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Les juteux marchés de Noël

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Toutes les villes veulent organiser le leur, au besoin avec de gros moyens. Les marchés de Noël sont devenus incontournables et, même affectés par l’alerte terroriste, s’annoncent très rentables. Mais les retombées ne profitent pas toujours à ceux que l’on croit.

Le montage a débuté dès la mi-novembre. Cent dix-sept chalets en bois ne s’installent pas du jour au lendemain. David Rossomme fait ses comptes : 20 hommes mobilisés pendant plus d’une semaine, un clark à louer, les inévitables réparations qu’il faudra effectuer jusqu’au 31 décembre… Sans oublier les décorations. Les guirlandes led, ça coûte un pont, glisse l’organisateur. Mais on n’attire pas les mouches avec du vinaigre. Le marché de Noël de Namur, dernier arrivé sur le calendrier, doit briller s’il veut faire le plein de visiteurs.

D’ici les fêtes de fin d’année et si le contexte de la menace terroriste ne freine pas trop l’enthousiasme des potentiels visiteurs, 300 000 personnes devraient déambuler parmi les stands. De la roupie de sansonnet par rapport aux 2 millions de chalands revendiqués par Liège, qui fut la première en 1986 à importer cette tradition germanique vieille de plus de 700 ans. La Cité ardente a depuis été talonnée par Bruxelles. Ses Plaisirs d’hiver, lancés en 2001, attiraient au dernier recensement 1,5 million de curieux.

De quoi faire saliver les autres villes wallonnes. Qui, ces dernières années, s’attèlent toutes à créer leur propre événement, comme à Namur depuis 2007. Ou à mettre les bouchées doubles pour que leur initiative prenne de l’ampleur, comme à Charleroi, Mons ou Louvain-la-Neuve. Mêmes les petites communes s’y mettent ! Un recensement (non exhaustif) sur les sites spécialisés fait état d’une cinquantaine de manifestations d’ici la fin de l’année, s’installant le temps d’un week-end seulement. Effet de mode, vous avez dit effet de mode ?

Les radins et les dispendieux

Si les pouvoirs publics se démènent, ce n’est pourtant pas dans l’espoir de remplir les caisses. Pas les leurs, en tout cas. L’organisation d’un marché leur rapporte peu. Mais leur coûte un peu/beaucoup, c’est selon. Il y a ceux qui s’arrangent pour dépenser le strict minimum. Comme Namur. « L’investissement public n’est que de 5 000 euros », assure Anne Barzin (MR), échevine déléguée aux compétences mayorales en charge des Fêtes. A Liège, la Ville prévoit 40 000 euros de budget pour la promotion. La capitale wallonne comme la Cité ardente délèguent ensuite l’organisation à des opérateurs privés. « Si on devait s’en occuper nous-mêmes, la charge financière serait beaucoup plus importante », souligne la Namuroise.

Charleroi peut confirmer. Avant de confier l’événement à une société privée l’année dernière, les autorités s’y étaient risquées elles-mêmes en 2012-2013, via l’asbl Charleroi CentreVille. « Avant, notre budget était de 40 000 euros. Aujourd’hui, on octroie un subside de 15 000 – 20 000 euros et on met du matériel à disposition, détaille Philippe Van Cauwenberghe (PS), échevin du Commerce. A chacun son métier, puis ça nous coûte moins cher. »

Mons, qui organise son Coeur en neige elle-même, n’hésite par contre pas à mettre la main au portefeuille. « Plus ou moins 300 000 euros, évalue Nicolas Martin (PS), échevin du Développement économique. Rien que le gardiennage, c’est 15 000 – 20.000 euros ! On a des recettes, via les tickets d’entrée de la patinoire et la location des chalets. Je dirais 100 000 euros ».

C’est cependant Bruxelles qui se montre la plus généreuse. Une dotation de 407 000 euros est allouée à la structure parapublique Brussels Major Events (BME). « Mais l’événement coûte environ 2,5 millions, précise Philippe Close (PS), échevin du Tourisme. Le reste, l’asbl le trouve via des sponsors, l’exploitation des emplacements… » Avec quelles retombées pour les finances communales ? « Aucune, répond l’échevin. Si ne n’est la taxe sur les nuitées hôtelières. Je ne sais pas combien elle rapporte en décembre, mais sur toute l’année c’est une rentrée de 14 millions. »

Une taxe qui tombe à pic

Bruxelles a réussi son pari : en créant Plaisirs d’hiver, les autorités entendaient booster le tourisme, qui connaissait un calme plat avant les fêtes. En 2000, les hôtels comptabilisaient 360 052 nuitées en décembre, dont 128 410 dans la catégorie « loisir ». En 2014, le compte était de 571 360 nuitées, dont 285 216 de loisir. La taxe sur les hôtels tombe fort à propos…

Pour le reste, niks, nada, peau de balle. Pas l’ombre d’une juteuse redevance à l’horizon. A Bruxelles comme ailleurs, les autorités mettent gracieusement à disposition leur espace public. Il y a quelques années, Liège taxait les emplacements mais a fini par y renoncer, sous la pression des organisateurs. « Aujourd’hui, ça ne nous rapporte rien, certifie Maggy Yerna (PS), échevine du Commerce. Les services que nous proposons (NDLR : comme le nettoyage) sont facturés à prix coûtant. »

A qui profitent donc ces hectolitres de vin chaud écoulés, ces tonnes de tartiflettes vendues ? Sans surprise, d’abord aux exploitants de chalets. Surtout à Liège et à Bruxelles, les deux marchés les plus visités donc les plus rentables. C’est aussi là que la location des stands est la plus onéreuse (voir tableau ci-contre), mais ces tarifs – qui augmentent légèrement d’année en année – ne rebutent personne. Pour Plaisirs d’hiver, il y a 700 à 800 demandes pour 240 places disponibles. A Liège, autour de la patinoire de la place Cathédrale, l’organisateur Pierre Fontaine, de la société Dynamic Events, dit avoir une liste d’attente à n’en plus finir. « Les occupants seraient prêts à mettre beaucoup plus. On m’a déjà proposé cinq fois le prix. Si j’étais malhonnête… »

Ailleurs, les bénéfices des exploitants se révèlent plus fluctuants. « Certains affirment avoir remboursé leur location après un week-end, d’autres rament tout le mois, surtout dans le « cadeau » », observe David Rossome, à Namur. C’est qu’on ne gagne pas de l’or en barre avec de l’artisanat : les visiteurs aiment regarder de beaux objets mais les achètent peu. Lorsqu’ils dépensent, c’est pour boire et manger. D’où ces tarifs différenciés pour les emplacements « produits du bouche », plus chers que les autres, histoire d’attirer plus facilement des artisans.

Gains variables

Les gains des organisateurs sont eux aussi variables. « C’est le début, c’est encore un peu compliqué financièrement », admet Julie Cordemans, directrice de la société 50N5E, qui a remporté le marché public à Charleroi. « Je ne vais pas dire que je ne gagne pas d’argent, mais moins que ce que les gens peuvent penser. Cela ne rend pas riche, garantit David Rossome. D’autant que les cinq premières années, on a dû beaucoup investir. »

A Liège, en revanche, on ne se plaint pas. « Pour nous, c’est très rentable, confie Pierre Luthers, directeur de l’asbl Enjeu qui organise les festivités du côté de la place du Marché. Cela nous permet de financer d’autres événements qui le sont beaucoup moins. » « Évidemment que c’est rentable !, enchaîne son « voisin » Pierre Fontaine. Sinon je ne reviendrais pas depuis dix-sept ans. Cela dit, pour la patinoire, je suis juste à l’équilibre. »

Aucun des organisateurs ne se risquera à révéler son chiffre d’affaires. Mais il n’est pas interdit de sortir la calculette, en se basant sur le nombre de chalets et leurs tarifs. A Namur par exemple, on peut estimer que la location rapporte environ 220 000 euros. A Liège, côté Cathédrale, on est à 140 000 euros pour 40 stands (à ajouter aux revenus de la patinoire). A la grosse louche car l’organisateur ne souhaite pas révéler le prix exact appliqué aux exploitants Horeca (qui déboursent pour leur terrasse en plus de leur maisonnette). Par contre, il ne cache pas ses nombreux frais : « 30 000 euros d’ardoise pour l’électricité, 15 000 euros pour un groupe de froid, 15 000 euros pour la couverture de la patinoire, 40 000 euros pour le personnel et le montage, 14 000 euros pour le nettoyage quotidien, entre 1 500 et 2 000 euros pour les rouleaux d’herbe à remettre sur la place… »

Bref, organiser un village de Noël rapporte, mais coûte bonbon. « Liège a un côté très festif, poursuit Pierre Fontaine. A 22 heures à Bruxelles, tout est fini. Ici, on est obligé de fermer à minuit mais cela pourrait durer jusqu’à 3-4 heures. C’est pour cela que je ne suis pas convaincu de la rentabilité des marchés ailleurs. D’autres villes m’ont sollicité, promettant pas mal de subsides, mais j’ai toujours refusé. »

Gare à l’indigestion

La sauce ne prend pas à tous les coups. A Tournai, on ne veut plus entendre parler de marché de Noël. Ni la Ville, ni l’organisateur Event See (le même qu’à Namur), qui ne parvenait pas à rentrer dans ses frais. « On a essayé quelques années, ça ne fonctionne pas. Voir à peine 15 personnes au milieu de la place en semaine, c’était vraiment triste », soupire Ludivine Dedonder (PS), échevine du Commerce. Qui n’abandonne pas pour autant toute animation en période de fin d’année. Ayant réuni une enveloppe de 100 000 euros environ, elle va expérimenter un autre concept. Animations en centre-ville concentrées le week-end, petits chalets de dégustation par les commerçants du coin, qui jusqu’alors étaient plutôt mécontents de la concurrence que leur faisait l’événement de la grand-place.

Car c’est avant tout pour cela que les pouvoirs publics investissent : pour redonner du tonus à leurs centres-villes qui souvent dépérissent. Liège a fait ses comptes en 2012 : 65 % des visiteurs venant exclusivement pour le marché dépensent aussi dans les magasins sédentaires, 80 euros en moyenne. En 2010, l’ULB avait calculé les retombées économiques de Plaisirs d’hiver. Bingo ! 23 millions d’euros. Essentiellement en nuitées hôtelières et en shopping. Les associations professionnelles ont le sourire jusqu’aux oreilles. « Cela rapporte énormément à mes commerçants, se réjouit Marc Withofs, président de l’association du Vismet. Si on perdait Plaisirs d’hiver, ce serait une catastrophe. »

Les marchés de Noël sont aussi devenus un outil de city marketing. « Il y a clairement un bénéfice d’image, note Kim Oosterlinck, auteur de l’étude menée par l’ULB. Cela permet de mettre un coup de projecteur sur la ville, de se montrer sous un jour dynamique, positif, différent ». Différent ? « Toutes les villes font la même chose !, regrette Yves Hanin, sociologue et urbaniste à l’UCL. Tout ne peut pas fonctionner ». Le vin chaud et la tartiflette, à la longe, ça peut écoeurer.

Tarif des locations de chalets

Artisans Horeca
Bruxelles 2.000 5.000 (certains commerçants parlent de 7.000 euros, selon la localisation)
Liège place du Marché 2.200 4.400 (avec terrasse)
Charleroi 980 1.650
Namur 1.600-1.700 2.000
Mons 1.000 Maximum 2.500 euros

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