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Les éco-chèques, le symbole de la paralysie de Michel Ier

Stavros Kelepouris
Stavros Kelepouris Journaliste pour Knack.be

L’éco-chèque est dépassé, tous les partis du gouvernement étaient bien d’accord là-dessus. Du moins jusqu’à ce que le lobby se pointe au parlement, que le Conseil d’État gâche le plaisir, et que les partis décident tacitement de se concéder le moins de trophées possible.

En début d’année, les quatre partis de la majorité du gouvernement fédéral ont déposé une proposition de loi pour supprimer les éco-chèques et les transformer en cash. Au départ, il semblait que la proposition de loi serait signée sans problème, tous les partis étant en faveur de l’idée.

Cependant, lorsque le CD&V a demandé un report pour donner plus de temps aux partenaires sociaux, le MR s’est soudain mis à hésiter aussi. Entre-temps, les deux partis ont revu leurs positions : pour eux, les éco-chèques ne doivent plus disparaître, mais être édités sous forme électronique. Il y a quelques jours, il semblait que la N-VA était sur la même ligne, mais finalement le parti a déclaré qu’il défendait la suppression. C’est donc deux contre deux. Un dossier qui semblait prêt se trouve dans une impasse. « Je ne connais aucun dossier dans lequel il y a eu autant de tortillements », soupire Egbert Lachaert, député Open VLD.

Après avoir déposé la proposition de loi, Lachaert a vu s’effriter le soutien sous pression des syndicats et des trois grandes sociétés d’émission Edenred, Sodexo et Monnize. « J’ai vu des lobbyistes se promener pendant la séance plénière pour influencer les parlementaires. En outre, ces lobbyistes étaient en bons termes avec le ministre de l’Emploi Kris Peeters (CD&V), car ce dernier les a bien briefés sur les évolutions du dossier », estime Lachaert. « Du coup, le CD&V et le MR se sont mis à hésiter. J’ai malheureusement constaté à quel point le lobby est puissant auprès des cabinets et des ministres, mais je ne renonce pas. »

La Secrétaire d’État Zuhal Demir (N-VA), qui soutient également la suppression des éco-chèques, déclare qu’il y a eu beaucoup de lobbying dans ce dossier. « Avec toutes sortes d’enquêtes, les sociétés d’émission ont tenté de démontrer que la suppression d’éco-chèques n’est pas une bonne idée. Cela n’a rien d’exceptionnel, mais cette fois ils étaient tout de même très motivés. J’ai quelques sérieuses objections. » Celles-ci sont contredites par les sociétés d’émission. « Nos enquêtes ont été réalisées par des institutions indépendantes. Elles ont toutes conclu que la suppression des éco-chèques entraîne des conséquences négatives pour l’économie » déclare Cathy Schoels, porte-parole d’Edenred.

Le fait que les négociations entre les partis de la majorité soient complètement bloquées découle également de deux avis du Conseil d’État. Celui-ci a jugé que la proposition de loi enfreint le principe d’égalité. En transformant les éco-chèques en argent liquide à dépenser librement, l’indemnité semble revenir à une tranche de salaire supplémentaire, même si c’est un salaire sur lequel on ne paie pas d’impôts. Le Conseil d’État juge que cela pourrait entraîner des problèmes : on ne peut pas imposer l’intégralité du salaire de certains et seulement une partie de certains autres.

« Le premier avis du Conseil d’État a effectivement semé un peu d’insécurité juridique », admet Lachaert. C’est la raison pour laquelle l’Open VLD a ajouté un amendement. Ensuite le Conseil d’État a déclaré dans un second avis que les nouveaux passages dans la proposition de loi relèvent de la Cour constitutionnelle.

Entre-temps, Lachaert souhaite tout de même faire passer la proposition de loi au parlement d’ici début 2019 : « Ainsi, nous donnons aux opposants de cette modification de loi, les syndicats et les sociétés d’émission, suffisamment de temps pour aller devant la Cour constitutionnelle et y soumettre la question du principe d’égalité. S’il n’y a pas de problème, la loi peut entrer en vigueur. S’il y a tout de même un problème, on peut parfaitement annuler la loi et il n’y a aucun problème juridique. Une bonne solution. »

« Le lobby? S’il vous plaît »

Même si les libéraux et les nationalistes flamands accusent les chrétiens-démocrates, le CD&V défend ses positions. En principe, il est également en faveur de la suppression, mais à présent le parti prône une solution intermédiaire – remplacer les éco-chèques en papier par des électroniques. « Juridiquement, il n’est pas évident de les supprimer. D’autres partis évoquent l’influence du lobby, mais nous nous basons simplement sur deux avis négatifs du Conseil d’État. Peut-être qu’ils ne lisent pas bien ces avis, mais nous les avons bien compris », nous dit-on au CD&V.

Stefaan Vercamer (CD&V) désapprouve le souhait de l’Open VLD de reporter la loi à 2019 pour tenir compte d’éventuelles actions en justice. Et l’influence du lobby ? « Mais enfin, le lobby ! », nous répond-il d’un ton frustré. « Tant le MR que nous avons toujours dit que les éco-chèques peuvent uniquement être supprimés à condition d’avoir la certitude juridique absolue que l’indemnité nette ne sera pas imposée. Le Conseil d’État a tout simplement démoli la proposition de loi. Leur second avis sur la modification de la loi stipule d’ailleurs qu’il n’y a aucun nouvel élément susceptible de faire revoir le jugement. »

Interrogé par la VRT, Lachaert a répété que les éco-chèques étaient devenus un dossier symbole de la politique de réforme du gouvernement. En même temps, ils semblent aussi symboliser la paralysie qui s’empare de Michel I. Il y a une surenchère de propositions de loi concrètes, mais les accords se font attendre. Et tout le monde se regarde en chiens de faïence. La réforme de l’impôt sur les sociétés de la N-VA (un dossier qui est prêt), les propositions de l’Open VLD pour limiter les allocations de chômage dans le temps, l’impôt sur la plus-value du CD&V, et à présent la suppression des éco-chèques (un dossier revendiqué par Open VLD) : de plus en plus les partis flamands du gouvernement fédéral lient leurs idées entre elles et se tiennent en joue.

Pour marquer des points, il faut également que les autres en marquent – mais aucun parti ne semble en avoir envie. En outre, les libéraux réussissent de plus en plus à faire passer Kris Peeters pour un importun : en tant que ministre de l’Emploi c’est lui qui empêche la réforme de l’allocation de chômage, et l’Open VLD estime que son statut de chrétien-démocrate de gauche l’entraîne à laisser les syndicats influencer la débâcle de l’éco-chèque. « Il ne manquerait plus qu’en tant que ministre de l’Emploi on ne soit pas proche des partenaires sociaux. C’est son job de garder les partenaires sociaux ensemble et de les amener à conclure des accords », déclare Vercamer.

Aussi Lachaert a-t-il demandé à ses partenaires de coalition de ne pas tomber en mode élection. Une question répétée plusieurs fois ces derniers mois, mais qui semble de plus en plus tomber dans l’oreille d’un sourd.

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