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Les communes au bord du précipice

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Privées d’une partie de leurs recettes traditionnelles et confrontées, à leur insu, à des dépenses en hausse, les communes tirent la langue. A terme et sans changement de cap, elles ne tiendront pas le coup. C’est le citoyen qui le payera. Cash.

Au bord du gouffre, les communes wallonnes et bruxelloises ? Juste touchées, comme chacun et comme chaque niveau de pouvoir, par les effets de la crise ? Leurs bulletins de santé varient évidemment de l’une à l’autre. Il n’empêche : de nombreuses communes ont éprouvé des difficultés à boucler leur budget 2013. Au point que certains pouvoirs locaux ont dû se résoudre à licencier du personnel, du jamais vu. « Si les autorités communales en viennent à prendre une telle décision en période électorale, c’est qu’elles n’ont vraiment pas le choix », lâche Jacques Gobert, président de l’UVCW (Union des villes et communes de Wallonie) et bourgmestre socialiste de La Louvière. Quelque 1500 personnes ont en effet perdu leur emploi, depuis un an, dans les communes ou les CPAS wallons. A Bruxelles, de tels licenciements ne se sont pas encore produits. En revanche, on ne recourt pas systématiquement au remplacement lors d’un départ à la pension.

Du côté du Crac (Centre régional wallon d’aide aux communes), on confirme que le bulletin de santé des communes n’est pas rose. D’ailleurs, les demandes d’études-conseils s’y succèdent désormais à un rythme bien plus soutenu que par le passé. « Depuis dix mois, nous avons enregistré une douzaine de demandes alors que jusqu’en 2012, nous n’en recevions que 2 ou 3 par an, précise Isabelle Nemery, directrice générale ad interim. Les communes anticipent les difficultés et cherchent conseil. »

Le Crac ? L’ange gardien des communes wallonnes. Elles y trouvent des experts qui les conseillent lorsque leurs budgets pâlissent, dérapent ou sombrent. Et, plus prosaïquement, une aide sonnante et trébuchante quand les temps sont trop durs. Dans la capitale, c’est le Fonds régional bruxellois de refinancement des trésoreries communales (FRBRTC) qui veille sur les pouvoirs locaux.

Tous deux ont pour mission d’aider les communes en difficultés financières en leur concédant des prêts. Mais dans un cas comme dans l’autre, tout ou partie de ce prêt ne sera pas remboursé, à condition, pour les communes, de se soumettre à de stricts plans de gestion et de retour à l’équilibre budgétaire. « Nous procédons à des contrôles sur place, dans les communes et les CPAS, indique Michel Van der Stichele, directeur général du FRBRTC. La peur du gendarme joue, c’est évident. »

Les pouvoirs locaux s’adressent parfois à ces deux organismes pour obtenir de leur part d’abord un bilan le plus objectif possible des finances communales, puis des recommandations pour l’avenir.

Une cinquantaine de coups de pouce

En Wallonie, une quarantaine de communes (sur un total de 262) bénéficient actuellement de prêts du Crac, un nombre stable depuis 2007. Etalés sur vingt ans, ils doivent leur permettre de boucler un budget à l’équilibre. Chaque fois qu’une commune procède au remboursement d’une tranche de ce prêt, le Crac délie les cordons de la bourse pour y participer également, à hauteur de 50 à 80 %. L’encours du Crac, c’est-à-dire l’argent qu’il devrait débourser pour participer comme il se doit à tous les remboursements des crédits en cours, s’élève à quelque 1,5 milliard d’euros.

Parmi les grandes villes qui bénéficient des aides du Crac figurent entre autres Namur, Charleroi et Liège. En échange, les pouvoirs locaux qui sollicitent l’aide du Crac acceptent de soumettre la plupart de leurs dépenses non récurrentes à un « superviseur » externe qui leur donne, ou non, son aval. Une procédure contraignante : les communes qui ont repris des couleurs remboursent d’ailleurs parfois leur prêt anticipativement pour recouvrer leur totale liberté d’action.

A la quarantaine de communes déjà liées au Crac devraient s’ajouter une dizaine d’autres. La Région wallonne vient en effet de libérer une enveloppe de 108 millions d’euros pour secourir les entités touchées de plein fouet par les départs d’entreprises dans le secteur sidérurgique.

A Bruxelles, huit communes sont aidées par le FRBRTC dans le cadre d’un contrat de gestion, dont trois sont soumises à un contrôle allégé en raison de leurs progrès budgétaires : Ganshoren, Berchem-Sainte-Agathe et Watermael-Boitsfort. Profitant d’un terrain d’action nettement plus étroit que la Wallonie, le Fonds envoie systématiquement ses experts dans les communes pour surveiller de près leurs finances. « Si les pouvoirs locaux ne respectent pas les règles fixées, on menace de leur imposer le remboursement de l’aide consentie. Nous n’en sommes jamais arrivés là mais il y a certains élus auxquels il a fallu répéter le message souvent », sourit Sophie Jurfest, directrice au Fonds régional bruxellois.

La situation budgétaire des communes bruxelloises semble toutefois moins inquiétante qu’en Wallonie : ces deux dernières années, le Fonds n’a pas dû mobiliser sa capacité d’emprunt de 30 millions d’euros annuels pour venir en aide à des communes en difficultés, faute de demande. Cet argent a, du coup, été réinjecté dans des aides à l’investissement. « Les 19 communes ne vont donc pas si mal », sourit Michel Van der Stichele. Treize d’entre elles ont néanmoins présenté un budget en déficit pour l’exercice propre de 2013…

C’est grave, docteur ?

La santé des communes est-elle vraiment préoccupante ? Selon l’étude réalisée par Belfius sur les finances locales, leur taux d’endettement, pour l’ensemble de la Belgique, s’élève à 4,1 % du PIB. En Wallonie, la dette des pouvoirs locaux représente 5 milliards d’euros, ou 1 455 euros par habitant. « Un tel endettement, beaucoup d’entreprises en rêveraient », affirmait récemment l’économiste Giuseppe Pagano, professeur de finances publiques à l’Université de Mons. Sans doute.

Mais plusieurs signaux sont quand même passés au rouge. Les premiers licenciements à ce niveau de pouvoir, d’abord. Le recours aux réserves par les élus locaux wallons pour équilibrer leur budget ensuite : dans les projections budgétaires 2014, un tiers des recettes a été mangé à cette fin. A Bruxelles, on observe également un tassement des réserves, mais dans une moindre proportion. Enfin, les investissements au niveau local sont en recul, de 17 % en Wallonie, cette dernière année. « Or, c’est la variable sur laquelle les pouvoirs locaux peuvent jouer, en reportant certaines dépenses, pour équilibrer leur budget », souligne Katlyn Van Overmeire, conseillère finances à l’UVCW.

Il faut dire que quelques sérieuses tuiles sont tombées sur les communes, ces dernières années. A commencer par la liquidation du Holding communal, dans le cadre de la débâcle du groupe Dexia. En tant qu’actionnaires, les communes percevaient, chaque année, d’importants dividendes. Avec la dissolution du Holding communal, Charleroi a perdu 5 millions d’euros de dividendes et Schaerbeek, 3,4 millions. Certaines entités avaient même emprunté pour participer à l’augmentation de capital de Dexia, à la demande des pouvoirs régionaux, ce qui les pénalise d’autant plus aujourd’hui.

Deuxième clou douloureux dans la chaussure des communes : les compétences que l’Etat fédéral leur a transférées, sans compensation totale. La charge des CPAS, par exemple, dans laquelle le fédéral n’intervient en moyenne que pour 65 % ; le solde figure sur le tableau des dépenses communales. Mais du fait des politiques menées par l’Etat, notamment en matière d’exclusion des chômeurs, le nombre de personnes qui dépendent des CPAS ne fait que croître : de l’ordre de 6 % en trois ans. D’où un surcoût de 54 millions d’euros par an pour les CPAS wallons.

Le même processus prévaut pour le financement des zones de police, à charge en partie des communes. Idem enfin pour les pensions des agents contractuels, financées par des cotisations sociales fortement revues à la hausse et issues des bourses communales. D’ici à 2018, il leur en coûtera 3 milliards d’euros de plus.

Enfin, un malheur ne venant jamais seul, du fait de la crise, les recettes fiscales sont en recul, ce qui fait rentrer moins d’argent dans les caisses communales.

Fermer les piscines ? Placées dans ce rude contexte budgétaire, les communes ne disposent que de peu de marge de manoeuvre. Limiter leurs dépenses ? Elles le font déjà, pour la plupart, sous l’oeil attentif et exigeant du Crac en Wallonie et du FRBRTC à Bruxelles. Au point que certaines ne remplacent plus le personnel qui part en pension, suppriment des services sociaux rendus jusqu’ici dans les CPAS ou limitent les activités parascolaires proposées aux enfants du cru. Havelange a ainsi renoncé à sa Maison rurale polyvalente. « Quelques entités ont vendu leurs domaines à la mer ou à la montagne, détaille Sophie Jurfest. Il y a encore des niches où les communes peuvent faire des efforts mais la Région ne peut pas les empêcher d’acheter des iPhones. » Si niches il y a, elles sont en tous cas étroites. Car les dépenses des pouvoirs locaux sont consacrées à 41 % aux frais de personnel, à 17 % au fonctionnement courant, à 30 % au subventionnement des CPAS ou zones de police et à 12 % au remboursement de leurs emprunts…

Augmenter leurs recettes, alors ? Comment le feraient-elles si elles ne souhaitent pas alourdir davantage la fiscalité qui pèse déjà sur leurs citoyens ? Elles peuvent certes tenter d’attirer sur leur territoire des citoyens supplémentaires, en espérant que leur présence augmente les recettes fiscales. Ou, plus sûrement, mettre tout en oeuvre pour obtenir davantage de centimes additionnels perçus sur le précompte immobilier. A Bruxelles, par exemple, ils représentent un tiers des recettes des communes. Si le cadastre était mis à jour sur tout le territoire – une mesure évidemment impopulaire – les précomptes immobiliers qui en découlent seraient non seulement plus justement perçus, mais aussi, de toute évidence, plus élevés. Et les communes engrangeraient davantage de recettes par ce biais.

C’est une tâche qui revient au fédéral. Mais il ne s’exécute pas. « La seule chose que peuvent faire les communes, c’est actualiser les matrices cadastrales », pointe Jacques Gobert. Cela exige du personnel, qu’il faut payer, bien entendu.

De toutes les manières, il devient structurellement bien difficile, quelle que soit la commune, de boucler un budget en équilibre. « On essaie de sensibiliser les élus à ce qui les attend, entre autres en établissant une programmation pluriannuelle, détaille Katlyn Van Overmeire. Car gouverner à l’année, désormais, n’est plus tenable ».

L’enjeu est de taille. Pour l’emploi, d’abord. Les pouvoirs locaux occupent 120 000 personnes. Les communes représentent aussi la moitié des investissements des pouvoirs publics. Pour les citoyens, ensuite. Car si les communes sont étranglées financièrement, elles n’auront d’autre choix que de sabrer dans le service au public, dans les infrastructures, sportives ou culturelles, mises à sa disposition, ou de renoncer à l’entretien de ses routes. A moins d’augmenter les impôts…

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