Les 12 000 mystérieux conseillers de l’Etat
La saison de la chasse aux gaspis est ouverte. La N-VA joue au rabatteur. Le député Ben Weyts débusque un organigramme géant : quelque 700 conseils, comités et commissions en tout genre peuplent l’appareil d’Etat fédéral. D’une importance cruciale ou d’une utilité douteuse ? Allez savoir. Cette armée forte de 12 000 cellules grises échappe très souvent à toute évaluation sérieuse.
Grands commis de l’Etat et décideurs politiques ne sont jamais abandonnés à leur sort, à l’heure des décisions. A tous les étages du pouvoir fédéral, une armée des ombres se coupe en quatre pour leur mâcher la besogne.
Bien malin qui pourrait dénombrer ses rangs. Ben Weyts, député N-VA, a plongé dans la fourmilière. Avec l’intention non déguisée d’y donner un grand coup de botte. Qui cherche trouve. Ben l’explorateur n’est pas rentré bredouille de sa première expédition, en 2009. Non sans mal, Weyts s’applique à exhumer du seul niveau fédéral pas moins de 600 commissions consultatives, conseils de gestion, comités de concertation en tout genre. Cette foule d’instances mobiliserait, selon une grossière estimation de la part du fouineur, quelque 12 000 personnes.
La découverte vaut au député nationaliste flamand les félicitations du jury, adressées par le Premier ministre de l’époque, Herman Van Rompuy (CD&V) : « Je trouve cet inventaire très utile pour examiner une possible rationalisation de tous ces organes d’avis. Je suis moi-même preneur d’un tel exercice. » C’est dit : le fruit de ces laborieuses recherches ne tombera pas dans l’oubli. C’est tout vu : on s’empresse de passer à autre chose.
Mais Weyts est un coriace, et pas que sur la scission de BHV. Ce lieutenant de Bart De Wever a repris son bâton de pèlerin. Et s’en est retourné aux nouvelles auprès de tous les ministres et secrétaires d’Etat. Qui l’ont accueilli à bras ouverts, comme on le devine : après neuf mois de démarche, six de ces excellences faisaient toujours la sourde oreille. Weyts a tout de même fini par mesurer l’ampleur de la rationalisation qu’on lui avait promis : « Pour quatre organes supprimés, trois instances ont été créées. »
« Le gros de ces commissions est utile. »
La fourmilière est donc toujours là, quasi intacte. Et même encore plus fournie que ce que Weyts imaginait. Le compteur de Weyts s’affole : « J’en suis à une liste de 709 organes d’avis. » Sans certitude d’avoir touché le fond.
Tout n’est évidemment pas à jeter dans cette multitude, et Ben Weyts en convient aisément : « Le gros de ces commissions est utile. » La raison d’être de nombre d’entre elles saute d’ailleurs aux yeux. Ce serait folie que de se passer des lumières du Conseil supérieur des finances, du Conseil supérieur de l’emploi, du Conseil central de l’économie, de la Commission pour la protection de la vie privée, des Comité P et R de contrôle des polices et des services de renseignement.
Mais derrière ces piliers de sagesse, l’iceberg comporte sa face immergée. Souvent, on essaie de « résoudre » un problème en créant une commission ou un groupe de travail. Après quelques mois, tout le monde a oublié son existence. » Rajouter des couches à la lasagne, parfois en dépit du bon sens : la recette est éprouvée.
Pas de dysfonctionnement, donc pas dévaluation
On consulterait donc un peu trop en Belgique, pour un oui ou pour un non. Le mal peut être aussi nécessaire. Y mettre bon ordre est jusqu’à ce jour resté au-dessus des forces d’une quelconque autorité fédérale.
La croisade devrait ravir le MR Olivier Chastel, nouveau Monsieur Simplification au sein du gouvernement Di Rupo. Le MR adore dénoncer les mille et un gaspis qui entacheraient, selon lui, la gouvernance publique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, où il siège dans l’opposition.
Le challenge paraît simple : qui donc fait encore réellement oeuvre utile dans ce méga-organigramme ? Là, le mystère s’épaissit. « Un quart de ces organes ne déposent pas de rapport annuel, 10 % d’entre eux à peine sont soumis à une évaluation formelle », prétend Ben Weyts sur la base de son inventaire. Encore ministre des Finances et en charge de la Régie des bâtiments, Didier Reynders (MR) ne démentait pas : à l’exception du Conseil supérieur des finances, tenu d’établir un rapport annuel publié au Moniteur belge, aucun des 32 organes consultatifs qui relevaient de sa sphère d’influence n’est tenu à rendre des comptes.
A la tête de la Fonction publique, sa collègue d’alors, Inge Vervotte (CD&V), tenait le même langage désarmant : « Le fonctionnement de ces instances n’est pas évalué et, comme des dysfonctionnements n’ont pas été constatés à ce jour, il n’est point envisagé de les évaluer. » Pas de dysfonctionnements, donc pas d’évaluation. Et sans évaluation, difficile de détecter les dysfonctionnements. CQFD.
PIERRE HAVAUX
Retrouvez notre dossier sur « Les bataillons fantômes de l’Etat » dans le Vif/L’Express de ce vendredi.
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