symboliquement, les honoraires évoqués sont indécents alors que l’on demande des sacrifices à la population. Certains, en interne au MR, évoquent, à l’instar d’Ecolo, un scandale d’Etat potentiellement plus important que l’affaire Agusta du PS parce qu’il  » touche aux fondements de la démocratie sous la double pression d’un mafieux et d’un pays étranger « .  » A Uccle, on comprend peut-être de tels comportements, mais certainement pas dans le Hainaut, chauffe Georges-Louis Bouchez. Il est incompréhensible que l’on ne soit pas aussi fermes que nous l’avions été à l’époque avec Serge Kubla « . En février 2015, l’ancien ministre wallon et bourgmestre de Waterloo avait été contraint de démissionner de tous ses mandats au moment de sa garde à vue dans une affaire de corruption par un groupe industriel en République démocratique du Congo.

 » Armand est là depuis longtemps, il en sait sans doute beaucoup sur chacun de nous « , souligne un MR, pour tenter de justifier cette  » complaisance « .  » On n’ose pas agir plus fort parce que l’on ne sait pas encore si l’incendie est circonscrit « , dit un autre. Le nom du vice-Premier ministre MR de l’époque, Didier Reynders, est régulièrement cité, pour l’instant sans preuve irréfutable.  » Je suis moins inquiet pour le parti que pour la classe politique dans son ensemble, conclut un ponte. Cela fait d’énormes dégâts à une époque où l’antipolitisme ne cesse de croître…  »

Des économies qui font mal

Pour le MR, l’affaire survient d’autant plus mal que l’action du gouvernement fédéral de Charles Michel est moins intense qu’il y a un an. Les principales réformes structurelles sont engrangées et la majorité se divise sur la suite de son programme, comme en témoigne le bras de fer entre N-VA et CD&V sur la réforme de l’impôt des sociétés et la taxation des plus-values. La saga du contrôle budgétaire difficile et la mise en garde européenne qui a suivi ont terni le crédit de  » bonne gestion « .  » Les économies de Maggie De Block dans les soins de santé passent très mal dans les sections, souligne Fabian Culot, chef de groupe du conseil communal à Seraing. Il nous est difficile de les expliquer, d’autant que cela concerne notamment les médecins, qui ne sont pas précisément des opposants.  » Cette profession vient grandir la cohorte des déçus inattendus de la suédoise, dont les militaires et les policiers (lire Le Vif/ L’Express du 18 novembre dernier).

 » Les résultats macroéconomiques sont en outre moins positifs qu’attendus en raison de la conjoncture « , s’alarme un autre cadre du parti. Les 65 000 emplois créés seraient majoritairement des contrats à durée déterminée.  » Ce gouvernement prend des mesures courageuses qui visent à des modifications structurelles du marché de l’emploi, rétorque Olivier Chastel, président du MR. Non, il ne s’agit pas de mesures budgétaires ciblant les plus faibles.  » Il s’exprimait de la sorte à la suite d’un rapport de l’Iweps (Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique) affirmant qu’il existe en Wallonie et à Bruxelles un chômage structurel s’expliquant par le niveau trop élevé des salaires, les compétences des travailleurs qui ne répondent pas aux attentes des entreprises, le manque de mobilité de la main-d’oeuvre ou un système d’indemnisation incitant peu au retour à l’emploi. Traduction des propos présidentiels : la thérapie de choc menée au fédéral est la bonne.

Les tensions montent en interne

Le mot d’ordre en cette période difficile ?  » On se serre les coudes dans l’adversité.  » L’époque des tensions permanentes entre les clans Michel et Reynders serait révolue. Mais elles restent sous-jacentes et d’autres lignes de fractures apparaissent.  » La première année de la suédoise, Charles Michel restait très présent dans la conduite du parti, souligne-t-on. Mais désormais, il est happé par le Seize et la faiblesse du président, Olivier Chastel, devient criante : sa seule stratégie consiste à éviter les problèmes.  » Après que le MR est complètement passé à côté de la fronde du PS contre le traité européen de libre-échange avec le Canada (Ceta), on reproche au parti de s’être fait rouler dans la farine dans le dossier concernant le décumul en Wallonie. Le MR était prêt à soutenir un texte correspondant à ses idées sur le sujet, en appui de la majorité régionale PS-CDH.  » Jamais nous n’aurions dû approuver le revirement survenu ensuite « , s’énerve un cadre. Qui raille par ailleurs la proximité entre Chastel et le président du PS, Elio Di Rupo,  » illisible en cette ère de polarisation accrue « .

Les élections internes destinées à renouveler les directions des fédérations provinciales et des arrondissements, qui ont lieu ces 7 et 10 décembre, vont révéler d’autres tensions. La seule confrontation directe aura lieu dans le Hainaut : Georges-Louis Bouchez s’entête à défier l’ancienne ministre Jacqueline Galant dans l’arrondissement de Mons-Borinage.  » C’est un vrai talent politique en devenir « , soutient Richard Miller. Propulsé délégué général du parti par Charles Michel, Georges-Louis Bouchez n’a toutefois pas voulu écouter les appels à se retirer émanant de la direction du parti.  » S’il perd cette élection après avoir déjà perdu son mandat de député wallon quand Jacqueline Galant est revenue au parlement, son poste d’échevin à Mons pour avoir fâché Elio Di Rupo et après avoir échoué à défendre son amendement soutenant le suppression du vote obligatoire au congrès, cela fera beaucoup !  »  » Même si je suis battu, cela me fera une base de soutien pour la prochaine fois « , se défend l’intéressé. Mais son insouciance hyperactive commence à ulcérer certains au sein du MR.

Dans deux autres fédérations, l’enjeu n’est pas mince en dépit de candidature unique. A Bruxelles, le vice-Premier ministre Didier Reynders va s’emparer de la régionale.  » Lors du scrutin interne précédent, il avait commis l’erreur de faire un compromis avec les « micheliens », dit un de ses proches. Cette fois, il aura complètement la main. Un des enjeux sera de savoir si Vincent De Wolf, chef de groupe au parlement régional, conservera son poste. Il est invisible !  » Certains y voient l’amorce d’une reconquête du parti par Didier Reynders, la capitale étant un enjeu clé pour les élections de 2019, la seule entité où le MR peut arriver en tête.

Il est un autre lieu stratégique, détenu aussi par les  » reyndersiens « , où l’on grince des dents : la province de Liège. Philippe Dodrimont, bourgmestre d’Aywaille, est candidat à sa succession à la tête de cette fédération qu’il dirige depuis 2004.  » Mon objectif consiste à rassembler au mieux les forces pour les élections de 2018 et 2019 « , nous dit-il. Mais les Liégeois avouent ne pas avoir digéré la nomination du très  » michelien  » Hervé Jamar au poste de gouverneur, il y a un an. Comme au PS, ils estiment que leur province est insuffisamment représentée au plus haut niveau.

Le triomphe de François Fillon en France donne enfin du grain à moudre aux velléités conservatrices qui s’expriment au sein du parti.  » Il y a une énorme angoisse de la population par rapport à l’immigration, souligne l’éternel « rebelle » Alain Destexhe, député régional bruxellois. C’est une peur légitime. François Fillon y répond clairement, lui, notamment dans son livre Vaincre le totalitarisme islamique.  »  » François Fillon représente une droite ultraconservatrice qui est loin du libéralisme de valeurs que nous incarnons « , réplique le Liégeois Fabien Culot.

Deux ans après avoir été qualifié de  » kamikaze  » par l’opposition, voilà le MR écartelé. Et fragilisé de l’intérieur.

PAR OLIVIER MOUTON

 » La seule stratégie d’Olivier Chastel est d’éviter les problèmes  »

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