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Les enquêteurs avaient Ronald Janssen sous la main

A cause de leurs querelles d’ego, les policiers de PJF de Louvain ont raté l’enquête sur la mort d’Annick Van Uytsel. Mais leur hiérarchie est également fautive, selon le rapport du comité P.

Le procès de Ronald Janssen, 39 ans, débutera devant les assises du Limbourg, à Tongres, demain et devrait s’achèver le 21 octobre. Le tueur en série était professeur de dessin technique au centre de formation Sint-Martinus de Herk-de-Stad, dans le Limbourg. D’apparence affable, passionné d’histoire locale et de randonnées, ce père de deux petites filles, séparé de leur mère après une dispute violente, avait une façon bizarre de regarder les jeunes filles dans les fêtes de village. Cela n’avait pas échappé à un policier local de Herk-de-Stad, Alex Michaux, qui avait quelque raison de tenir le bonhomme à l’oeil. En décembre 2005, il avait recueilli la plainte de sa compagne, qui l’accusait de l’avoir brutalement violée. Michaux avait auditionné Janssen et rédigé un rapport, mais la jeune femme avait ensuite retiré sa plainte.

En avril 2008, Alex Michaux écrit à ses confrères de la police judiciaire fédérale (PJF) de Louvain. Ces derniers piétinent dans leur enquête sur la mort violente d’Annick Van Uytsel (18 ans). La jeune fille a disparu le 27 avril 2007, en rentrant d’une fête à Diest. Son corps a été retrouvé dans le canal Albert, à Lummen, le 3 mai 2007. Dans son rapport d’information, le policier local évoque les auditions de Ronald Janssen et de sa compagne en 2005, les manières équivoques de celui-ci. Il souligne que le dernier signal du GSM d’Annick a été émis d’une borne proche du domicile du professeur de dessin technique, à Loksbergen (Halen). Selon lui, Ronald Janssen est l’auteur du meurtre d’Annick.

Ni les enquêteurs ni le juge d’instruction Kristof Van Impe n’ont accordé d’importance à ce rapport, alors que, dans une liste de 31 suspects potentiels, le nom de Ronald Janssen apparaissait déjà, ainsi qu’à deux autres endroits du dossier. Au tout début de l’enquête, un policier avait même failli se rendre au domicile de l’homme. Mais l’annonce de la découverte du corps d’Annick l’avait détourné de cette tâche. Plus tard, personne n’a pensé à y retourner. Dans une autre liste de 196 noms transmise à des analystes criminels de la police fédérale, à Turnhout, celui de Janssen avait disparu, ainsi que le rapport du « petit » policier limbourgeois.

Dans la nuit du 1er au 2 janvier 2010, Ronald Janssen tue son voisin, Kevin Paulus (22 ans), et la fiancée de celui-ci, Shana Appeltans (18 ans). Cette fois, il est démasqué et passe aux aveux. Il s’accuse de plusieurs autres crimes et viols. La Flandre a son Dutroux. Mais lorsque le quotidien Het Laatste Nieuws publie, en février 2010, le rapport négligé d’Alex Michaux, l’émoi atteint son comble. Comme l’image renversée de l’affaire Dutroux, quand un certain policier qui s’appelait également (René) Michaux, avait flairé – en vain – la bonne piste. Tous les hommes politiques flamands s’en mêlent. Les procureurs généraux de Bruxelles et d’Anvers interdisent cependant aux magistrats louvanistes de répondre aux critiques pour ne pas compromettre le procès d’assises : le juge d’instruction a-t-il vraiment dirigé l’enquête ? Etait-il convenablement informé ? Le Conseil supérieur de la justice diffère également ses investigations. Les magistrats sont donc provisoirement épargnés.

En revanche, le comité de contrôle des services de police (comité P) a rédigé un rapport explosif de 150 pages. Les députés de la commission de suivi ont pu le lire, fin 2010, sans pouvoir prendre de notes et, bien sûr, en parler. Mais son contenu a été en partie divulgué. Il pointe l’amateurisme et l’individualisme des enquêteurs de la PJF de Louvain.

L’inaction de la hiérarchie policière aussi mise en cause
Comme l’a appris, de son côté, Le Vif/L’Express, le rapport du comité P contient aussi des informations qui, certes, ne permettent pas de voir dans l’affaire Janssen un scandale comparable à celui de l’affaire Dutroux, où des informations cruciales avaient été cachées par des gendarmes à la juge d’instruction. Il éclaire cependant d’un jour cruel une certaine déresponsabilisation de la hiérarchie policière et un manque de clarté dans la distribution des rôles. Même l’actuel commissaire général f.f. de la police fédérale, Paul Van Thielen, un ancien officier de gendarmerie passé par Louvain et qui était, au moment des faits, directeur général de la police judiciaire, était au courant du dysfonctionnement de la cellule d’enquête Van Uytsel.

A la base, la PJF de Louvain n’a pas de section criminelle à proprement parler, vu la petite taille de l’arrondissement. La cellule d’enquête Van Uytsel est composée d’hommes (5 ou 6) qui, autrefois, ont bien travaillé ensemble dans des affaires criminelles mais qui, cette fois, au moins pour deux d’entre eux, se bouffent le nez. Parce qu’ils ont eu une love affair avec la même magistrate du parquet de Louvain ? Le comité P a écarté l’hypothèse d’une influence de cette nature. En réalité, Bart Van Uffel et André Allard, qui ont tous deux le grade de commissaire, ont des approches différentes : le premier part de soupçons et y rattache des faits, le second part des faits et construit une hypothèse. Ce sont de bons enquêteurs. Van Uffel a été désigné « chef d’enquête » mais, très vite, en mai 2007, il souhaite ne plus l’être. C’est André Allard, « gestionnaire de dossiers », qui a le contact avec le juge d’instruction et qui lui rend des comptes. L’ambiance entre enquêteurs est exécrable. L’information circule mal. Les rivalités s’exacerbent. Chacun travaille dans son coin.

En septembre 2007, l’officier chargé de la supervision du team, Eugène Janssens, donne sa démission de ce dossier (tout en restant à la police). Le « dirju » (directeur judiciaire) de Louvain, Franky Ver Eecke, ne le remplace pas. « Une erreur », souligne le rapport du comité P. Le nez sur le guidon, les hommes de terrain ne bénéficient pas d’un regard extérieur qui leur permettrait de prendre de la distance. La manière, il est vrai, est délicate. En principe, c’est le juge d’instruction qui exerce la direction de l’enquête judiciaire. Un chef policier n’a pas tous les moyens de s’immiscer dans celle-ci. Néanmoins, le cas de Louvain était suffisamment déroutant pour avoir été examiné par les 28 « dirju » du pays, sous la direction de Paul Van Thielen, directeur général de la police judiciaire. « On a constaté le mauvais fonctionnement de la cellule d’enquête mais on n’a rien fait d’autre », conclut, en substance, le comité P.

Aujourd’hui, plusieurs intervenants, très marqués, ont démissionné de leurs fonctions de l’époque (le juge Kristof Van Impe, le « dirju » Franky Ver Eecke). Certains, comme André Allard, ne cachent pas qu’ils attendent le procès de Ronald Janssen pour rétablir leur honneur. La PJF de Louvain a été restructurée. Au moins, cet échec aura provoqué un électrochoc.

MARIE-CÉCILE ROYEN

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