© Franky Verdickt

Les élèves flamands sont sages, mais passifs

Erik Raspoet Journaliste Knack

Les élèves flamands connaissent l’ABC de la démocratie, trient leurs déchets et ne sont plus champions européens de l’intolérance envers les migrants. Mais s’engager? Là c’est moins évident.

Que pensent les adolescents flamands de 14 ans de la démocratie du civisme. Chérissent-ils les valeurs telles que la liberté d’expression, la neutralité de genre ou les droits des minorités ? Et les écoles réussissent-elles à inculquer les connaissances et les attitudes nécessaires pour participer à la société comme citoyen impliqué ? Une publication qui a demandé des années d’enquête fait le point sur ces questions. Pas moins de 94 000 élèves, 37 000 enseignants, et 3800 écoles réparties dans 24 pays ont participé à l’étude intitulée International Civic and Citizenship Education Study 2016 (ICCS). Pour la Belgique, seules des écoles flamandes ont participé : la communauté française n’a pas répondu à l’invitation de l’International Association for the Evaluation of Educational Achievement (IAE). Ce groupe d’instituts de recherche et d’instances gouvernementales est surtout connu pour ses études ayant autorité sur l’alphabétisme mathématique et scientifique (TIMSS) et la compréhension écrite (PIRLS).

Les élèves se sont vu soumettre trois questionnaires différents leur permettant de faire 30 à 45 minutes d’introspection. Les statisticiens, les sociologues et les experts de l’enseignement ont analysé et filtré les données avec les techniques les plus avancées, jusqu’à obtenir un rapport épais plein de tableaux, de conclusions et de conseils politiques concrets. « La vision d’ensemble est positive », déclare le directeur de l’IAE Dirk Hastedt. « Comparées à l’ICCS précédent, en 2009, les connaissances civiques ont augmenté dans onze pays, alors qu’aucun pays n’enregistre un recul. La Flandre progresse nettement. »

Tout comme en 2009, les filles obtiennent de meilleurs scores en matière de civisme que les garçons qui eux étalent leur ambition pour entrer plus tard en politique. Étonnamment, en Flandre, la différence de genre ne joue pas de rôle. Par contre, en matière de connaissances civiques, il y a un écart profond entre le sommet et la base.

L’enquête, financée en partie par la Commission européenne, n’est pas dénuée d’engagement. Le rapport fait état d’une grande préoccupation pour la santé de l’état de droit démocratique. Affluence faible aux élections, succès des partis populistes : ce ne sont là que deux maux pour lesquels l’éducation civique peut être un remède. « L’étude révèle deux corrélations intéressantes », déclare Dirk Hastedt. « Les élèves dotés d’un niveau élevé de connaissances civique et de sens civique exprimaient plus que la moyenne l’intention d’aller voter plus tard.

En même temps que l’étude internationale, le cabinet de la ministre flamande de l’Enseignement Hilde Crevits (CD&V) a présenté les résultats de l’étude partielle flamande : 162 écoles, 2931 élèves, 2021 enseignants et 149 directions d’école ont participé à l’enquête, menée par la KuLeuven. Nos confrères de Knack ont pu consulter l’étude à l’avance et en ont extrait les cinq constatations les plus étonnantes.

1. Les élèves flamands toujours en dessous de la moyenne en matière de tolérance envers les minorités

Sur la question des droits pour les immigrants, les élèves flamands occupaient la dernière place de l’ICCS 2009. En 2016, ils sont toujours en dessous de la moyenne en matière de tolérance envers les minorités, mais ils s’en sortent mieux que les Pays-Bas, la Lettonie et la Bulgarie. « Hormis les questionnaires ICCS, on a envoyé des questionnaires séparés dans tous les pays européens », déclare la chercheuse de la KU Leuven Ellen Claes. « Nous n’y avons pas sondé la tolérance envers les minorités ethnico-culturelles : nous utilisions le terme beaucoup plus concret pour les élèves d' »immigrants ». Là aussi, la Flandre progresse, contre une tendance européenne. À présent, les pays d’Europe de l’Est et les pays baltes sont en queue du peloton. Les élèves flamands sont plus positifs à l’égard de droits pour les migrants et de l’égalité des chances pour les enfants de migrants. Mais quand il s’agit d’équivalence culturelle, par exemple le droit de parler sa langue à l’école, ils sont beaucoup moins tolérants. »

2. Les élèves flamands ont davantage confiance en la politique

Bonne nouvelle pour le monde politique: 72% des adolescents de quatorze ans ont confiance dans le gouvernement, 70% dans le parlement et 77% dans nos tribunaux. En 2009, les résultats pour le gouvernement et le parlement avaient baissé de plus de 20 points pour cent. « Ici, aussi la Flandre va à l’encontre d’une tendance internationale », déclare Ellen Claes. « En 2009, au cours d’une période caractérisée par la crise financière et l’instabilité politique, la confiance en les institutions était à son niveau le plus bas. Le redressement que nous constatons aujourd’hui confirme une nouvelle fois que les élèves de quatorze ans ne sont pas immunisés contre cela, même s’ils ne peuvent pas encore voter ».

3. Les élèves flamands sont peu engagés

Cela peut sembler paradoxal: les élèves flamands possèdent beaucoup de connaissances sur le civisme et la démocratie, mais ils n’en font pas grand-chose. Se présenter au conseil des élèves? Manifester pour un meilleur cadre de vie à l’école? S’engager pour le journal ou le site de l’école? À toutes les questions, la réponse est restée loin en dessous de la moyenne internationale. Ellen Claes voit un lien avec la façon dont les écoles interprètent le civisme. « La durabilité et l’environnement sont souvent réduits à un cours de tri de déchets. Les cours de démocratie et de liberté d’expression ne s’accompagnent pas de participation à l’école. C’est un problème : les élèves sont prêts à s’engager, mais ils ont le sentiment que leur voix ne compte pas. La participation et l’implication doivent faire partie de l’ADN de nos écoles. »

4. Les enseignants flamands sont peu familiers de l’éducation civique

Les enseignants flamands sont mal préparés à l’apprentissage de connaissances civiques décrites dans les objectifs finaux interdisciplinaires pour tous les enseignants. L’enquête révèle une formation défaillante. Les enseignants se plaignent eux-mêmes de leurs connaissances médiocres de thèmes politiques tels que la constitution et la législation électorale, et en matière d’égalité des sexes et de droits civiques ils se sentent moins sûrs d’eux que la moyenne. La moitié des jeunes flamands de quatorze ans n’a encore rien appris sur les élections à l’école alors que 80% des élèves suédois de leur âge possèdent ces connaissances.

5. L’inégalité est reine

Tout comme pour l’alphabétisme mathématique ou la maîtrise de la langue, l’inégalité en connaissances civiques entre les élèves de l’enseignement général et professionnel est frappante. « Tant pour le type A que le type B il y a du progrès », déclare Ellen Claes, « mais la distance entre les deux formes d’enseignement demeure énorme. Tout comme pour les autres compétences, il y a des causes socio-culturelles en jeu, l’origine immigrée, la langue maternelle. Là il faut vraiment que la politique agisse, car la cohésion sociale est en jeu. Sous le couvert de formation civique nous essayons d’inculquer aux élèves que dans notre société chacun compte. Si alors c’est justement le groupe qui devrait se sentir le plus concerné par le message qui décroche, on a un problème. »

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