Quatorze personnes, dont huit mineurs, ont finalement été arrêtées à la suite des deux soirées d'émeutes à Bruxelles. © LAURIE DIEFFEMBACQ/Belgaimage

Les émeutes de Bruxelles sont révélatrices d’un mal profond

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

« Tolérance zéro » : c’est le mot d’ordre fédéral après les incidents de mi-novembre à Bruxelles. Ceux-ci sont toutefois la métaphore d’un mal plus profond : capitale mal aimée, polarisation politique à relents populistes, malaises identitaire et social sans réponses, fossé des générations… Signal d’alarme.

Bruxelles, en coeur de cible. Encore une fois. Secouée par deux journées d’incidents violents, mi- novembre, la capitale fait l’objet d’attaques politiques sévères, venues de Flandre surtout. Les événements ont certes des sources différentes. Samedi 11 novembre, les affrontements entre policiers et supporters marocains, survenus après la qualification de leur équipe pour le Mondial 2018 en Russie, ressortaient d’une gestion  » classique  » de tensions sportives. Mercredi 15 novembre, les dérapages consécutifs à l’arrestation de Vargass 92,  » influenceur  » populaire sur les réseaux sociaux, coupable d’avoir appelé à un rassemblement sans autorisation, participaient à une forme nouvelle d’expression urbaine. Ces émeutes consécutives sont toutefois l’expression d’un même malaise identitaire, qui s’exprime dans les grandes villes. Et constituent la métaphore d’une société où la polarisation croissante des opinions empêche toute réflexion sereine.

Bruxelles, mal aimée… et obstinée

Jan Jambon, vice-Premier ministre N-VA, en charge de l’Intérieur, n’y va pas avec le dos de la cuillère.  » Ce que nous avons vu, ce ne sont pas des « incidents », clame-t-il à la Chambre. Ce sont les symptômes d’un cancer qui, si nous ne l’arrêtons pas maintenant, continuera à ronger notre société et provoquera des dégâts irrémédiables.  » Ses mots d’ordre :  » tolérance zéro « , plan d’action, fermeté à l’égard des  » crapules « … Mais la principale cible de son courroux, rapport de l’inspection à l’appui, ce sont les autorités bruxelloises coupables de ne pas avoir vu venir, de ne pas être préparées pour de telles émeutes imprévues et de ne pas avoir utilisé les renforts de police qui étaient disponibles. La presse du nord du pays appuie, en des termes virulents, ce sentiment d’une ville-Région incapable de gérer sa gangrène urbaine :  » impunité « ,  » déni « … C’est l’expression d’une Flandre agacée par la complexité politique bruxelloise et craintive face à sa diversité ethnique. Une capitale mal aimée, méconnue, aussi. En retour, les socialistes francophones, qui dominent la Ville et la Région, font de la résistance et campent sur leur position.  » Je n’ai pas entendu le ministre de l’Intérieur quand il y a eu des incidents à Anvers (entre Kurdes et Turcs, en octobre) « , s’indigne le ministre- président Rudi Vervoort.  » Il manque 500 policiers « , dénonce le bourgmestre Philippe Close, qui critique le  » manque de sang-froid  » de Jan Jambon. Obstinée, la capitale refuse de se remettre en question. Seules quelques voix s’élèvent pour réclamer la fusion des zones de police. Et mettre le doigt sur un problème structurel : la Ville de Bruxelles a bien trop de poids face à la Région. En attendant, l’image de marque de la capitale de l’Europe continue de se détériorer à l’étranger : elle a été éliminée au premier tour dans la compétition pour accueillir l’Agence européenne des médicaments. Quant au piétonnier censé redorer le centre, il devient un boulevard à manifestations.

 » Il faut éradiquer ce cancer  » : Jan Jambon, ministre N-VA de l’Intérieur, a multiplié les déclarations très fermes.© THIERRY ROGE/BELGAIMAGE

La politique polarisée

Le bras de fer entre PS et N-VA a des relents communautaires manifestes : en démontrant que Bruxelles ne fonctionne pas, les nationalistes espèrent avoir un levier pour réclamer une nouvelle réforme de l’Etat confédérale en 2019. Objectif avoué ? Mettre Bruxelles sous tutelle, sous forme d’une cogestion par les deux autres Communautés. La polarisation est aussi intrafrancophone, sous la forme d’une guerre ouverte entre le MR, à la tête d’un gouvernement fédéral très à droite sur le plan sécuritaire, et le PS. Le président libéral, Olivier Chastel, a tiré le premier, via un communiqué assassin :  » Le gouvernement fédéral finance en suffisance les actions sécuritaires bruxelloises, mais l’affectation de ces moyens pose question. En matière de sécurité, la Région bruxelloise devrait faire d’autres choix.  » Le poids lourd bruxellois Didier Reynders a prolongé le tir :  » Il faut pouvoir dire aussi que si on en est là à Bruxelles, c’est d’abord, et avant tout, parce qu’un seul parti a ultradominé une Région depuis sa création.  » Le vice-Premier MR au fédéral a réitéré sa disponibilité à devenir ministre-président bruxellois. Il est utile de rappeler, en toile de fond, que la majorité n’a pas changé en région bruxelloise, après l’appel du 19 juin du président du CDH, Benoît Lutgen, contrairement à ce qui s’est passé en Wallonie. Cela laisse des traces.

Un double malaise occulté

La séquence actuelle n’est pas exempte de postures politiciennes. Ni de dérives populistes, de toutes parts, à l’image de cette parole qui se libère volontiers, dans les médias et sur les réseaux sociaux, pour dénoncer les  » fascistes  » ou les  » collaborateurs « , selon le point de vue. Inévitablement, le secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, Theo Francken, y est allé de sa provocation en proposant une fast team qui accompagnerait la police pour arrêter les illégaux lors de tels incidents. A l’autre bout du spectre, le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (Mrax) a lancé un appel à dénoncer  » l’oppression policière « . Mais, sur le fond, on patine, sur deux urgences. Premièrement, il est indéniable qu’une partie de la jeunesse bruxelloise peine à se reconnaître dans l’identité floue qui lui est proposée dans notre pays. Il y a deux ans, une étude de la fondation Roi Baudouin, révélait que les Belgo- Marocains nés en Belgique se sentaient moins intégrés dans notre société que leurs aînés. Ce constat, préoccupant, n’a pas servi d’électrochoc : le parcours d’intégration pour les primo-arrivants reste, par exemple, facultatif à Bruxelles, pour des raisons communautaires. Deuxièmement, le malaise social bruxellois demeure profond : une étude confirmait cette semaine que 20 % des Bruxellois âgés de 18 à 24 ans sont perdus dans un no man’s land entre études et emploi. Réaction de Didier Gosuin (DéFI), ministre bruxellois de l’Emploi :  » Cela fait vingt ans que l’on dit cela, mais il n’y a toujours pas de stratégies coordonnées pour relever le niveau de qualification notamment en Belgique francophone.  » C’est à désespérer de tout.

Une jeunesse déboussolée

Les incidents de Bruxelles sont, enfin, révélateurs d’un fossé des générations qui se creuse à la vitesse grand V, à l’ère des réseaux sociaux. Peu d’adultes avaient entendu parler de  » l’influenceur  » Vargass 92 avant le 15 novembre. Connectés en permanence, les adolescents découvrent jusqu’à la nausée un univers virtuel où les conséquences des actes ne sont pas les mêmes que dans la réalité et où une sorte d’irresponsabilité soft et drôle est prônée par de nouveaux leaders suivispar milliers. Jan Jambon, ministre de l’Intérieur, a annoncé qu’une vingtaine de policiers seraient détachés pour  » scanner la Toile « . Un syndicat a soutenu que les jeunes devraient  » à nouveau avoir peur des policiers « . Bien. Mais la tâche est visiblement plus ardue que cela : c’est un lien social réel à recréer. Et une crédibilité politique à restaurer. A Bruxelles et au-delà.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire