Steven Vandeput © Belga

Les F-16 belges à Mossoul: ce que l’on sait

Muriel Lefevre

Les F-16 belges sont-ils impliqués dans la mort de plus d’une centaine de civils à Mossoul à la mi-mars ? Depuis la semaine dernière, l’affaire fait grand bruit. Le point sur la question alors que Steven Vandeput, notre ministre de la défense, vient d’annoncer qu’il attend les résultats de l’enquête de la coalition pour se prononcer.

Des avions belges sont-ils, ou non, impliqués dans le raid meurtrier qui a touché le 17 mars la ville de Mossoul faisant au moins 200 victimes civiles dans la bataille pour la reprise de l’ensemble de cette ville du nord de l’Irak aux mains des djihadistes de l’État islamique (EI) ? Voici une question qui a secoué ce week-end printanier sans pour autant qu’une réponse soit trouvée. Voici le point sur ce que l’on sait.

L’opération « Desert Falcon »

La Belgique participe, depuis le 1er juillet dernier, à la coalition internationale anti-Daech avec six chasseurs-bombardiers F-16 opérant depuis la base aérienne de Mufaq Salti située près d’Azraq (centre-est de la Jordanie), à une centaine de kilomètres d’Amman. La défense définit leur mission comme « un soutien aérien aux troupes au sol, destruction de cible de l’EI et mission de reconnaissance. » Depuis le début de l’opération « Desert Falcon » en juillet 2016, les avions belges ont réalisé 326 missions, ce qui représente 3.4000 heures de vol. L’opération devrait durer jusqu’au 1 juillet 2017.

Comment se passe ce genre d’opération?

« Il y a trois moyens d’agir » dit Jens Franssen , le spécialiste défense de la VRT. « Le premier est la destruction d’un bâtiment bien spécifique. Les coordonnées exactes en sont connues et on peut décider de le détruire. C’est pour cela qu’on attend souvent qu’il fasse beau, car cela facilite le tir. On peut aussi prendre comme cible un convoi. Ici aussi tout le monde sait de quel convoi il s’agit et quels sont les trois ou quatre véhicules que l’on souhaite toucher. On peut confirmer à l’aide de caméras s’il s’agit bien du convoi visé et tirer ou pas. Il existe une troisième façon de faire et celle-ci est beaucoup plus complexe. Il s’agit de frappes qui viennent soutenir des troupes au sol dans des coins densément peuplés. Il est alors très difficile de distinguer les civils des combattants. Or ce genre de soutien a été fort demandé ces dernières semaines à Mossoul. Complexe, mais aussi plus sensible à l’erreur, car cela dépend entièrement des informations qui viennent du terrain. Ce sont des personnes qui sont littéralement sur place et qui transmettent par radio ce qu’elles voient à l’aide d’une carte et de jumelles. C’est à partir des positions que ces personnes donnent que les avions bombardent. »

Que s’est-il passé le 17 mars ?

Jens Franssen était le 17 mars en Irak. « Il y a eu un appel des troupes au sol irakiennes pour un renfort aérien de la coalition internationale » dit-il sur le site de la VRT. « Or, ce jour-là, il faisait particulièrement mauvais » dit-il encore. « Cela rend les vérifications très difficiles. Les F-16 belges font très clairement ce qu’on appelle un double contrôle. Grâce à leur caméra en haute résolution, les pilotes vérifient leur cible. Sauf que, lorsque le temps est mauvais, ce double contrôle est impossible. La politique de la défense est généralement en cas de doute on ne tire pas. Sauf lorsque les troupes de la coalition sont sous le feu de l’ennemi. Et c’était le cas ce jour-là. Nous sommes certains que le 17 mars des avions de combat belges étaient actifs. Il y aurait aussi deux autres pays impliqués, mais nous ne savons pas avec certitude lesquels. »

« S’il est si difficile de déterminer la responsabilité des Belges, c’est parce qu’il y a de nombreuses données à prendre en compte. » précise-t-il encore. « Les coordonnées viennent du sol, mais ne sont pas données directement, mais traverse une chaîne de rouage. C’est le dispatche situé au Qatar qui détermine quel avion est le mieux placé pour faire feu. La Belgique ne dispose par ailleurs pas de l’entièreté des données » dit encore spécialiste. « C’est la coalition internationale qui les a. Et ce sont les Américains qui la dirigent, ce serait donc eux qui en disposeraient. »

Vandeput attend les résultats de l’enquête de la coalition

C’est aussi la position du ministre de la Défense Steven Vandeput (N-VA). Il attend les résultats de l’enquête menée par la coalition internationale avant de se prononcer. Interrogé lundi matin au micro de De Ochtend (VRT), le ministre a assuré que les pilotes belges appliquaient les règles d’engagement très strictes. Il a rappelé que les F-16 belges participaient quotidiennement à des missions avec des objectifs et des compositions différentes. Le 17 mars dernier, il est exact que les avions belges étaient dans le voisinage de Mossoul. « Mais il n’est pas clair où ces images de victimes ont exactement été prises », a fait valoir M. Vandeput selon qui la Belgique collabore à l’enquête internationale. Ce n’est que lorsque celle-ci sera achevée que l’on pourra voir si « les règles que nous nous sommes imposées ont été suivies, et s’il y a eu un problème quelque part ». Le ministre confirme aussi que les aviateurs belges s’en tiennent au principe de retenue en cas de doute. Il n’est dérogé à ce principe que dans un seul cas de figure: lors d’un appui à des troupes au sol. M. Vandeput dit se tenir à disposition de la commission de la Chambre qui suit les missions à l’étranger, laquelle doit se réunir ce lundi. « J’ai déjà livré des explications à cette commission », souligne le ministre qui presse les commissaires à respecter la confidentialité du huis clos. Suite aux appels de l’opposition à une communication transparente sur ce bombardement de Mossoul, le ministre reconnaît que la population a droit à beaucoup d’informations, mais que certaines doivent toutefois rester secrètes. « Jusqu’où peut-on aller pour ne pas donner trop d’informations à l’ennemi? »

Remous ce week-end alors que le Pentagone n’a pas confirmé l’implication d’avions belges dans le raid

« Le département de la Défense (américain) n’a pas confirmé l’implication de partenaires de la coalition » anti-EI dans ce raid, qui a touché le quartier al-Jadida de Mossoul, a indiqué un porte-parole de l’ambassade. Et ce alors que le journaliste Martin Chulov du quotidien britannique ‘The Guardian’ avait indiqué samedi sur son compte Twitter qu’un rapport du Pentagone confirmait l’implication des aviations américaine, britannique, française et belge dans ces frappes, alimentant les demandes de l’opposition parlementaire en vue d’éclaircissements de la part du ministre de la Défense, Steven Vandeput.

L’état-major français avait déclaré dès jeudi dernier que des avions de chasse français avaient effectué des frappes sur Mossoul le 17 mars, mais pas dans le secteur où de nombreux civils ont été tués. « Une enquête est en cours », a ajouté dimanche le porte-parole de l’ambassade à l’agence Belga, laissant entendre que les résultats seraient publiés par la coalition anti-EI (ou Daech, selon son acronyme arabe), que dirigent les États-Unis depuis septembre 2014.

Le parquet fédéral avait annoncé vendredi avoir ouvert une enquête préliminaire sur deux « incidents potentiels » liés à des raids aériens en soutien aux forces irakiennes impliquant des F-16 belges dans la bataille pour la reconquête de Mossoul, qui a fait de nombreuses victimes civiles, sans citer de date. « Nous avons ouvert une enquête préliminaire pour voir s’il y aura une enquête tout court, et si toutes les procédures ont été suivies lors de ces deux incidents », avait affirmé le porte-parole du parquet fédéral, Eric Van Der Sypt, « Si les règles d’engagement ont été suivies et que malgré cela, il y a eu des victimes parmi les civils, il se pourrait qu’aucune faute pénalement répréhensible n’a été commise », avait-il souligné.

Deux députés flamands d’opposition membres de la commission de la défense de la Chambre, l’écologiste Wouter De Vriendt et le socialiste Alain Top, avaient affirmé dès jeudi soir sur le plateau de chaîne de télévision publique VRT que le parquet fédéral – compétent pour juger des militaires depuis la suppression de la justice militaire en janvier 2004 – avait ouvert une enquête sur cette possible bavure. Le parquet fédéral belge avait précisé le lendemain qu’il avait été informé par la Défense de deux potentiels incidents lors de bombardements en Irak. La Défense a jusqu’ici assuré n’avoir jamais été responsable de la moindre mort de civils, une affirmation contestée par l’ONG Airwars, qui dénonce l’opacité entretenue par la Belgique dans ses opérations en Irak et en Syrie. « Chez moi, personne n’a connaissance pour l’instant d’un rapport du Pentagone ou de la coalition internationale », a affirmé samedi le ministre de la Défense, Steven Vandeput sur Twitter, en réponse aux messages du député De Vriendt.

Pas les premières accusations

Ces accusations envers l’intervention belge contre les djihadistes de l’EI ne sont pas les premières. L’an dernier, le ministère russe de la Défense avait affirmé que deux F-16 belges avaient mené le 18 octobre un raid sur le village syrien de Hassadjek, près d’Alep, causant la mort de six personnes. Après quelques hésitations, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense, Didier Reynders et Steven Vandeput, avaient « catégoriquement » réfuté les accusations russes.

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