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Les banquiers découvrent le blues

Bousculés par la crise, contraints à plus de productivité, privés de certains acquis, les employés des banques traversent une passe difficile. Comme tout le monde ? Oui. Mais la donne est nouvelle dans ce secteur, longtemps protégé.

Si vous voyez un banquier sauter par la fenêtre, n’hésitez pas. Sautez derrière lui ; vous pouvez être sûr qu’il y a quelques profits à prendre », affirmait Voltaire, sarcastique, il y a trois siècles. De ce genre de propos, le personnel des banques en a, désormais, ras la casquette. Trois ans après une crise financière violente qui a ébranlé le monde et de grandes institutions belges comme Fortis, la KBC et Dexia, et un an après un nouveau séisme, lié cette fois à la crise de la dette souveraine, la plupart des salariés commencent à voir le bout du tunnel. Ils n’en ressentent pas moins un certain malaise, différent selon la maison qui les emploie.

C’est, semble-t-il, au sein de l’ex-groupe Dexia que la vie des employés reste la plus bousculée. D’abord, parce que l’ex- empire franco-belge lui-même est en voie de liquidation. « La situation n’est pas facile à vivre pour le personnel, reconnaît Marc Croonen, directeur des ressources humaines. Nous cherchons des solutions pour chacun. Mais il est évident que, lorsque le personnel a appris le démantèlement du groupe, cela a constitué un choc. »

Les salariés du groupe peuvent soit intégrer l’ex-banque Dexia Belgique (aujourd’hui rebaptisée Belfius) ou d’autres entités de la structure, encore en vente, soit travailler au sein de la banque de défaisance, soit partir dans le cadre du plan social mis en place. Sur les 360 personnes initialement recensées chez Dexia Groupe, 135 l’avaient déjà quitté au 1er mai, pour des reconversions diverses. Quelque 140 personnes devraient rejoindre Belfius, une dizaine, les autres entités, et entre 35 et 65, la banque de défaisance. Une bonne centaine ont fait le choix de quitter totalement le groupe.

Au sein de Belfius, la branche bancaire belge de l’ex-groupe Dexia, on ne peut pas dire que les salariés soient sereins. « Ils ne voient pas le bout du tunnel, détaille Freddy Goeffers, directeur d’agence. Presque tous les jours, il se passe quelque chose qui les concerne. » Des rumeurs persistantes évoquent une nouvelle restructuration avec suppression de postes, qui interviendra après les élections sociales. Cette incertitude en matière d’emploi pèse lourd et c’est vrai pour tout le secteur. C’est d’ailleurs un des changements majeurs survenus depuis la crise. « La sécurité d’emploi qui caractérisait auparavant le secteur n’est plus de mise », affirme Pierre, employé chez Belfius.

La pression exercée sur le personnel pour augmenter la productivité est un autre facteur qui alimente le blues des banquiers. « La culture de la performance est omniprésente, affirme Daniel Beuzart, responsable de la délégation syndicale CNE chez ING. Ceux qui ne suivent pas deviennent des proies faciles. Une partie de l’effectif se sent, du coup, fragilisé, surtout parmi les plus âgés. Idem par rapport aux nouvelles technologies. »

Selon une enquête réalisée par la CNE, en octobre 2010, auprès de 840 salariés du secteur finance, la détérioration de leur travail s’explique, pour 16 % d’entre eux, par l’accroissement de la productivité et la régression de la dimension humaine, et pour 13 %, par l’accroissement du stress. Dans leur ensemble, les directions des banques se sont d’ailleurs emparées du problème. Des cellules psycho-médico- sociales s’en préoccupent, et des séances de coaching sont proposées aux salariés, comme des groupes de travail.

« Face à la réduction des marges bénéficiaires, les directions cherchent à faire des économies dans les frais de personnel, commente Miranda Ulens, permanente bruxelloise du secteur finances du Setca. Les nombreux avantages dont le personnel profitait jusqu’à présent sont ainsi peu à peu supprimés. » A la KBC, la direction revoit actuellement l’organisation des services et la classification des fonctions, provoquant de nombreux changements pour le personnel.

Dans ce contexte tristounet, et parce que les possibilités de carrières se réduisent, les profils les plus pointus, dans la finance ou l’informatique, s’en vont. « Les autres restent, parce qu’ils n’ont pas le choix », assure Pascal Detienne, délégué CGSLB chez BNP Paribas Fortis. Ou parce qu’ils tiennent à conserver le taux favorable qui leur est consenti pour leur emprunt hypothécaire. « C’est qu’ils sont bien chez nous », assure le porte-parole de BNP Paribas Fortis, sur la base d’enquêtes de satisfaction internes.

Des clients peu commodes

Dans les agences, des guichetiers continuent à subir l’agressivité de certains clients. Ceux-ci ne se privent pas de pester sur la baisse des taux d’intérêt, le coût des transactions bancaires, ou l’automatisation croissante des services. « Les gens sont de plus en plus mécontents. Or le guichetier ne maîtrise pas tout, notamment les taux et les produits. Mais comme il est en première ligne, il se ramasse tout », détaille Philippe, un employé de BNP Paribas Fortis qui affiche 25 ans de carrière en agence. Sans doute n’est-ce pas le fait de tous les clients, ni de toutes les agences. Mais tout de même. « En 2008, les clients nous ont plutôt soutenus, se rappelle Frédéric, gérant. Nous sommes beaucoup plus critiqués maintenant. On traite les banquiers de voleurs. »

Le personnel des banques en veut d’ailleurs beaucoup aux médias, accusés de donner sans cesse une image négative du secteur et de diaboliser la finance. La perception des banques a changé, elle aussi. « Avant, rappelle Jean-Luc Revelard, délégué CNE chez Belfius, les banquiers étaient considérés comme des instituteurs. Maintenant, on est des pharmaciens : on vend, comme tout le monde. »

Ce glissement dans la fonction sociale du banquier laisse d’ailleurs plus d’un employé amer. Tenus de renvoyer leurs clients vers les automates, limités dans les services qu’ils rendaient jadis aux consommateurs, ils ont aujourd’hui des objectifs de vente à atteindre. Mais la crise de 2008 a laissé des traces : ils savent que la finance est vulnérable. « D’ailleurs, nous ne vendons pas les produits que nous ne maîtrisons pas », glisse un guichetier.

Des chiffres stables

Si malaise il y a, il ne se reflète guère dans les chiffres de l’absentéisme, qui n’ont pour ainsi dire pas bougé dans les quatre grandes banques du pays. Chez BNP Paribas Fortis, par exemple, on assure que le personnel est désormais rassuré quant à son avenir, notamment grâce à la conclusion d’une convention qui garantit l’emploi jusqu’en 2016. « Au plus fort de la crise, en 2008 et 2009, 5 % du personnel était en congé de maladie de plus d’un mois, précise Bert Van Rompaey, directeur des ressources humaines. Et sur ce total, moins d’un tiers pour raisons neuro-psychologiques. En 2011, nous sommes retombés à 3,5 % mais, surtout, les raisons neuropsychologiques ne sont plus avancées que dans un cas sur cinq. Alors qu’en 2010, 10,5 % du personnel se plaignait d’un stress ressenti plus souvent que voulu, ce taux est retombé à 8 %. Enfin, alors que 570 personnes (sur 18 000) avaient volontairement quitté la banque en 2008, on n’en comptait plus que 340 en 2011. » Certaines, toutes banques confondues, font en effet le choix de se réorienter vers de tout autres pistes (lire les encadrés).

Toutes enseignes confondues, quelque chose s’est néanmoins brisé dans le rapport de confiance à la hiérarchie : les troupes n’oublient pas que certaines directions leur ont donné des informations erronées en 2008, sur des produits à risques ou sur la santé de leur banque.

« Lors d’une réunion entre directeurs d’agence, raconte un gérant, nous avons dit que nous éprouvions de grandes difficultés à revendre du placement à risque parce que nous n’en savons pas assez sur ce qu’ils représentent. Je suis comme un père qui aurait rassuré ses enfants sur l’absence de danger à sauter dans la rivière. Les enfants ont sauté en pleine confiance, mais le courant était bien plus rapide qu’attendu. Sortis de là, ils ne comprennent pas que je n’ai pas pu prévoir cela. Et moi, chaque fois qu’on me demande aujourd’hui mon avis sur le risque de faire ceci ou cela, la sueur perle, je doute de mon jugement. » C’est là la plus discrète des blessures qui touche le personnel bancaire : il a perdu la fierté d’exercer son métier.

LAURENCE VAN RUYMBEKE

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