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Les gagnants et les perdants d’un an de suédoise

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le 11 octobre, ça fait un an que cette coalition inédite gouverne le fédéral. Son action, frénétique depuis le début, ne laisse personne indifférent. Mais qui en bénéficie jusqu’ici ? Et qui en paie les frais ?

Les gagnants

Charles Michel, Jan Jambon et Wouter Beke

C’est le trio de tête de la suédoise. On ne donnait pas cher de la peau de cette coalition inédite, il y a douze mois. Aujourd’hui, elle semble partie pour durer, en dépit de tensions récurrentes en son sein. Si le leader nationaliste Bart De Wever lance en permanence des grenades depuis Anvers, relayé par son impétueux secrétaire d’Etat à l’Asile Theo Francken ou par sa ministre flamande Liesbeth Homans, le vice-Premier Jan Jambon s’est imposé, lui, comme un gage de stabilité avec ses allures débonnaires. Loin de son entrée en matière, quand on s’indignait de ses propos sur la collaboration. De même, si les états d’âme de Kris Peeters laissent transparaître le malaise croissant du CD&V, son président Wouter Beke est là pour maintenir le parti dans la ligne. Charles Michel sait s’entourer. Il vaut mieux, d’ailleurs.

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Le Voka

Le président du Voka, Michel Delbaere.
Le président du Voka, Michel Delbaere. © BELGA

« Heu-reux ! » Voilà l’état d’esprit des patrons flamands. « On ne peut souhaiter de meilleure situation que l’actuelle », affirmait encore, il y a peu, au Soir, Michel Delbaere, président sortant de leur organe représentatif. Et pour cause : le gouvernement Michel applique quasiment à la lettre ses recettes : miser sur la croissance et l’emploi pour financer la sécurité sociale, réformer Sécu, fiscalité et droit du travail. Et ce n’est qu’un début : « On n’a pas encore réalisé beaucoup, mais on est sur la bonne voie », clame-t-il. Traduction, il faut approfondir les réformes. Pour créer des emplois, les patrons s’y engagent…

La Flandre de De Wever

Bart De Wever
Bart De Wever © BELGA

Marc Goblet, secrétaire général de le FGTB, n’en démord pas : « Ce gouvernement mène la politique socio-économique voulue par la Flandre de droite… » Le communautaire a peut-être été mis au frigo par la N-VA pour la durée de la législature, mais il est présent de façon insidieuse. « En raison de la démographie de leur Région, les partis flamands du gouvernement veulent faire travailler les gens plus longtemps, d’autant que ce n’est pas un scoop de dire qu’ils n’ont pas envie de voir arriver des étrangers », nous déclarait-il en avril dernier. Depuis, l’attitude des nationalistes dans la crise de l’asile a démontré la mainmise d’idées à tout le moins populistes.

Kristof Calvo et John Crombez

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Le premier, chef de groupe de Groen à la Chambre, a électrisé l’assemblée dès les premiers jours de la suédoise. A 28 ans à peine, ce Malinois est déjà un animal politique, qui sait user de toutes les ficelles pour pousser les ministres à la faute. Il y a trois mois, un autre « phénomène » l’a rejoint dans l’opposition en Flandre : mettant un terme au règne peu convaincant de Bruno Tobback à la présidence du SP.A, l’ancien secrétaire d’Etat John Crombez a redynamisé les socialistes. Calvo et Crombez développent à nouveau les liens avec leurs homologues francophones, démontrent que toute la Flandre n’est pas N-VA et relèvent la tête dans les sondages.

Le PTB

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« Etre constructif ? Ce n’est pas notre option ! » Raoul Hedebouw, porte-parole du PTB, répétait la semaine passée au Vif/ L’Express sa détermination à mener une opposition dure, à l’aube de la rentrée parlementaire de ce mardi 13 octobre. La gauche radicale surfe sur la vague du mécontentement syndical contre la majorité de droite, profite du désarroi du PS et s’envole désormais dans le dernier sondage RTBF/ La Libre à 10 % des voix en Wallonie. La cote d’alerte.

Les grosses fortunes

Les syndicats et l’opposition de gauche le réclamaient, le CD&V l’espérait, mais il n’y aura finalement pas d’impôt sur le capital. « Cela supposerait qu’il y ait des inventaires du patrimoine et cela ferait fuir les capitaux », s’est défendu le Premier ministre. Il y aura, par contre, une taxation des revenus du capital. Nuance… Il est notamment prévu de toucher les revenus de spéculation sur six mois de temps, d’augmenter légèrement le précompte immobilier ou la taxe Caïman sur les constructions fiscales à l’étranger. Mais dans l’absolu, avec la suédoise, les grosses fortunes peuvent dormir tranquille.

Les voitures de société

La dernière charge en date contre cet avantage en nature qui fait mal à l’environnement remonte à la semaine dernière : Laurette Onkelinx, cheffe de file de l’opposition socialiste, réclame sa suppression. Alexander De Croo, vice-Premier Open VLD, est ouvert à la discussion. Mais pour la N-VA, les voitures de société constituent un tabou absolu. Et pour cause : au nombre de 800 000, ces véhicules profitent surtout aux employés flamands (à raison de 68 %). « Les voitures de société arrangent tout le monde, sauf les générations futures », résumait un économiste dans le dossier que nous consacrions à ce sujet cet été (Le Vif/L’Express du 26 juin dernier). Le tax-shift a « oublié » le sujet.

Les militaires dans les rues

Ce fut une opération de relations publiques gratuite pour la Défense nationale. Depuis le 17 janvier dernier, entre 200 et 300 militaires ont pris position dans les rues pour défendre des lieux stratégiques, du cabinet du Premier ministre aux intérêts juifs à Anvers. Coût : quelque 10 millions d’euros. Une façon de rassurer la population, inquiète face à la menace terroriste. « Inhabituelle pour la Belgique, mais évidente chez nos voisins », défendait-on au 16, rue de la loi…

Les pensionnés actuels

Cela s’appelle le fossé des générations : alors que les pensionnés actuels ont pu partir à la retraite à 65 ans, voire parfois à la prépension dès 52 ans, ceux qui travaillent aujourd’hui ne peuvent plus espérer la quille qu’à partir de 62 ans et jusqu’à 67 ans à l’horizon 2030. L’équilibre de la Sécu est à ce prix. Bienheureux les retraités? Pas sûr. Une enquête de Solidaris montre que la moitié d’entre eux estime avoir quitté le travail trop tôt. La Sécu revit.

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Les bas et moyens salaires

Cent euros par mois supplémentaires ! Les bas et moyens salaires vont être choyés par le gouvernement Michel. Reste à définir les modalités de ce cadeau fiscal et la liste précise des salariés concernés. Ce serait une façon de compenser l’augmentation de la TVA sur l’électricité, de 6 à 21 %. Inutile de dire que l’opposition, elle, ne croit pas à cette générosité.

Les perdants

Elio Di Rupo et Paul Magnette

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Mais où se trouve donc le PS si sûr de lui-même et de son service d’études ? Après l’option du repli sur les Régions wallonne et bruxelloise, Elio Di Rupo a choisi de retrouver la présidence de son parti. Une option inédite : jamais un Premier ministre sortant n’avait fait cela depuis des décennies. Et une évolution risquée dans l’opposition fédérale : on associe encore son noeud papillon aux années de pouvoir, à des décisions au sujet desquelles son « coeur saigne ». Paul Magnette, lui, cumule ministre-présidence wallonne et maïorat de Charleroi, et semble davantage inspiré par ce second rôle. Le PS se cherche.

Hervé Jamar et Damien Thiéry

Au MR, la participation au gouvernement n’est pas un long fleuve tranquille. Le ministre du Budget, Hervé Jamar, a choisi de quitter l’équipe le 21 septembre dernier. Trop tendre et trop bonhomme pour un exécutif de cette trempe, il est devenu gouverneur de la Province de Liège. En mécontentant bien des libéraux wallons et, en premier, Philippe Dodrimont, « reyndersien » à qui le poste semblait promis. Damien Thiéry, bourgmestre de Linkebeek et transfuge des FDF, aurait pu rêver prendre sa place. C’est finalement la présidente du MR en périphérie, Sophie Wilmès, qui a décroché la timbale. Damien Thiéry, lui, a été violemment délogé de son maïorat par la ministre flamande des Affaires intérieures, Liesbeth Homans (N-VA). Une agression. Non, ce n’est pas un long fleuve tranquille…

Le CD&V

Les sociaux-chrétiens flamands vont-ils boire le calice jusqu’à la lie ? Ils ont renoncé au poste de Premier ministre faute de peser suffisamment au sein de la coalition, après avoir vu le petit frère CDH refuser de monter à bord. Ils ont avalé d’emblée des décisions très libérales, sans avoir été récompensés pour leur contribution à la relance de la concertation sociale. Le tax-shift devait être leur moment, mais une communication chaotique et une peau de banane de l’Open VLD en ont décidé autrement. Enfin, leur discours teinté de solidarité a été balayé par l’intransigeance de la N-VA sur l’asile. Qu’il est difficile pour le CD&V de gouverner en petit poucet auprès de son ancien partenaire de cartel !

Marc Goblet

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C’est devenu le « meilleur ennemi » de Charles Michel, l’homme aux allures rustres et aux positions caricaturales que le Premier et les siens aiment critiquer afin de valoriser leur volonté de rupture. En un an, Marc Goblet aura réussi à n’approuver qu’un tout petit accord social, à se fâcher avec certains des siens pour être trop proche du PS, à se démarquer ensuite du PS pour refléter la diversité de son syndicats… Mais ne rions pas : ce tribun-là sait mobiliser et, en 2016, il ira conquérant aux élections sociales.

Les Régions

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Il suffit de majorités asymétriques du côté francophone pour que le « fédéralisme de coopération » ait des vagues à l’âme. « Que cesse la revanche et la rancune ! », s’emportait mi-septembre le ministre-président socialiste Paul Magnette. Déjà mal en point sur le plan budgétaire, « sa » Wallonie se serait bien passé des bras de fer budgétaires à répétition qui lui coûtent cher ou des réformes menées en matière fiscale sans se soucier le moins du monde de l’impact sur les Régions. Le fédéral, lui, a son slogan : « Nous, au moins, on agit, les Régions francophones ne font rien… »

Les mutualités

Elles sont dans la ligne de mire de la suédoise. Dans le cadre de son tax-shift, le gouvernement fédéral a décidé d’imposer 100 millions d’euros d’économies sur les frais d’administration des mutualités. Mais elles l’ont échappé belle, cela dit, car, au sein de la majorité, la N-VA partage l’avis d’un Marc Cosyns, professeur à l’université de Gand : « Il faut supprimer les mutuelles sous leur forme actuelle. »

Les jeunes chômeurs

Depuis le 1er septembre dernier, les jeunes de moins de 21 ans qui n’ont pas obtenu leur diplôme de fin de secondaire ne pourront plus bénéficier de leur allocation d’insertion. La mesure concerne un peu plus de 8 000 personnes. Elle complète la traque aux abus du chômage entamée sous le gouvernement Di Rupo, déjà…

Les buveurs, fumeurs, amateurs de sodas et conducteurs au diesel

Ceux qui s’obstinent dans des « comportements à risque » sont les grands perdants du tax-shift de cet été. Le prix de la bouteille d’alcool fort augmentera de 2,5 euros à partir de 2016, celle de la bouteille de vin de 10 centimes, seule la bière étant légèrement épargnée (1 centime). Même condamnation pour les fumeurs : plus 70 centimes. Les sodas seront tous concernés, mais la négociation doit encore être clôturée. Le diesel, enfin: 1,3 centime au plus par litre. Les experts de la santé, eux, estiment que tout cela… n’est pas suffisant pour changer les comportements.

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Les écologistes

« L’environnement est le grand absent de la politique fédérale actuelle. » Jean-Marc Nollet, chef de groupe Ecolo à la Chambre, s’inquiète de l’absence totale de stratégie en matière de réchauffement climatique alors que la conférence de Paris devrait à nouveau dresser un constat accablant, en décembre prochain. L’accord de gouvernement ne consacre à ce sujet que deux petites pages : il en fait un « objectif clé », notamment en matière fiscale ou de mix énergétique. Mais jusqu’ici, les débats ont davantage concerné le risque de black-out et la relance du nucléaire.

La culture fédérale

« Le début d’un black-out culturel. » Peter de Caluwe, directeur de La Monnaie, et Paul Dujardin, son homologue des Beaux-Arts, à Bruxelles, avaient lancé un cri d’alarme, en début de législature, en apprenant que les subsides octroyés aux institutions culturelles fédérales allaient diminuer de 16,28 %. Depuis, La Monnaie a décidé d’abandonner la danse et le baroque, tout en préparant des synergies avec l’Orchestre national de Belgique. Depuis, le vice-Premier ministre MR Didier Reynders, en charge du dossier, a promis une « exception culturelle » pour réduire l’impact de cette cure d’amaigrissement. Mais à l’heure du tout à l’économie et avec la N-VA au gouvernement, la culture fédérale a de quoi s’inquiéter pour l’avenir. Place à la société de l’argent roi. ?

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