Thierry Denoël

Les milliards de Reynders

Thierry Denoël Journaliste au Vif

Environ 30 milliards d’euros dissimulés par des Belges fortunés en Suisse ! Quelle scoop ! Aujourd’hui, le ministre Reynders, et derrière lui le gouvernement, feignent de découvrir ce pactole. Or cela fait plusieurs mois qu’on le sait. Le Vif/L’Express l’avait déjà évoqué dans son numéro du 2 mars dernier…

En effet, une étude du très sérieux bureau suisse Helvea avait révélé que plus de 32 milliards de francs suisses (près de 27 milliards d’euros) appartenant à des contribuables belges dormaient dans des banques helvètes. Une question parlementaire avait été posé à Reynders, alors ministre des Finances, par Ahmed Laaouej (PS). Aujourd’hui, celui qui est ministre des Affaires étrangères évoque enfin ces 30 milliards confirmés par la Banque nationale suisse, et ce dans le cadre de l’accord Rubik que la Suisse voudrait conclure avec la Belgique.

Rubik, kesako ? Pour contrer la directive européenne sur l’échange d’informations fiscales qui s’applique aussi à des pays tiers « participants » (Suisse, Andorre, Guernesey…), Berne a mis au point le système Rubik, du nom du casse-tête multicolore cubique. L’idée est de préserver le sacro-saint secret bancaire qui fait la réputation des banques suisses. Le modèle Rubik, négocié de manière bilatérale avec chaque pays de l’UE, prévoit une retenue à la source sur les revenus de l’épargne des non-résidents suisse en contrepartie d’une amnistie fiscale pour l’épargnant dont le nom resterait secret.

Rubik fait l’objet d’un intense lobbying du secteur bancaire helvétique partout en Europe. Au grand dam de la Commission européenne, trois pays de l’UE (Grande-Bretagne, Allemagne et Autriche) ont déjà succombé au chant des sirènes. Didier Reynders a lui été approché sur ce sujet en automne dernier par la ministre suisse des Finances. La Suisse proposerait une retenue à la source de 34 %, ce qui rapporterait 10 milliards d’euros dans les caisses de l’Etat belge. Un chiffre qui reste à confirmer, de même que la position officielle de la Suisse. Le choix est cornélien : soit on accepte cette manne avec pragmatisme et les yeux fermés, soit on y renonce pour préserver l’échange d’informations fiscales défendue par l’Union européenne.

La France, elle, a dit non au Rubik. Pour Paris, il y a de nombreuses failles dans le système. En outre, accepter le Rubik, c’est écorner la directive UE Epargne et l’échange d’informations fiscales : dans le cadre de la directive Epargne, le Luxembourg et l’Autriche ont déjà revendiqué une prolongation du régime dérogatoire pour leur secret bancaire (fixé à sept ans), si la Suisse signait des accords Rubik avec des Etats UE. D’autre part, des milliards d’euros à court terme, c’est alléchant en ces temps de ceinture budgétaire. On peut en tout cas se réjouir que le débat sur Rubik soit enfin amorcé en Belgique. Mais pourquoi diable avoir attendu si longtemps ? Le débat devra se tenir très rapidement. Car, en attendant une position officielle de la Belgique, les épargnants belges en Suisse risquent de vite s’organiser pour transférer leur magot à Singapour ou aux Iles Caïman…

Thierry Denoël

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire