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Les jésuites, une histoire belge

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Que reste-t-il de l’influence des jésuites dans une société belge devenue plus indifférente, voire hostile, au fait religieux ? Une profondeur, une rigueur, des engagements sociaux et, bien sûr, les fameux collèges…

En devenant évêque de Buenos-Aires, en 1992, Jorge Mario Bergoglio, désormais pape, avait été délié de tout lien hiérarchique avec la Compagnie de Jésus. Mais peut-on être jésuite un jour sans le rester toujours ? La Belgique en sait quelque chose. Avec l’île de Malte, c’est le pays qui, par habitant, a compté le plus de jésuites. Il en est resté des traces, à commencer par les collèges, autrefois creusets de l’élite. Implantés au centre des villes, ils se sont ouverts socialement, mais la transmission de la pédagogie et de la spiritualité ignaciennes y est toujours assurée. La méthode a fait ses preuves.

Des politiques passés chez les jésuites, on en trouve dans tous les partis. Il y a d’abord eu la génération des Paul Vanden Boeynants et Herman De Croo, puis des sociaux-chrétiens Wilfried Martens, Melchior Wathelet sr, Jean-Luc Dehaene, Herman Van Rompuy. L’ancien Premier ministre Wilfried Martens était considéré comme un pur produit jésuite ; ses collègues le définissaient comme un « poisson froid », un « notaire ». Tout comme Herman Van Rompuy. Ou encore Melchior Wathelet sr: « J’ai été plus marqué par certains pères que par certains profs d’unif. » Signalons que l’homme est diplômé d’Harvard. Jean Gol, fondateur du PRL, avouait que « le regret de sa jeunesse était de ne pas avoir tâté de la discipline jésuite ».
Dans cette filière, il y aussi une génération d’hommes politiques plus jeunes. Au CDH, bien sûr. Ainsi Benoît Cerexhe, ex-ministre bruxellois et bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre, a fait ses classes au Collège Saint-Michel. André Antoine, ministre wallon, a fait ses candidatures de droit aux Facultés Notre-Dame de la Paix à Namur, où son fils aîné termine son cursus de droit. Président du FDF, Olivier Maingain a fréquenté cet enseignement porteur, au Collège Saint-Michel : « L’exigence et la discipline étaient très strictes. En revanche, les jésuites nous laissaient une très grande liberté intellectuelle. Leur savoir-faire ? Former l’esprit par la contradiction et l’argumentation… » Mais dans un système qui prône l’excellence, « on est rapidement largué si l’on souffre d’une dyslexie. » Les jésuites ont également formé des politiques socialistes, dont Charles Picqué, ancien de Saint-Michel. Celui-ci remarque qu' »une parfaite connaissance de la mentalité jésuite est un atout considérable en politique ».

Les Compagnons de Jésus ne sont en revanche pas très présents dans la sphère économique. Etienne de Callataÿ, économiste en chef à la Banque Degroof, a découvert, à 19 ans, l’Inde et les problématiques du développement. « Lorsque, à Bombay, vous slalomez entre les cadavres, c’est un choc ! se souvient-il. Si j’ai eu cette expérience, c’est parce que des jésuites ont décidé d’y consacrer des moyens. J’ai fait mes classes aux Facultés Notre-Dame de la Paix, à Namur, et j’y ai retenu les deux valeurs qui m’animent toujours : le sens du service par la diffusion du savoir et l’excellence. » Georges Jacobs, ex-UCB, ex-Delhaize, a gardé, lui aussi, une empreinte de son passage chez les jésuites, à Namur. « J’ai eu des moments privilégiés grâce à la proximité avec ces maîtres qui, au-delà de leur enseignement, donnaient aux étudiants la possibilité de prolonger la discussion, de réagir. Cela a été déterminant pour moi. » Avoir fréquenté un collège ou une université jésuite ne crée cependant pas un « réseau » cher aux milieux d’affaires. « Notre identité est tout de même moins forte que ceux qui sortent de Solvay », ramasse Etienne de Callataÿ.
Pour le provincial de la Belgique méridionale et Luxembourg qui est un Français, le père Franck Janin, il faut parler davantage de « présence » que d’ « influence » jésuite. « Le rapport à la religion est différent en France et en Belgique, compare-t-il. En France, la séparation entre l’Eglise et l’Etat est beaucoup plus forte et l’identité chrétienne s’y affiche davantage. La Belgique a aussi ses racines chrétiennes mais de manière plus difficile et moins affirmée. Pays de consensus et de négociations, elle est plus réservée par rapport au genre de militance qu’on connaît en France. Aujourd’hui, cependant, il y a plus d’anticléricalisme en Belgique qu’en France, où le rapport au catholicisme s’est apaisé. Il suffit de comparer la couverture de l’élection du nouveau pape sur les deux chaînes de service public que sont France 2 et la RTBF, où l’angle était plus politique et plus virulent. Mais, en Belgique, il suffit de remuer le sable pour trouver des pépites d’or. »

L’enquête, le récit historique et les confessions dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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