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Les millions orphelins de la Sabam

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

La société de gestion collective pioche des millions dans les droits d’auteurs inconnus. Au grand dam du SPF Economie. La suite devant les tribunaux…

Le SPF Economie ne s’avoue pas vaincu : attaqué en justice par la Sabam (Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs) il y a un peu moins d’un an, il déposera un recours en appel dès cette rentrée judiciaire. En première instance, la justice a en effet donné raison à la société de gestion. Rétroactes.

L’affaire remonte à 2005. A l’époque, la Sabam dispose d’un pactole d’un peu plus de 8 millions d’euros provenant de droits d’auteurs jugés irrépartissables. Ce sont en quelque sorte des droits d’auteurs orphelins, dont on ne sait à qui ils doivent être reversés, faute d’informations sur les auteurs ou sur les oeuvres auxquelles ils se rapportent. La Sabam dispose de trois ans pour tenter d’obtenir ces informations essentielles afin de pouvoir reverser les droits à leur légitime destinataire. Passé ce délai, les sommes perçues sont versées dans un pot commun, dont le contenu est ensuite partagé entre tous les auteurs.

La loi relative aux sociétés de gestion des droits d’auteurs précise que cet argent doit revenir à la catégorie des ayants droit d’où ils proviennent. L’argent versé pour l’exploitation d’oeuvres écrites ne peut ainsi être attribué à des musiciens, par exemple. Or à l’époque, la direction de la Sabam décide de prélever de ces quelque 8 millions une somme de 7 millions environ qui servira de capital pour le paiement, sous forme de rente, de la pension des administrateurs de la Sabam. La proposition est avalisée par l’assemblée générale.

Au SPF Economie, qui exerce la tutelle sur les 26 sociétés de gestion collective du pays, on ne l’entend pas de cette oreille. « Ce n’est pas parce que l’assemblée générale a marqué son accord sur cette proposition qu’elle devient de facto légale, souligne Paul Laurent, responsable du service de contrôle des sociétés de gestion au SPF Economie. Selon la loi, cet argent doit revenir aux auteurs et ne peut être utilisé pour payer la pension des administrateurs. » S’ensuit une longue procédure, qui débouche sur un avertissement et sur l’injonction faite à la Sabam de se mettre en ordre avant décembre 2012. Sinon ? Un avis sera publié au Moniteur, précisant en quoi la Sabam a violé la loi. Cette dernière conteste l’interprétation du SPF Economie et jure que, les 7 millions ayant déjà été prélevés, il n’est plus possible de revenir en arrière.

En septembre 2012, la société de gestion attaque d’ailleurs le SPF en justice afin d’arrêter la procédure de sanction. Tant le juge de référé que le juge de fond donnent raison à la Sabam. En mai 2013, le juge de fond estimera en effet que les sociétés de gestion peuvent prélever, dans les droits non attribuables, les sommes nécessaires au paiement de leurs frais. Un jugement qui étonne le SPF Economie. Car à ce compte, la Sabam pourrait, dans une hypothèse extrême, prélever sur les droits irrépartissables l’argent nécessaire au paiement des salaires et rien ne reviendrait aux auteurs… Le SPF se prépare donc à introduire un recours en appel contre cette décision. Il sera déposé à la prochaine rentrée judiciaire.

Une autre enveloppe de 8,6 millions d’euros

Le 27 décembre 2012, la Sabam a par ailleurs reversé une autre somme d’un peu plus de 8,6 millions d’euros à ses auteurs, provenant là encore des droits non attribuables engrangés par la société jusqu’en 2008. Quelques jours plus tôt, le 11 décembre, les membres du conseil d’administration de la Sabam avaient été priés d’approuver le montant de ces reliquats. Avant la fin de ce même mois, ces 8,6 millions ont été redistribués aux artistes, en fonction des droits d’auteurs que chacun a générés en 2008. Un système qui favorise évidemment les auteurs les plus prolixes. Sur ces droits d’auteurs tombés en déshérence, la Sabam avait perçu, en 2008, une commission de 741 000 euros.

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