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Les cinq scénarios de coalitions les plus probables

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Au soir du 25 mai, le puzzle sera dantesque. Les partis devront composer pas moins de neuf gouvernements. Vif/L’Express a soumis les cinq scénarios de coalitions les plus probables à sept politologues. Une équation périlleuse : chaque scénario est miné.

Demain soir, le puzzle sera dantesque à composer. Quinze ans après 1999, les élections fédérales et régionales sont à nouveau simultanées. Résultat : ce n’est pas un, mais neuf gouvernements que les partis devront composer. Le sort de quatre majorités sera déterminant (Fédéral, Wallonie, Flandre, Région bruxelloise).

Les sondages et l’air du temps permettent déjà d’imaginer les difficultés : le gros score de la N-VA en Flandre et la montée des petits partis au sud du pays risquent de brouiller les cartes. Pascal Delwit (ULB), Jean Faniel (Crisp) Pierre Vercauteren (UCL Mons) et Pierre Verjans (ULg) du côté francophone partagent leurs analyses avec Johan Ackaert (Hasselt), Carl Devos (Gand) et Bart Maddens (KUL).

Scénario n°1 : continuité fédérale, majorités régionales amendées

Résumé : les partis de la tripartite fédérale sortante poursuivent ensemble avec un Premier ministre CD&V : PS, MR et CDH du côté francophone ; CD&V, Open VLD et SP.A du côté flamand. En Flandre, la N-VA obtient la ministre-présidence et un virage à droite tandis que le SP.A est remplacé par l’Open VLD : N-VA, CD&V, Open VLD. En Wallonie et à Bruxelles, PS et MR gouvernent ensemble (éventuellement avec le CDH).

Probabilité : 7/10

Cela reste le scénario n°1, à condition que la N-VA ne soit pas mathématiquement incontournable en Flandre. « Compte tenu des résultats électoraux des dix dernières années, la tripartite fédérale est l’hypothèse la plus probable, acquiesce Pierre Vercauteren. Mais en tout état de cause, l’homogénéité voulue par certains avec des majorités identiques à tous les niveaux de pouvoir sera extrêmement difficile à réaliser. » « Cela risque d’être une majorité étroite et minoritaire dans le rôle linguistique flamand, prolonge Pascal Delwit. Et ce serait un attelage difficile pour faire des choix clairs sur le plan socio-économique. » Jean Faniel résume : « Si c’est possible, ce qui est loin d’être sûr, les partis tenteront de faire une coalition resserrée, à quatre partis. »

C’est en Flandre où les nationalistes mènent une campagne dure contre un gouvernement Di Rupo 2 que se trouve la clé. « La continuité reste l’un des scénarios privilégiés au niveau fédéral et du côté francophone, ce serait plus difficile au gouvernement flamand, souligne Carl Devos. La N-VA est en position de force et ne cesse de répéter qu’elle est prête à négocier très vite avec le CD&V. Toute la question est donc de savoir ce que fera le parti de Wouter Beke. C’est lui qui aura la décision la plus délicate à prendre au soir du 25 mai. »

« Un gouvernement sans la N-VA au fédéral et une N-VA dominante en Flandre est un scénario que le CD&V redoute, dit Bart Maddens, proche du mouvement nationaliste flamand. La N-VA attaquerait frontalement la réforme de l’Etat et empêcherait la conclusion des 26 accords de coopération nécessaires à sa concrétisation. La volonté du CD&V est d’associer la N-VA au fédéral. Quant au SP.A, je ne le vois pas accepter d’être présent au fédéral, mais pas au gouvernement flamand. » Pour Johan Ackaert, la clé se trouve à l’Open VLD : « S’il perd beaucoup ou même s’il ne progresse pas, il voudra à tout prix se lier à la N-VA pour éviter que l’hémorragie de ses électeurs se poursuive et fera tout pour que la N-VA soit présente au fédéral. »

En Flandre, en raison du succès attendu de la N-VA, la reconduction sera tout sauf une sinécure. Tous les politologues trouvent dès lors « logique » que le 16 revienne au CD&V, plus à Di Rupo. Ce serait la rançon du courage politique des sociaux-chrétiens flamands.

Scénario n°2 : la rupture de droite

Résumé : la N-VA est mathématiquement incontournable en Flandre et compose une majorité régionale avec le CD&V (et peut-être l’Open VLD). Le PS est rejeté dans l’opposition, partout. Au fédéral, N-VA, CD&V et Open VLD gouvernent avec MR et CDH, minoritaires. A Bruxelles, le MR s’associe avec le CDH et le FDF ; en Wallonie avec le CDH et Ecolo.

Probabilité : 5/10

« C’est un des scénarios évidents en Flandre, affirme Carl Devos. La N-VA veut s’allier au CD&V, et peut-être à l’Open VLD, au gouvernement flamand et au fédéral, comme Bart De Wever l’a fait à Anvers. N’ayant pas de parti frère, elle pourrait céder le poste de Premier ministre. Tout dépend alors de ce que ferait le MR et le CDH voire, le cas échéant, le PP. Ils devraient avoir confiance en un tel gouvernement face à une opposition de gauche très forte en Wallonie. »

Un tel attelage serait audacieux du côté francophone, même si le PS le présente comme un épouvantail. « La volonté d’envoyer la famille socialiste dans l’opposition est importante au sein de la N-VA, souligne Pascal Delwit. Mais elle se heurte au décompte des sièges remportés par le MR et le CDH. Tout dépendra aussi de la capacité d’acceptation de ces partis. » « Si l’on en croit les sondages, le PS reste difficilement contournable du côté wallon, prolonge Jean Faniel. Et j’imagine assez mal Ecolo négocier une jamaïcaine (avec le MR et le CDH), ce qu’il avait hésité à faire en 2009, surtout si c’est pour servir de troisième roue de la charrette face à une majorité de droite au fédéral. »

Pierre Verjans estime une telle rupture envisageable : « Par souci de cohérence. C’était d’ailleurs le rêve de Didier Reynders en 2007. Mais si j’ai l’impression que le CDH prendra tout ce qu’il peut prendre et qu’une jamaïcaine est possible pour les dirigeants d’Ecolo, la base de ces partis aura bien plus de mal à accepter. » La balkanisation du paysage politique francophone risque de compromettre l’équation sur le plan arithmétique, souligne Pierre Vercauteren.

Le plus étonnant ? Alors que la N-VA plaide pour ce virage à droite, Bart Maddens n’est pas sûr qu’il passe la rampe… en son sein. « Le conseil de la N-VA pourrait avoir du mal à accepter car toute réforme de l’Etat serait exclue, faute de majorité francophone. Pour la convaincre, il faudra une politique qui constitue une vraie rupture par rapport au passé : suppression de l’indexation automatique des salaires, limitation des allocations de chômage dans le temps, forte baisse des charges sociales… Au sein du CD&V, il est peu probable que l’ACW accepte une telle politique thatchérienne. Idem au CDH même si Benoît Lutgen se profile plus à droite que Joëlle Milquet. Le PS dans l’opposition, ce serait une victoire symbolique. Mais les élections suivantes, il y aurait le retour du coeur comme après le gouvernement Martens-Gol dans les années 1980. Et aucune réforme structurelle n’aurait été engrangée. »

Il ya a peu, le MR, via une sortie concertée Michel-Reynders, a tué dans l’oeuf l’idée de toute majorité avec la N-VA « au fédéral et à Bruxelles ». Sans doute davantage pour des raisons stratégiques, le PS utilisant l’argument en permanence. « Le MR agite le drapeau blanc en direction du PS », a réagi De Wever. Si la N-VA est incontournable en Flandre au soir du 25 mai, le scénario pourrait cependant arriver sur la table…

Scénario n°3 : le nouvel équilibre confédéral

Résumé : N-VA et CD&V gouvernent ensemble en Flandre ; PS et MR s’associent à Bruxelles et en Wallonie. Les quatre partis dominants forment une majorité resserrée au fédéral.

Probabilité : 4/10

Une telle coalition aurait l’avantage d’être resserrée et d’allier les quatre partis dominants dans les deux Communautés. « Ce serait une coalition très atypique, analyse Bart Maddens. Mais difficile à accepter pour la N-VA : ce gouvernement ne pourrait ni faire de réforme de l’Etat, ni réaliser de rupture socio-économique. Le seul atout ? Elle pourrait dire qu’elle réalise de facto le confédéralisme. On pourrait y arriver en dernier recours, si les majorités régionales sont constituées et que cela coince au niveau fédéral. »

Carl Devos n’exclut pas une sorte de pacte du diable entre la N-VA et le PS : « La N-VA accepterait de ne pas être trop radicale sur le plan socio-économique, à condition d’avoir des avancées vers le confédéralisme. Cela peut toujours se faire via des lois spéciales. Et pour cela, elle a besoin du PS. »

Mais du côté francophone, on balaie l’épure. « C’est quasiment impossible à envisager, dit Pascal Delwit. Pour le PS, ce serait un suicide politique. La polarisation de la campagne entre PS et N-VA est telle qu’il me semble difficile pour eux de s’allier. Si cela arrive quand même, ce ne pourrait être qu’à l’issue d’un long processus. » « Ce serait très difficile à avaler pour le PS sur le plan socio-économique, acquiesce Pierre Verjans. Il aurait pour seul allié les syndicalistes de l’ACW au sein du CD&V, mais ils sont sortis très affaiblis par l’affaire les concernant (NDLR : des accusations de fraude fiscale venant de la N-VA). Le CDH, Ecolo et le PTB pourraient tirer à vue en Wallonie. Improbable. »

Une solution confédérale de dernier recours, en somme.

Scénario n°4 : la continuité verte

Résumé : les partis de la tripartite fédérale poursuivent ensemble, mais faute d’avoir la majorité suffisante, ils ouvrent la majorité fédérale à Ecolo et à Groen. La N-VA est rejetée dans l’opposition, partout. En Flandre : CD&V, Open VLD, SP.A et Groen s’allient. Du côté francophone, une quadripartite se met en place pour faire face au défi du redressement.

Probabilité : 2/10

La quadripartite « classique » permettrait une coalition identique à tous les niveaux de pouvoir. Mais les politologues rejettent la perspective. « Le scénario à quatre, c’est le moins probable, dit Jean Faniel. Quand on fait une majorité politique sans réforme de l’Etat en vue, on privilégie un nombre limité de partenaires. » « Trop compliqué, prolonge Pascal Delwit. S’allier avec Ecolo et Groen, c’est ajouter de la difficulté à la difficulté. » « Rien ne prouve, dans l’état des sondages, que le poids des écologistes leur permette d’imposer leur présence », complète Pierre Verjans.

En Flandre, l’idée de coalitions sans la N-VA à tous les niveaux de pouvoir semble tout simplement « irréaliste » tant ce serait contraire aux résultats électoraux attendus. « Un tel scénario sans la N-VA ne pourrait devenir vraisemblable qu’après une longue crise, certainement après l’été, note Bart Maddens. D’un point de vue belge, ce serait sans doute la coalition qui garantirait le mieux la stabilité : ce sont les quatre familles politiques qui ont conclu la réforme de l’Etat. Il faut encore que ce soit arithmétiquement possible. »

Bref, le tout dernier recours.

Scénario n°5 : le blocage

Résumé : N-VA et CD&V s’associent au niveau flamand. Le PS renoue avec l’olivier du côté wallon. Le MR s’associe au FDF et à Ecolo à Bruxelles. Aucun accord n’est possible au niveau fédéral. On revote pour le seul Parlement fédéral.

Probabilité : De 0 à 10/10

Un volet du scénario est probable : des majorités régionales différentes s’installent en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles. Cela ne signifierait pas forcément un blocage au fédéral.

« Il est très probable que les Régions n’attendront pas pour composer leur majorité, estime Pascal Delwit. On pourrait avoir assez vite un gouvernement des droites en Flandre, un olivier wallon, Bruxelles étant un cas de figure particulier avec la force du FDF et un paysage qui risque d’être très fragmenté… Mais des élections anticipées au fédéral, je n’y crois pas. La pression extérieure sera encore plus forte qu’en 2010, maintenant que la Belgique est engagée dans un plan budgétaire européen. » « L’importance des enjeux est telle que les décideurs ne peuvent se permettre un tel scénario », confirme Pierre Vercauteren.

« Le blocage au niveau fédéral avec des majorités régionales composées rapidement, c’est le scénario dont rêve la N-VA, prolonge Johan Ackaert. Trop risqué pour les partis traditionnels. « On a vu en 2010 que les affaires courantes pouvaient être interprétées de façon large, appuie Bart Maddens. Cela donnera le temps de trouver une majorité. De nouvelles élections : la solution de dernier recours, d’autant qu’elles auraient l’allure d’un référendum pour ou contre la Belgique. »

Tous font référence à un épisode de l’histoire, en 1987-1988, quand l’exécutif communautaire flamand avait été modifié suite à la rupture du pacte électoral entre libéraux et chrétiens-démocrates. Les socialistes avaient forcé leur entrée quelques mois après le scrutin. Cette fois aussi, un jeu de chaises musicales à rebondissements est probable. « Au fédéral, il est fort possible que les partis sortent encore un autre scénario de leur chapeau », conclut Jean Faniel. Les jeux sont ouverts ? Plus que jamais. Et le puzzle pratiquement inextricable.

Par Olivier Mouton

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