Des magistrats de la Cour de Cassation, en 2012. © Belga

Les magistrats dénoncent un « putsh » de l’exécutif devant la Cour constitutionnelle

La Cour constitutionnelle a entendu mercredi après-midi en audience publique les observations de l’Association syndicale des magistrats (ASM), de l’Union professionnelle de la magistrature (UPM) et de la Fédération nationale des greffiers près les Cours et tribunaux (Ceneger) contre la loi du 18 février 2014 qui instaure une « gestion autonome pour l’organisation judiciaire ».

Les requérants sont particulièrement remontés contre l’exécutif. « Ce n’est pas, en cette affaire, le sort d’une loi qui est entre vos mains. C’est le sort d’un des trois pouvoirs constitutionnels, le pouvoir judiciaire – pas le troisième, un des trois -, qui est en jeu », a plaidé Me Jacques Englebert, l’avocat de l’ASM.

La loi en cause, promulguée lorsque Mme Turtelboom était encore ministre de la Justice, a pour objectif annoncé de décentraliser la responsabilité de la gestion des budgets et du personnel du pouvoir judiciaire. Elle crée à cet effet deux collèges composés de chefs de corps, l’un pour les cours et tribunaux, l’autre pour le ministère public.

Ces collèges sont les interlocuteurs du ministre de la Justice. Ils sont chargés de soutenir la gestion et de répartir les budgets entre les différentes entités qui relèvent d’eux. Chaque collège doit signer un contrat de gestion avec le ministre de la Justice, notamment au sujet de l’allocation des budgets. Le ministre peut annuler les décisions des collèges qu’il juge contraires à ce contrat de gestion. A noter que la Cour de cassation ne relève d’aucun collège et négocie directement avec le ministre via un comité de direction.

Pour les magistrats, la loi du 18 février 2014 autorise une immixtion grave du pouvoir exécutif dans l’organisation judiciaire. Elle instaure « l’exact contraire de ce qu’elle prétend mettre en place ». En réalité, c’est « la mise sous tutelle pure et simple du pouvoir judiciaire » qu’elle organise et non son autonomie, s’indignent-ils.

En confiant au gouvernement le soin de fixer ultérieurement l’ampleur de l’autonomie de gestion des collèges et du comité de direction de la Cour de cassation, la loi contrevient au principe de légalité, estiment aussi les requérants.

Une réforme d’une telle importance ne peut se décider sans le pouvoir de contrôle du parlement. « En n’annulant pas cette loi, vous permettriez que les deux autres pouvoirs constitutionnellement reconnus puissent se débarrasser du pouvoir judiciaire et le transformer en une simple administration gouvernementale dépourvue des deux qualités qui caractérisent intrinsèquement ce pouvoir et qui seules légitiment son action: l’indépendance et l’impartialité », a dit devant la Cour constitutionnelle Me Englebert, d’après le texte de sa plaidoirie qu’il a transmis à l’agence Belga.

Le texte législatif, aujourd’hui partiellement en vigueur, est un « putsh de ‘l’Etat profond’ « , a-t-il poursuivi. « ‘Avec une hypocrisie indigne de ses hautes fonctions et de ses hautes responsabilités dans un Etat démocratique, l’exécutif n’a eu de cesse, par une manipulation du langage et un travestissement du réel, de tromper d’abord le parlement, ensuite le pouvoir judiciaire. »

« Dès qu’un juge, dans sa fonction juridictionnelle protégée par la première phrase de l’article 151 de la Constitution, décidera d’une mesure ayant une incidence budgétaire (ce qui recouvre quasi 100% des mesures ordonnées par un juge d’instruction), le SPF Justice en sera immédiatement informé. Qu’on puisse imaginer un tel système, est en soi inquiétant. Mais qu’on ose l’annoncer et pire le revendiquer comme un progrès, témoigne du mépris que l’exécutif nourrit à l’égard de l’indépendance du pouvoir judiciaire », selon l’avocat de l’ASM.

Le 20 mars, le monde judiciaire a organisé une journée d’alerte sans précédent dans l’histoire de la Belgique, a-t-il rappelé.

Le président de l’Association européenne des magistrats, la plus grande association de magistrats en Europe, a en outre récemment adressé au Premier ministre Charles Michel et au ministre de la Justice un courrier faisant part de son extrême préoccupation. Le 1er juin, le Collège des Cours et tribunaux et la Cour de cassation ont donné mandat au président de la Cour de cassation « pour alerter le Conseil de l’Europe de la situation dans laquelle se trouve la justice belge ».

L’ASM, l’UPM, la Ceneger et plusieurs magistrats agissant à titre individuel demandent à présent à la Cour constitutionnelle d’annuler la loi du 18 février 2014. L’UPM a également introduit un recours en annulation au sujet de la loi du 1er décembre 2013 qui renforce la mobilité des magistrats, autre volet de la réforme de la justice portée par le gouvernement Di Rupo.

D’après son avocat, l’ASM envisage par ailleurs un recours devant le Conseil d’Etat pour dénoncer le fait que le gouvernement ne remplit pas les cadres fixés par la loi en ne mettant pas en oeuvre les procédures de nomination.

Contenu partenaire