Koen Geens, ministre de la Justice (CD&V) © BELGA

Les juges d’instruction contre le plan justice « liberticide » de Koen Geens

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Les magistrats instructeurs n’y vont pas de main morte. Dans une note de travail encore confidentielle, ils qualifient de « liberticide » la partie du plan de réforme du ministre de la Justice concernant l’instruction judiciaire. Rien que ça. Le bras de fer a commencé. Compte-rendu.

Dans son plan justice, le ministre Koen Geens (CD&V) vise à ce que la justice soit rendue plus rapidement. Dans un pays où l’arriéré judiciaire bat des records, l’objectif est louable. Mais, dans ces réformes, une pilule passe très mal auprès des juges d’instruction. Et ceux-ci comptent le faire savoir. Pour l’instant, leur colère est contenue dans un document de travail confidentiel qu’un vent favorable nous a fait parvenir.

Dans ce document, ils disent ne pas vouloir s’opposer à une simplification de la procédure afin que la justice soit rendue dans un délai moyen d’un an par degré d’instance (première instance, appel, cassation). Mais pas n’importe comment… Or le plan Geens prévoit d’étendre la « mini-instruction » via une « petite réforme » (sic). De quoi s’agit-il?

Lorsque le parquet est saisi d’une affaire, il peut mener lui-même une information judiciaire ou mettre l’affaire à l’instruction, ce qui est le cas lorsque l’affaire est complexe et/ou que les actes judiciaires dépassent le simple interrogatoire ou l’audition de victimes. En effet, les mesures qui ont des répercussions sur la vie privée des personnes concernées ne peuvent être prises par le ministère public. Seul un juge d’instruction peut le faire. Cela garantit les droits de la défense et l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Il existe toutefois une procédure appelée « mini-instruction » qui permet au procureur du roi de solliciter un juge d’instruction pour l’accomplissement de certains actes sans qu’une instruction ne soit véritablement ouverte, le parquet gardant la main. Ces actes sont relativement réduits à l’heure actuelle. Mais, dans le plan justice, le gouvernement Michel voudrait, pour rendre la procédure pénale plus efficace et rapide, étendre les actes de la mini-instruction à la perquisition, aux écoutes téléphoniques, à la surveillance rapprochée, etc. En gros, seul le mandat d’arrêt resterait une prérogative exclusive de l’instruction judiciaire. Cela reviendrait évidemment à vampiriser une bonne partie des pouvoirs du magistrat instructeur au profit du ministère public. Bref, « à réduire le juge d’instruction à un juge de l’instruction », dit la note confidentielle.

Les juges concernés s’opposent vivement à cette « petite réforme » qui, pour eux, changerait fondamentalement le fonctionnement du pouvoir judiciaire. Ils rappellent que, « contrairement au juge d’instruction, le ministère public n’a pas mission d’informer à charge et à décharge, il est une partie au procès pénal, associé à l’autorité gouvernementale dans le cadre de l’application de la loi ». Et de souligner: « Cette proximité avec le pouvoir exécutif apparaît notamment lors de détachement de membres du parquet au sein de cabinets ministériels ». Les exemples sont, en effet, nombreux.

« Les actes les plus intrusifs dans la vie des individus »

Leur inquiétude est d’autant plus grande que, toujours selon la note, « le plan justice n’envisage nullement une modification du statut du ministère public ni un renforcement des droits de la défense ». Or les actes auxquels Koen Geens veut étendre la mini-instruction « représentent une atteinte considérable aux droits des citoyens dès lors qu’ils touchent à la protection de leur domicile ainsi qu’au droit au respect de leur vie privée et familiale ». Les juges ajoutent: « Hormis le mandat d’arrêt, il s’agit des actes les plus intrusifs dans la vie des individus. » Bref, c’est un véritable cri d’alarme qui est lancé par les magistrats instructeurs.

Quant à l’argument de plus grande efficience pour justifier cette « petite réforme », les juges d’instruction constatent qu' »au stade actuel, le ministère public ne semble pas en mesure d’exercer pleinement ses missions ». Et de donner quelques chiffres éloquents: selon les statistiques des procureurs généraux, en 2014, 53% d’affaires en plus ont été classées sans suite par rapport à 2009, en raison de capacité de recherche insuffisante du parquet. Cette hausse est due à l’augmentation du nombre d’affaires qui impliquent des matières complexes et requièrent des connaissances spécialisées de la part des services de police et des magistrats. Cela tend à démontrer que le ministère public ne pourrait gérer l’afflux de dossier que l’extension de la mini-instruction entraînerait. Ou alors les classements sans suite augmenteraient encore.

Dans leur note, les magistrats précisent encore, non sans une certaine malice, qu’au parquet de Bruxelles, le 31 décembre 2014, 2800 dossiers instruits étaient en attente d’un réquisitoire final du parquet. Parmi ceux-ci, 2044 ont été renvoyés par les juges d’instruction au parquet avant le 1er janvier 2014, soit au moins un an pus tôt. Pourtant, une circulaire du procureur du roi, datant de 1979 et toujours en vigueur, prévoit qu’hormis les dossiers « détenus » (impliquant une arrestation), les procédures doivent en principe être renvoyées endéans le mois de leur communication par le juge d’instruction…

Bref, le message des magistrats instructeurs à Koen Geens et au gouvernement Michel est limpide: revoyez votre copie!

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