Jonathan Dehoust

« Les allocataires sociaux, nuisibles sangsues de notre Etat social actif »

Jonathan Dehoust Etudiant en sciences politiques à l'UCL

Il n’y a pas un jour sans qu’on lise ou entende des commentaires haineux et stéréotypés à l’égard des chômeurs et autres allocataires sociaux type bénéficiaires du Revenu d’Intégration sociale (RIS) auprès du CPAS.

Ils pullulent sur les réseaux sociaux, appuyés de nombreux « likes » qui montrent combien l’opinion est loin d’être minoritaire et insignifiante parmi les internautes. Ils se glissent çà et là dans la vie quotidienne, au travail, lors d’un diner de famille ou d’un verre entre amis lorsqu’une conversation dévie sur la pénibilité au travail, la difficulté des fins de mois, l’action gouvernementale ou que sais-je encore. Et là, sort de la bouche de votre ami, collègue, oncle, voisin, aussi sympathique puisse-t-il être, une décharge sévère contre les allocataires sociaux, nuisibles sangsues de notre Etat social actif, selon eux, dont ils ne garderaient que le premier adjectif et refuseraient de se souscrire au deuxième.

Ces avocats d’une chasse aux chômeurs à entreprendre par tous les moyens, ces haineux parfois amnésiques de la période où ils étaient eux-mêmes de l’autre côté de la frontière sociale, ces « actifs » gratifiés de leur participation à la croissance du pays, nous en connaissons tous. Nous partageons avec eux une pièce de bureau, un verre, un toit. L’un des grands drames du débat public est d’avoir repolitisé la « question sociale » et, dès lors, de devoir ranger les propos discriminatoires à l’égard des allocataires sociaux derrière l’expression d’opinions politiques classées « à droite » – donc à respecter au même titre que celles de la direction politique opposée.

La question d’exclure, d’étiqueter, de salir les allocataires sociaux comme s’ils formaient, avec les immigrés, la source originelle de tous les maux de notre société, ne correspond en rien au clivage politique binaire traditionnel.

Par exemple, les contrôles à domicile improvisés ne sont pas considérés comme une grave atteinte à la vie privée : elle est une mesure « de droite » pour contrôler les sans-emplois. De même, lorsque Valérie Van Peel, députée N-VA, veut virer les alcooliques et les toxicomanes des CPAS, la proposition ne sera pas considérée comme une pénalisation de la misère (comme l’a conceptualisé le sociologue Loïc Wacquant) mais comme de valables conditions « de droite » pour se voir octroyer le RIS, maigre filet de sécurité économique qui évite l’épidémie du sans-abrisme en Belgique. Entendra-t-on régulièrement l’expression « bon sens » pour justifier la dimension liberticide de toutes ces déclarations politiques sorties de la bouche de supposés « libéraux ».

En comparaison, être « de gauche » sur cette thématique s’apparenterait moins à une préservation des droits sociaux de ce public précaire hérités de la pensée solidaire de l’après-guerre qu’à un conservatisme archaïque qui freinerait l’horizon indépassable de la fin de l’Etat-providence. Et c’est ainsi que MR-N-VA se feront passer pour des progressistes et que le PTB sera traité de réactionnaire…

Le ras-le-bol de la discrimination banalisée à l’égard des allocataires sociaux enfle. Je ne peux le dire autrement. Il peut y avoir des solutions de « gauche » et de « droite » pour lutter contre le chômage – ça, c’est parfaitement acceptable. Elles peuvent être débattues sans complexes. Pour autant, la question d’exclure, d’étiqueter, de salir les allocataires sociaux comme s’ils formaient, avec les immigrés, la source originelle de tous les maux de notre société, ne correspond en rien au clivage politique binaire traditionnel.

Faisons un exercice. La prochaine fois que vous lirez ou entendrez ces commentaires discriminatoires, faites remplacer par son auteur les mots « chômeurs » ou « bénéficiaires du CPAS » par « musulmans », « femmes » ou « homosexuels ». Peut-être se rendra-t-il compte qu’il pourrait clairement être soupçonné d’islamophobie, de sexisme ou d’homophobie et, en conséquence, que la discrimination envers la couche sociale inférieure n’est pas moins grave que les autres.

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