Marc Vandepitte

Les jeunes et la tentation radicale

Marc Vandepitte Écrivain et enseignant (PTB)

Ces dernières années, on associe communément radicalisation et djihadisme. Récemment, une nouvelle forme de radicalisation s’est installée dans des proportions inquiétantes en Flandre. La radicalisation de l’extrême droite est devenue un problème plus important que les combattants syriens ou l’extrémisme musulman. Tour d’horizon.

L’avancée de la droite en Flandre, qui s’est manifestée lors des dernières élections, apparaît clairement parmi les jeunes et en particulier parmi les garçons. Ce glissement vers la droite de la jeune génération s’inscrit dans une méfiance généralisée envers la politique. Seulement 18 % des jeunes déclarent avoir encore confiance dans la politique. Pire, un quart des nouveaux électeurs – âgés de 18 à 23 ans – croit que la démocratie n’est pas la meilleure forme de gouvernement et préférerait un dirigeant autoritaire. Dans le cas des jeunes en formation professionnelle, ce pourcentage atteint 57 % ! Malheureusement, cette tendance est à la hausse.

Radicalisation

Depuis un reportage retentissant à la télévision flamande sur ‘Schild en Vrienden’, les enseignants en Flandre sont de plus en plus confrontés à des idées extrêmes et à la haine envers les homosexuels et les musulmans. Il s’agit d’élèves qui glorifient la violence, portent des croix gammées ou provoquent en classe en arborant le Lion flamand. Certains défient délibérément leurs enseignants. En Allemagne, il y a eu beaucoup d’indignation à cause du lancement d’un portail de l’AfD où les élèves peuvent dénoncer les enseignants politiquement engagés. Dans le passé, le Nationalistisch Jongstudentenverbond (NJSV), un mouvement de jeunesse proche du Vlaams Belang, avait déjà lancé ce genre de portail.

En Europe occidentale entière, la violence d’extrême droite s’intensifie. En Finlande, les Soldats d’Odin ont été fondés en 2015. Cette milice patrouille dans une douzaine de pays, dont la Belgique. L’année dernière, dans la ville allemande de Chemnitz, des personnes d’origine étrangère ont été poursuivies et attaquées à l’issue d’une manifestation. Aujourd’hui, une commune flamande sur cinq déclare être confrontée à des manifestations d’extrémismes de droite. La radicalisation de l’extrême droite s’avère plus préoccupante que les combattants syriens ou l’extrémisme musulman.

La Flandre a vu la création de ‘Schild en Vrienden‘. Devant la caméra, ces jeunes apparaissent comme des gentlemen en costume-cravate. Ils parlent des valeurs familiales, de l’identité flamande et d’une alternative positive à la pensée politiquement correcte. Mais leurs groupes de discussion secrets regorgent de sexisme, de racisme, d’antisémitisme et de glorification des armes et du nazisme. Certains médias en rajoutent en présentant Dries Van Langenhove, le dirigeant de S&V, comme « gendre idéal« . Suite aux reportages de la VRT, un groupe d’universitaires et d’auteurs exprime son inquiétude à l’égard de la « normalisation de la pensée d’extrême droite » et du « glissement des limites de ce qui est admissible ». Aujourd’hui, pour beaucoup de garçons flamands, ce néo-fasciste, élu dans le parlement, est devenu un héros.

Bouillon de culture

Le 21e siècle ne rend pas les choses faciles pour les jeunes. Les médias sociaux gonflent de façon illimitée les petits conflits ou les tracasseries et multiplient les dégâts émotionnels. Les jeunes doivent se débrouiller dans une culture de performance. Instagram les oblige à échanger des images d’une « vie parfaite ».

Les jeunes ont grandi avec des attaques terroristes sur le territoire et voient diminuer de jour en jour leurs chances de vivre sur une planète durable. La crise des réfugiés et les exagérations des faits à ce sujet de la part de la droite ont suscité l’ image fausse que nous sommes envahis par des étrangers.

Ces problèmes existentiels, réels ou imaginaires, provoquent un profond sentiment de désespoir et la peur de l’avenir. À cela s’ajoute un malaise socio-économique. La génération Y est la principale victime de la crise et de la politique d’austérité qui s’ensuit. Il est de plus en plus difficile de trouver un logement abordable ou un travail à temps plein. On inculque aux jeunes qu’on « vit au-dessus de nos moyens » C’est un mensonge éhonté, mais ils en déduisent qu’ils vivront une situation financière plus difficile que leurs parents et qu’ils n’auront probablement plus de pension de retraite.

Les partis traditionnels et l’Union européenne ne font pas face aux préoccupations et aux problèmes des jeunes, ce qui ouvre la porte à l’extrême droite. La droite radicale s’adresse à des groupes qui n’ont plus aucun souvenir des idées extrémistes qui ont conduit aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale.

Guérilla médiatique

Comme nul autre, le Vlaams Belang a su estimer correctement et mettre à profit l’influence des médias sociaux. Il a parfaitement capté la colère et les peurs de nombreuses personnes via les médias sociaux et les a traduits en un langage simple et en images puissantes. Pendant la campagne électorale, le parti de Van Grieken a dépensé plus en publicité sur Facebook que tous les autres partis flamands ensemble. Grâce aux bombardements numériques de masse, il a atteint jusqu’à 1,5 million de personnes par jour. Au cours des dernières semaines, il a ciblé les jeunes électeurs âgés de 18 à 34 ans.

La stratégie intelligente du Vlaams Belang en matière des médias sociaux ne tombe pas du ciel. Nous la retrouvons à travers le monde. La propagande digitale est le secret qui a rendu possible l’élection de Donald Trump, mais aussi celle de Javier Bolsonaro au Brésil et de politiciens dans d’autres pays. Le cerveau derrière cette stratégie est Steve Bannon, l’ancien chef de campagne de Trump. Au début du mois de décembre, Le Vlaams Belang a invité Steve Bannon au Parlement flamand.

Déradicalisation

Comment arrêter l’avancée de l’extrême droite ? L’expérience de cette autre forme de radicalisation, le djihadisme, nous apprend que la tâche ne sera pas facile et que cette bataille devra être menée sur de nombreux fronts.

Sans perspective d’avenir attrayante, les jeunes resteront certainement sensibles à la tentation de l’extrême droite. Cela exige que nous mettions résolument un terme à la politique d’austérité et que nous nous prenions fermement le chômage des jeunes en main. Sur cette base repose tout le reste. Une bonne perspective d’avenir suppose du reste que nous prenions des mesures drastiques garantissant une planète vivable.

Il faut installer un contrôle démocratique des médias sociaux, avec une tolérance zéro pour toute fausse nouvelle et toute forme de fanatisme et de haine. Il reste encore beaucoup à faire. À l’école, les jeunes doivent apprendre à utiliser les médias sociaux de façon critique et sûre. Beaucoup d’efforts ont déjà été entrepris dans ce domaine.

Enfin, les jeunes, tout comme les adultes, doivent apprendre à gérer la diversité. Ils doivent découvrir que des personnes d’origines différentes peuvent parfaitement vivre ensemble et que des personnes d’origines différentes sont capables de résoudre des problèmes ensemble. L’éducation a la clé du succès. Ça devrait être une tâche essentielle pour elle. Mais, même si elle dispose déjà d’outils pour cette approche, cela retombera une fois de plus sur l’enseignant qui souffre déjà sous la pression du travail. Si l’éducation a effectivement une clé en main pour résoudre les problèmes sociaux, des investissements seront nécessaires. Ils devront être beaucoup plus importants que ce n’est le cas actuellement.

Toute la question est de savoir si nous allons prendre au sérieux cette nouvelle menace de radicalisation. Les proportions en sont inquiétantes, mais pour l’instant, il n’y a pas de réaction politique. Devrons nous attendre une attaque à la Breivik ou comme nous en avons vu une à Christchurch ? Espérons que non.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire