Le CA d'Ackermans et van Haaren en 2016, au premier rang à gauche, Alexia Bertrand, au milieu, Luc, président. © SDP

« Les liens entre les entreprises et le monde politique sont parfois troublants »

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Pour le journaliste Dominique Soenens, la porosité entre cabinets et monde des affaires gangrène la décision politique en Belgique. Et le cabinet Reynders n’est pas immunisé, bien au contraire.

Dominique Soenens, journaliste d’investigation sur le site apache.be, a publié ce lundi 8 mai, Lobbyen in de Wetstraat (1), enquête implacable qui recense, révèle et dénonce les multiples pressions, souvent efficaces, du monde des affaires sur le milieu politique.  » Un sujet malheureusement pas très sexy, mais fondamental pour notre démocratie « , souligne-t-il. L’ouvrage, explosif, est en cours de traduction en français. En attendant, nous lui avons soumis le cas d’Alexia Bertrand.

N’y a-t-il pas un paradoxe entre l’attention portée aux cumuls des mandats publics et ceux qui impliquent les mandats privés ?

Dominique Soenens, auteur de l'enquête.
Dominique Soenens, auteur de l’enquête.© Griet Deconinck

Les événements qui ont été à la Une des médias ces derniers temps sont des petits scandales qui ont fait beaucoup de bruit, mais qui sont peu de choses face au problème structurel : les liens entre les entreprises et le monde politique. Ceux-ci sont parfois très troublants, et c’est bien plus sur ces cas-là qu’il faudrait porter son attention, comme celui d’Alexia Bertrand, qui donne à réfléchir sur la relation entre la rue de la Loi et le monde des affaires, en particulier dans les cabinets. Car les cabinets échappent souvent à l’attention des journalistes, peut-être parce que ce n’est pas assez sexy, trop complexe et pas assez télégénique. Mais c’est pourtant là que se trouve le vrai centre du pouvoir dans notre démocratie.

Avez-vous trouvé un cas où mandats publics et privés sont cumulés à un si haut niveau qu’Alexia Bertrand ?

Au cabinet Marghem, il y a des gens qui viennent d’Electrabel, via ce phénomène des revolving doors, et qui ont encore des liens avec l’entreprise. Mais je n’ai pas trouvé de cas aussi manifeste… Une source avait évoqué, sans la nommer, la situation d’un membre important de cabinet toujours rémunéré par une grande entreprise. Mais ce n’est pas un cas unique, et le vrai problème est là, au-delà du cumul d’Alexia Bertrand, déjà remarquable en soi. Le problème est général…

Vous n’évoquez pas deux secteurs, où Ackermans & van Haaren est active : les banques, et les grands travaux d’infrastructure. Pourquoi ?

Pierre Wunsch, ancien chef cab de Didier Reynders, après un passage à Electrabel.
Pierre Wunsch, ancien chef cab de Didier Reynders, après un passage à Electrabel.© Banque nationale de Belgique

Je voulais enquêter sur ces deux secteurs. Mais cinq, c’était trop. Je me suis donc concentré sur la santé publique, d’abord, parce que j’ai découvert que deux médecins avaient fondé une fausse association de patients pour peser sur le remboursement de certains médicaments. Sur le nucléaire, ensuite, parce qu’on discutait de la prolongation de Doel 1 et Doel 2, et parce que Marie-Christine Marghem prenait des décisions qui me paraissaient interpellantes. Et sur la défense, enfin, parce que la Belgique est en train de discuter de l’achat de nouveaux avions de chasse.

Vous avez croisé le nom de Didier Reynders ?

Spécialement autour des questions nucléaires, j’ai souvent trouvé sa trace. Par exemple en 2011, lorsqu’il a fallu décider de la hauteur du montant de la contribution nucléaire d’Electrabel, c’est Didier Reynders qui a pesé pour ne pas se baser sur le calcul du régulateur, la CREG, mais sur celui de la Banque nationale, beaucoup plus avantageux pour Electrabel. A l’époque, le chef de cabinet de Didier Reynders aux Finances est Pierre Wunsch. Il quitte le cabinet peu après pour un poste de directeur à la BNB, dont il deviendra le gouverneur en 2019. Avant d’entrer chez le ministre des Finances, il travaillait pour…Electrabel.

(1) Editions EPO, 248 p.

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