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Les espions wallons d’Hitler

En 1944, les services secrets allemands mettent sur pied des commandos wallons pour renseigner Berlin sur les troupes alliées et l’état d’esprit de la population. En exclusivité, l’enquête d’un historien.

Dès la fin 1943, les services de renseignements allemands implantent dans toute la France, puis en Belgique, des caches de munition et de matériel de sabotage en prévision de l’invasion de l’Europe par les Alliés. Ces caches doivent alimenter des agents restés sur place après le retrait des troupes d’Occupation. Les espions wallons au service de l’ennemi devront rester en contact radio avec Berlin, où une section du RSHA, l’Office central de la sécurité du Reich (Gestapo et autres services de sécurité), s’occupe exclusivement des affaires belges.

Rôle de ces agents : renseigner le régime nazi sur l’état d’esprit de la population belge, repérer les mouvements des troupes alliées et estimer les dégâts causés par les impacts des V1 et V2. Quand, en octobre 1944, il est question d’actions subversives et d’opérations d’espionnage dans les territoires libérés, les services centraux SS mettent en place une structure dont le nom de code est « Leitstelle Siegfried ». S’y greffe une antenne militaire, la « Stelle Günther ». La « Siegfried » compte quatre sections, dont une wallonne, confiée à Charles Lambinon, ancien dirigeant de Rex impliqué dans plusieurs assassinats et représailles. La section allemande est dirigée par un Wallon, la française s’occupe des opérations dans le Nord de la France et la flamande compte surtout dans ses rangs des membres du mouvement ultra-collaborationniste DeVlag.

Dans Les commandos wallons d’Hitler, qui paraît aux éditions Luc Pire, l’historien Eddy De Bruyne éclaire le rôle des agents wallons au service d’une Allemagne déjà moribonde. Interview.

Le Vif/L’Express : Où, en Belgique, y a-t-il eu des caches d’armes au service de l’ennemi ?

Eddy De Bruyne : Peu avant le débarquement, une soixantaine de caches d’armes et de matériel de sabotage ont été installées en Flandre et en Wallonie par une unité de sabotage des troupes de reconnaissance du front. La plupart sont tombées aux mains des Alliés dès leur arrivée grâce à la capture de « Stay Behind », des agents pro-allemands restés sur place après le départ de l’occupant et qui, souvent, se sont laissés « retourner ».

Au total, combien de Wallons, de Bruxellois et de Flamands ont fait partie des commandos d’Hitler ?

On peut estimer à une centaine, voire un peu plus, le nombre de Wallons et de Bruxellois qui, sous une forme ou une autre, ont fait partie de ces commandos. Les Flamands, eux, étaient beaucoup plus nombreux. Nous en avons recensé 152 au sein du seul SS-Jäger-Bataillon 502, l’unité d’Otto Skorzeny, alors que le nombre de Wallons y est dix fois moindre. A noter que, du côté wallon, on a fait appel aux seuls volontaires, alors que des Flamands ont été embrigadés d’office.

Quelles motivations ont conduit des Belges francophones à devenir espions au service de l’ennemi ?

Interrogés après-guerre par la Justice belge, certains ont indiqué que leur incorporation dans les services de renseignement allemands avait été motivée par la perspective d’échapper au front de l’Est. D’autres ont avancé des avantages matériels, une meilleure nourriture… Un agent passé par l’école de radio de Lehnitz, près de Berlin, a osé affirmer qu’il voyait dans son engagement le moyen inespéré de pouvoir visiter la capitale du Reich ! Tous étaient surtout préoccupés par leur sort. Ils ont insisté, devant leurs juges, sur l’opportunité qui leur était donnée de rentrer en Belgique plus rapidement. Les plus sincères ont avoué avoir été mis au courant de ce qu’on attendait d’eux lors des missions. Tout en minimisant la portée de leurs actes.

Pendant quelle période les agents wallons ont-ils été les plus actifs ?

Sans conteste, pendant l’Offensive des Ardennes. Il y a eu, à cette époque, une activité jamais égalée par la suite, avec plusieurs incursions. La plus singulière de ces missions a sans doute été celle du renvoi, par Léon Degrelle, de l’unité Lambinon qui, pendant l’Offensive des Ardennes, s’était aventurée jusque Limerlé, en province du Luxembourg. Degrelle avait chargé Lambinon de former, en trois contingents successifs, une compagnie d’agents de pénétration et de saboteurs, forte de quelque 75 hommes. Sans grand succès. Notez que les équipes de saboteurs wallons n’ont pas vraiment eu le temps d’être mises en action du fait de l’avance alliée.

Que sont devenus les commandos wallons lors de la débâcle allemande ?

L’effondrement du IIIe Reich a dispersé tous azimuts les équipes wallonnes d’espions-saboteurs. Néanmoins, certains agents ont fait l’objet de sollicitations assidues de la part de fanatiques résolus à continuer le combat au sein de la Werwolf, organisation clandestine national-socialiste appelée à déstabiliser l’occupation de l’Allemagne par les forces alliées. La plupart des espions wallons d’Hitler ont été arrêtés, certains en Italie du Nord, où ils avaient évacué. Ils ont été condamnés. Toutefois, quelques-uns sont parvenus à tirer leur épingle du jeu. C’est le cas de Charles Lambinon, chef du Sonderkommando Wallonien, la section wallonne de « Siegfried », et de son bras droit Marcel Vervloet, renseignés comme « fugitifs ».

Par Olivier Rogeau

L’interview intégrale et les extraits du livre dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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