Rik Van Cauwelaert

Les gaffeurs de l’Europe

Rik Van Cauwelaert Rik Van Cauwelaert is directeur van Knack.

L’économie et le système social belges risquent de voler en éclats.

Début juin de l’année dernière, le Premier ministre Jean-Claude Juncker a été solennellement intronisé comme membre de l’Institut grand-ducal, disons l’Académie luxembourgeoise. Dans son discours de réception, il a évoqué la politique économique de la zone euro. Au cours du débat qui a suivi son exposé, Juncker a exalté les vertus protectrices de l’euro. Mais son compatriote et économiste Pierre Jaans lui a rétorqué malicieusement que « cette protection est passée sous le nez des Hellènes. Protégée par l’euro, la Grèce est allée droit dans le mur, a poursuivi Jaans. Sans l’Europe, la Grèce serait sans douté demeurée un pays pauvre, comme dans le passé, mais non pas ruiné et privé d’avenir ».

Si l’introduction de l’euro a mis fin aux cours de change contrariants, les relations internes entre les économies des Etats membres n’en ont pas été modifiées pour autant. Les frontières d’Etat continuent à traverser la zone euro telles des lignes de faille. Or le reste de l’Europe commence à se rendre compte que le sixpack et autres accords budgétaires présentés comme des panacées déséquilibrent les économies des pays européens plutôt que de les soutenir.

Dès aujourd’hui, le gouvernement fédéral belge sait pertinemment, encore qu’aucun ministre n’ose l’avouer, que la réduction du déficit budgétaire à 2,5 % du PIB en 2013 tient du mirage. Si les impératifs européens devaient être suivis à la lettre, l’économie et le système social belges risquent de voler en éclats. D’autre part, l’Europe feint d’ignorer les différences dramatiques entre la Flandre et la Wallonie. A cela s’ajoute que rien de grave ne pourrait frapper ne fût-ce qu’une de nos banques en situation délicate ni les compagnies d’assurances sur lesquelles une épée de Damoclès est suspendue.

En gelant les prix de l’énergie et en projetant une nouvelle pondération des produits alimentaires faisant partie du panier des ménages, le gouvernement fédéral veut tant bien que mal corriger le mécanisme de l’indexation automatique des salaires et des allocations, afin d’accroître la compétitivité de nos entreprises. Voilà un exercice politique extrêmement délicat, qui peut compter sur l’approbation tacite des partenaires sociaux. L’exemple catastrophique de la Grèce et la détérioration fulgurante de la situation budgétaire en Espagne et au Portugal ont donné à réfléchir. Les conséquences des oukases européens conduisent la Grèce à la catastrophe totale. C’est un technocrate, le Premier ministre Lucas Papademos, qui a mis en pratique ces diktats néfastes. Après de longues années passées à l’étranger, celui-ci a perdu toute connivence avec son pays natal et certainement avec le peuple grec en plein désarroi. Cela vaut aussi pour le Premier ministre italien, Mario Monti. Papademos comme Monti ont fait partie des cadres dirigeants de la banque Goldman Sachs, active à Wall Street. Pour eux et pour les eurocrates, l’économie, ce sont des tableaux et des graphiques abstraits, à mille lieues de la vie réelle des gens. Qu’un homme désespéré se suicide dans les rues d’Athènes, que la moitié des jeunes Espagnols émarge au chômage, cela ne les atteint pas vraiment. Quoi qu’il arrive, il faut que le déficit budgétaire des Etats membres atteigne 0 % en 2015, et le poids de la dette, 60 % du PIB. Les gaffeurs de l’Europe tiennent à ce que les tableaux répondent aux normes, le désastre économique dût-il s’ensuivre.

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