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Les francophones doivent-ils avoir peur de la suédoise ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Faiblesse du MR, intérêts francophones menacés, bain de sang social, politique ultra-sécuritaire… Faut-il craindre l’apocalypse avec la suédoise qui s’apprête à voir le jour. Dix experts se prononcent.

La suédoise (N-VA, CD&V, Open VLD et MR) alimente tous les fantasmes – ou toutes les envies, c’est selon – depuis le début des négociations, au lendemain de la fête nationale du 21 juillet. A l’heure où elle devrait enfin voir le jour, Le Vif/ L’Express a demandé à dix experts de passer au crible ce qui attend les francophones. Réponses tout en nuances.

1) Charles Michel n’a pas l’expérience pour être Premier ministre

Premier chef de gouvernement libéral francophone depuis Paul-Emile Janson en 1937, deuxième francophone de suite après Elio Di Rupo, le président du MR sait qu’il est en mesure d’écrire une page d’Histoire à la tête d’une coalition inédite. C’est le fruit d’un enchaînement exceptionnel de circonstances : retrait du PS et du CDH sous leurs tentes francophones, refus du premier parti du pays (N-VA) d’endosser la fonction suprême, choix du CD&V de privilégier le poste de commissaire européen… Symboliquement, Charles Michel serait aussi le plus jeune Premier ministre de l’histoire : il fêtera ses 39 ans le 21 décembre prochain. D’ores et déjà, on lui reproche son manque d’expérience, sa carrure trop fluette pour diriger une équipe de forts à bras.

2) Les partis flamands imposeront leurs vues aux francophones ultra-minoritaires

Avec vingt sièges à la Chambre, le MR ne représente qu’un tiers des électeurs francophones et ne fait guère le poids face au front flamand : 33 députés N-VA, 18 CD&V et 14 Open VLD. Le parti joue-t-il avec le feu ?

3) Le MR n’a pas la carrure pour y aller seul

Seul francophone au gouvernement, le MR ne dispose pas de l’expérience du PS, qu’il rejette dans l’opposition après 25 années ininterrompues au pouvoir. Dans les coulisses, certains s’inquiètent : « Le MR n’a pas du tout le personnel pour faire face à ce défi. C’est un agrégat d’individus, ce sont des indépendants dans l’âme. Charles Michel et Didier Reynders se bouffent continuellement le nez, il n’y a pas de confiance entre eux. En leur sein, il y a très peu de bons bilingues, trop de personnalités inexpérimentées. Non, ce ne sera pas facile… »

4) Les intérêts francophones sont menacés

Fourons, BHV, périphérie bruxelloise… Il fut un temps où la grogne de l’un ou l’autre bourgmestre pouvait faire tomber un gouvernement. Les réformes de l’Etat sont passées par là, transférant la tutelle sur les communes aux Régions et scindant BHV : aujourd’hui, on ne s’émeut que vaguement de la non-nomination d’un édile ou d’une polémique sur les droits administratifs. Avec les transferts de compétences, Régions et Communautés gèrent désormais un budget plus important que le fédéral : la maison francophone n’a plus la fragilité d’antan. Pour autant, la vigilance reste de mise, a fortiori avec la N-VA autour de la table, et singulièrement dans le domaine budgétaire et socio-économique.

5) Le loup De Wever n’est pas devenu agneau

Attention, danger ! La N-VA séparatiste de Bart De Wever arrive au pouvoir fédéral. « Le loup n’est pas soudain devenu un agneau », a fustigé le président du CDH Benoît Lutgen en refusant d’entrer dans une coalition de centre-droit.

6) Les majorités très différentes au fédéral et dans les entités francophones mèneront au blocage

N-VA, Open VLD et CD&V au gouvernement flamand. Les mêmes avec le MR au fédéral. PS et CDH en Wallonie. Les mêmes avec le FDF en Région bruxelloise. L’asymétrie est quasiment complète et risque de gripper le système belge.

7) Le confédéralisme reviendra rapidement sur la table

L’agenda idéal à peine caché de la N-VA, c’est précisément celui-là : le PS, malmené par les politiques fédérales, bloquera des décisions, demandera lui-même de nouveaux transferts de compétences et ouvrira la voie au confédéralisme.

8) Wallons et Bruxellois seront les premières victimes d’un « bain de sang social »

La suédoise n’était pas encore née que les syndicats descendaient dans la rue. Si elle n’est pas inédite, cette mobilisation sociale prouve combien les représentants des travailleurs redoutent une politique « thatchérienne » de la part de cette coalition des droites. Et si, au fond, c’était cela la crainte la plus vive à avoir pour une Wallonie dont le coeur électoral penche à gauche ?

9) La coalition de droite mènera une politique ultra-sécuritaire

La suédoise mènera une politique davantage répressive, en phase avec ce que demande une certaine opinion publique de droite en Flandre. D’extrême droite ?

10) La suédoise ouvre une période d’instabilité

Fragilisée par sa minorité francophone, malmenée par la méfiance qui règne entre ses partenaires, durement attaquée par le PS, livrée à l’agenda secret de la N-VA, la suédoise ouvre-t-elle finalement une nouvelle période d’instabilité en Belgique ?

Dans Le Vif/L’Express de cette semaine, les expertises de

  • Pierre Vercauteren, politologue à l’UCL-Mons
  • Jean Faniel, directeur du Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp)
  • François De Smet, docteur en philosophie politique- Christian Behrendt, constitutionnaliste à l’ULg
  • Hugues Dumont, constitutionnaliste à Saint-Louis
  • Giuseppe Pagano, économiste de l’Université de Mons
  • Bruno Colmant, professeur d’économie à l’UCL
  • Etienne de Callataÿ, chief economist à la banque De Groof
  • Marco Martiniello, directeur du Centre d’études de l’ethnicité et des migrations
  • Philippe Mary, criminologue à l’ULB

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