Thierry Fiorilli

Les moutons se mangent entre eux

Thierry Fiorilli Journaliste

« Notre victoire symbolise un tournant. » Le 14 octobre 2012 au soir, Bart De Wever a, encore, appelé un chat un chat, à peine Anvers mis dans sa poche.

Le grand chef nationaliste l’a dit haut et fort, sans se dissimuler, sans bave aux lèvres. Et, en fait, sans grande surprise : oui, son triomphe anversois aux communales est un moment d’Histoire de la Belgique. Donc, un tournant. Parce que la N-VA va gérer pour la première fois une grande ville, la première de Flandre ; parce que son homme-icône y a fait un authentique tabac, face à un gros bras de la politique locale et flamande, Patrick Janssens ; et parce qu’en écho le parti de De Wever s’implante, à l’échelon local désormais aussi, dans la majeure partie du nord du pays.

En soi, au vu de la progression constante de la N-VA depuis huit ans, compte tenu aussi des sondages prédisant depuis des mois un raz de marée électoral et de l’assouplissement de son discours – le confédéralisme est prôné désormais – on ne pouvait en vérité pas s’attendre à grand-chose d’autre, ce dimanche soir d’automne, qu’au sacre personnel de Bart De Wever et à la victoire collective de son parti. Mais les médias francophones, et une bonne part de la population non flamande, ont présenté et ressenti ce tournant, prévisible et prévu donc, comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Un dimanche noir, un bloody Sunday même, le jour où les loups sont entrés dans la ville, une petite mort pour la Belgique, la guerre déclarée, le tsunami emportant tout dans sa colère… La plupart des politiques francophones, eux, ont tenu à minimiser l’impact du verdict du scrutin flamand, disant estimer que l’enjeu électoral n’était que local, et qu’il n’y a donc aucune raison d’en faire une affaire fédérale. Deux comportements qui n’augurent rien de bon pour la suite des événements, la stupeur et la minimisation n’étant que rarement conseillères judicieuses, et qui contribuent à faire le lit douillet de Bart Ier.

Or les choses sont on ne peut plus claires : dans deux ans, au plus tard, les législatives feront de la N-VA le seul ou le principal interlocuteur des francophones. On négociera donc ce confédéralisme, dont les contours et le fonctionnement restent à dessiner. Et on peut déjà annoncer que la Belgique battra à nouveau le record du monde de la plus longue crise politique (déjà rien qu’à cause de Bruxelles). Une seule attitude à adopter, dès lors : se préparer à ce qui est inscrit non pas dans les astres mais dans l’agenda politique du premier parti du pays. S’y préparer, en ne partant pas du principe que ce qui se discutera est forcément la fin d’un monde, mais la fin d’une époque, et que celle qui y succédera, avec davantage de compétences pour les Régions, n’est pas nécessairement la pire qu’on puisse imaginer. S’y préparer en s’armant déjà (enfin) tant pour ce qui sera d’âprissimes discussions que pour ce qui sera notre avenir toujours davantage en solo. S’y préparer en resserrant les rangs, aussi.

Les « trahisons » à Bruxelles et en Wallonie, entre PS, MR, CDH et Ecolo, soit « le front francophone », depuis dimanche soir, semblent montrer que ces défis-là, tout simples, tout clairs, vont être très difficiles à relever. Et que celui qu’on désigne si volontiers comme le loup masqué pour le pays n’a dans les faits pas beaucoup à hurler. Puisque les moutons se mangent déjà entre eux. Dans leur enclos. Et à ciel ouvert.

De quoi se persuader que les meilleurs alliés de De Wever, c’est encore et toujours nous. Là est la seule et vraie stupeur.

Thierry Fiorilli

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire